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Hommage Au Professeur Ibrahima Wone

Hommage Au Professeur Ibrahima Wone

Le Professeur Ibrahima Wone nous a quittés.

Le Sénégal perd incontestablement un de ses très grands fils. Il a eu beau chercher à se mouvoir toute sa vie durant dans la discrétion la plus absolue, son génie rayonnant et irradiant l’a souvent projeté sur le devant de la scène. Beaucoup de personnes parleront mieux que ma modeste personne de sa vie et de son œuvre : les parents et amis de sa génération, ses enfants qu’il a «couvés, gavés, gâtés», ses anciens collaborateurs, ses anciens étudiants… Mais si j’ai voulu porter témoignage c’est peut-être aussi pour «accomplir un acte de foi» comme il l’écrivait, dans un autre contexte, il y a plus de soixante ans.

Le Professeur Ibrahima Wone était le dernier fils vivant de Thierno Amadou Tidiane Wone célèbre marabout et richissime commerçant à Kaëdi sur la rive gauche du fleuve Sénégal, ville située dans l’actuelle Mauritanie. Son père était connu et reconnu pour sa grande érudition –de fait une des références en matière de sciences islamiques au début du siècle dernier au Fouta-Toro- et sa générosité légendaire. Ses compagnons avaient pour noms Thierno Hamet Baba Talla, fondateur de l’Université Islamique de Thilogne, Thierno Saïdou Bâ, fondateur de Médina Gounass, Cheikh Moussa Camara le Saint, savant, érudit de Ganguel, Thierno Saïdou Nourou Tall, le saint soufi et le plus dakarois des marabouts toucouleurs….-. La générosité de Amadou Tidiane Wone était telle que la ville de Kaëdi était devenu un lieu de convergence des foutankés notamment à l’occasion de la distribution annuelle de ses bénéfices telle que stipulée par la Charia. A un point tel que les autorités coloniales l’invitèrent à plus de modération dans son altruisme financier ! Le Professeur Ibrahima Wone était aussi le dernier fils de Mariam Cheikh Hamidou Kane. Sa mère était une femme d’esprit et de tête, lectrice et enseignante du Saint Coran ; éducatrice austère dont l’influence près d’un demi-siècle après sa disparition perdure…

A la disparition de son père en 1934, le Professeur Ibrahima Wone choisit avec certains de ses frères comme le Dr Oumar Wone, futur homme politique, ou Moustapha Wone l’un des premiers Sénégalais, professeur certifié en Sciences Physiques, d’aller apprendre à lier le bois au bois. On raconte que lorsque son frère aîné Issa Kane, instituteur et futur homme politique (sénateur au Palais du Luxembourg en France, député et ambassadeur du Sénégal avant de s’en retourner vivre parmi les humbles au Fouta après les évènements de 1962), vint le chercher au foyer ardent pour l’inscrire à l’école française, son marabout d’alors Thierno Cheikhou Kane de Galoya versa des larmes, implorant qu’on l’y laissât. Finalement il quittera l’école coranique au grand regret du Maître qui ; résigné lâchera à son frère: «Tu es en train d’emmener un Waliou !». Quelques décennies plus tard, c’est le même marabout qui pleura encore en l’écoutant réciter le Saint Coran de la première à la dernière sourate avant de consacrer le médecin qu’il était devenu Hafizul Quran…

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Inscrit à l’école primaire de Matam au milieu des années 30, il survola en trois ou quatre ans l’ensemble du cycle. Son génie était déjà installé et c’est sans discontinuer qu’il sera major à toutes les compétitions scolaires et universitaires y compris pour l’agrégation de médecine obtenue en France en 1978, en passant par l’Ecole primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis et l’Ecole normale William Ponty de Sébikotane. Etudiant en médecine, il a été «major de tous les majors des promotions qui ont précédé la sienne aux examens de validation des premières années de doctorat à la Faculté de Médecine de Bor­deaux, il avait infailliblement la meilleure note dans toutes les disciplines». Ses performances scolaires ont fait dire «qu’aucun universitaire de sa génération n’avait pu se prévaloir d’un palmarès (scolaire et universitaire) aussi flamboyant»…

