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Qui Portera Le Flambeau De L’esprit Critique ?

Qui Portera Le Flambeau De L’esprit Critique ?

Personne … enfin presque ! L’aventure est risquée. D’ailleurs personne n’ose, de peur de se brûler les doigts, d’être défiguré par le regard accusateur du voisin, de remettre en cause notre «masla», ce précieux statu quo, fondement sacro-saint de notre identité culturelle.

L’actualité, imprégnée de sensations fortes, distrait, amuse, interpelle et rassure. Les faits divers ne sont finalement pas si divers que cela. Ils parlent tous de viols en bande dans les allées reculées de Thiaroye ou de Rebeuss, d’imams déshonorés, d’incestes camouflés sous couvert de «sutura», de condamnations pour trafic de chanvre, de femmes aux cuisses légères, de frères qui se poignardent, de star mania locale, d’une jeunesse sise aux frontières de la déviance et de l’insouciance. Tout compte fait, cela n’émeut plus personne, et c’est tant mieux.

Apparemment, «jusqu’ici tout va bien», comme disait l’autre. La majorité bruyante se contente de la répétition hypnotique des faits. C’est la coutume qui le veut ainsi. La redondance fait office de tradition, n’est-ce pas ?

Alors le temps passe, les générations s’enchaînent les unes à la suite des autres sans trop de turbulences. Les plus jeunes prétendent vouloir créer un futur différent, tracer d’autres sillons, mais les perspectives sont minces, c’est normal ; ils pensent déjà comme des nonagénaires.

D’autres plus radicaux récitent comme des mantras les versets idéologiques des révolutionnaires qui avaient leur âge quelques cinquante années plus tôt. Dans l’ensemble, les rengaines demeurent les mêmes. L’imaginaire est jugé trop indécent pour «sunu culture». Pis encore, c’est une affaire de marginal.

Pourtant, quelques artistes et artisans sénégalais tentent tant bien que mal de détruire cette sclérose sociale, de donner forme, de donner vie aux rêves les plus fous, tandis que la majorité reproduit les mêmes ouvrages, histoire de se faire de l’argent de poche en arnaquant des touristes qui feignent d’être naïfs et qui s’offrent une conscience sociale pour quelques euros ou quelques dollars.

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Certains intellectuels osent retrousser leurs manches et descendre dans la boue pendant que d’autres «grands penseurs» se camouflent derrière cet accent distinctif, ni français ni sénégalais, des senghoriens de fortune, nostalgiques des belles lettres, bardés de titres à dormir debout et dont les poches sont trouées pour la plupart.

Une poignée de chauffeurs de taxi, de femmes de ménage, de menuisiers, de poseurs de carreaux, de ramasseurs d’ordures, de «gens qui suent» se conscientise, mais ils finissent tous par tourner en rond. Eux aussi, dignes représentants de la société civile, finissent sous l’ombre d’un arbre du quartier, le traditionnel arbre à palabres, à boire un deuxième ou troisième verre de ataya, désignant le maraboutage comme source de leurs mille et une misères.

David a peut-être battu Goliath une fois ; hélas, que pourrait-il vraiment face à la société-spectacle, pleine de maquillage bon marché, de greffages, de beaux kaftans ; face à l’éloquence «griotique» ? Le savoir-paraître est si essentiel pour être un bon spécimen, pour un être un digne descendant de ce bon vieux Lat Dior ou de Aline la coquine. Dans cette belle pièce de théâtre intitulée Notre pirogue, chaque comédien joue un rôle savamment rédigé par les gardiens du consensus.

On préfère voir des lutteurs lutter plutôt que lutter soi-même. L’autorité, les croyances, les institutions, l’espoir, la douleur, le politiquement correct, le socialement approprié, les mœurs, les rires, les pleurs… même les grossièretés sont prévisibles.

Le principe est simple : Tout doit être fait en bonne et due forme. Les costumes sont sur mesure. Evidemment, il n’y a qu’une seule mesure.

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Cela dit, des questions silencieuses et discrètes s’imposent :

Existe-t-il dans l’inconscient collectif sénégalais une brèche qui laisserait passer un souffle nouveau ?

Pourrions-nous briser les cellules mentales du passé et nous envoler vers le 22e ou le 25e siècle ?

Oserions-nous un jour inventer une grammaire de l’audace, conjuguer la cohésion sociale différemment, repenser la superficie du territoire, la place du pays de la téranga dans la voie lactée ?

Allons plus loin… Pourrions-nous changer les textes officiels au lieu de les rafistoler ?

Le pays est certes indépendant, mais le citoyen l’est-il vraiment ?

Pourrions-nous changer nos idées quant à la marche de la société au lieu de nous réfugier derrière des discours si sophistiqués ?

De toutes les manières, ils disent tous à peu près la même chose : «Donnez-moi le pouvoir, démocratiquement de préférence (en général, ça rassure les pontifes des marchés financiers), il y va de l’intérêt de la Nation.» Eh bien parlons-en de l’intérêt de la Nation, sans détour : manger à sa faim, dormir sous un toit décent, s’instruire selon ses besoins et ses passions, se soigner convenablement… Autrement dit, faut-il vraiment courir après le pouvoir pour résoudre ses propres conflits intérieurs, pour se sentir exister ?

Il y a tant de choses à découvrir, mais si peu de courage pour affronter l’inconnu. Le savoir est à portée de main. Mais l’heure n’est toujours pas à la saine curiosité. Elle est au voyeurisme, au narcissisme des «selfies» et aux relations virtuelles.

Dans cette tragédie psychosociale, la dissonance pourrait-elle avoir un écho