Après avoir soutenu son doctorat à l’Université de Paris, il regagna le Sénégal en 1957. Il débuta sa carrière professionnelle à Saint-Louis d’abord puis comme praticien voué à la médecine rurale dans le Ndiambour ; médecin-chef de la Cir­cons­cription Médicale de Louga à une période où il n’y avait pas plus d’une cinquante de médecins sénégalais en exercice dans le pays. C’était l’époque héroïque où les médecins étaient le plus souvent en tournée en brousse sur des routes ou pistes cahoteuses pour rejoindre les villages les plus reculés et soulager les populations déshéritées. Une courte parenthèse l’amena à occuper en 1961 les fonctions de Directeur de Cabinet du ministre de la Santé avant de retourner de nouveau sur le terrain pour assurer cumulativement les fonctions de médecin-chef régional des régions de Diourbel et du Sine Saloum jusqu’en 1964. Au bout de ces trois années, Il regagna la capitale pour occuper jusqu’en 1974 d’abord la fonction de Directeur de la Santé du Sénégal, puis celle de Médecin-Chef des frontières maritimes et aériennes du Sénégal cumulativement avec celle de Conseiller technique du ministre de la Santé et pour finir celle de Médecin-Chef de la région de Dakar. Pendant cette période, son expertise reconnue en santé publique a été constamment sollicitée au plan international : dans le cadre des sessions de l’Assemblée mondiale de la Santé à Genève de 1965 à 1975 mais aussi en tant que Président du Comité Spécial d’Experts de l’OMS pour la santé des réfugiés et déplacés du Moyen-Orient entre 1973 et 1975 avec des passes d’armes mémorables avec certains membres de pays arabes qui voulaient imposer leurs positions ou leurs projets. Sa double compétence en médecine et en sciences religieuses le désigna naturellement Chef de la mission médicale pour le pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam, fonction qu’il occupa de 1961 à 1975…

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A partir de 1974, il entame une longue carrière universitaire de près d’un quart de siècle jusqu’à sa retraite intervenue en 1998. Les nombreux médecins qu’il a formés, aujourd’hui disséminés aux quatre coins de l’Afrique, notamment le millier dont il a présidé ou co-présidé les thèses parleront probablement mieux que moi du «brillant, étincelant, éblouissant, incandescent» professeur qu’il a été, professeur qui venait délivrer son cours magistral en amphithéâtre sans support, avec sa seule tête, avec une érudition et une maîtrise époustouflantes de son sujet. Le nombre impressionnant de thèses encadrées, co-présidées ou présidées, même à l’échelle d’une carrière universitaire d’un quart de siècle, s’explique par le fait que l’avoir dans son jury de thèse constituait pour tout étudiant en médecine un trophée de chasse. Ce qui amènera certains étudiants ayant essuyé un premier refus pour qu’il soit membre de leur jury de thèse, du fait de son emploi de temps surchargé, à user de voies détournées pour arracher son accord en faisant intervenir certains de ses proches. Parallèlement à sa carrière d’enseignant universitaire, il a été Président de l’Institut de Santé et Développement de l’Université de Dakar. A ce titre il a été Fondateur en 1990 du réseau des Instituts de formation de santé publique avant d’en assurer la présidence. Diplômé d’acupuncture de l’Université de Shanghaï en 1976, probablement le premier Africain diplômé dans cette discipline, il utilisait cette technique fine et non invasive de soins comme alternative à la thérapie médicamenteuse attachée à la médecine occidentale…

C’était une source intarissable ; c’était au-delà «un site de communication et de diffusion d’un savoir encyclopédique» qui a appris tant de choses dans tous les domaines de la vie à tous ceux qui avaient la chance de le fréquenter. Cette intelligence prodigieuse était aussi une mémoire phénoménale qui avait encore à la fin de sa vie, à 90 ans, la mémoire des dates, des chiffres, des physionomies… qui avait le maillage du métro parisien dans sa tête avec ses 300 stations et ses nombreuses correspondances, qui pouvait donner les horaires de la vingtaine ( ?) de trains au départ de la gare parisienne d’Austerlitz vers la ville de Bordeaux ou d’Orléans, dans les années 50…

Nourri de littérature française, son éloquence et sa maîtrise de la langue de Molière lui vaudront le sobriquet de «Wone Subjonctif» quand d’autres admiratifs disaient, parlant de lui : «il parle comme dans les livres !» Le regret de tous ceux qui connaissent sa maîtrise de la langue française et qui ont lu quelques fragments de ses écrits est qu’il ait refusé de se lancer dans la production littéraire, fidèle à son crédo peut être : «Pour vivre heureux, vivons cachés.» Car c’était aussi un homme que nul ne pouvait contraindre à faire quelque chose ou interdire de faire quelque chose. Comme il disait : «j’interdis qu’on m’interdise !». Voilà peut-être pourquoi il n’hésitait pas à s’extirper d’une réunion quelle que soit son importance ou la qualité des personnes qui y participaient pour aller sacrifier à sa prière obligatoire…

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Si riche et prenante que fut sa carrière médicale, le Professeur Ibrahima Wone n’en délaissait pas moins ce pour quoi l’homme a été créé. J’ose dire que sa pratique religieuse était comparable à celle de nos marabouts les plus vénérés. Son adoration de Dieu me fait penser au titre avorté du livre-culte «L’Aventure Ambi­güe» de son cousin germain Cheick Hamidou Kane : «Mon père ne vit pas, il prie». Réglé comme une horloge atomique pas seulement pour sa pratique religieuse, le Professeur Ibrahima Wone se levait invariablement à quatre heures du matin pour lire son Coran et égrener son chapelet en bon «Moqadem Tidiane» avant d’aller satisfaire à ses obligations terrestres. En fin d’après-midi, après sa journée de travail, il sacrifiait de nouveau au rituel du chapelet entrecoupé de pauses pour recevoir d’éventuels visiteurs. Il savait redescendre des cimes de l’élévation spirituelle pour échanger avec même ses jeunes visiteurs et même parfois partager leurs activités. Malgré la grande rigueur qu’il s’imposait dans sa pratique religieuse, il n’en était pas moins très tolérant, tolérance qui fera dire à un de ses collègues français : «Tu es un musulman tel qu’on aimerait que tous les musulmans soient !».

A la retraite, ses dévotions s’accentuèrent : il n’était plus que lecteur de Coran et égreneur de Chapelet avec des immersions quotidiennes dans le mausolée de son Marabout El Hadj Saïdou Nourou qui a dit parlant de lui : «C’est le meilleur de mes fils». Il assurait aussi l’Imamat de la grande mosquée de son quartier. Son rôle de rassembleur et de régulateur social discret s’amplifia avec la visite régulière de ses nombreux parents.

Il y a tant de choses qu’on pourrait encore dire.

En terminant ces lignes, j’apprends que son épouse, Hadja Fatimata Ly, vient de le rejoindre dans l’autre monde. Il n y a point de hasard dans la marche de la vie. Leur départ quasi-simultané n’est qu’un signe pour ceux qui les connaissaient. Comme l’a écrit leur fils aîné, Amadou Tidiane Wone, «Nos parents. Ils sont partis ainsi qu’ils ont vécu : ensemble à 24 h près…».

Qu’Allah (SWT) les accueille parmi Ses Elus et aide en particulier leurs enfants à surmonter le grand vide causé par leur départ. Amine.

 

Ibrahima LY

ferdiba2016@gmail.com

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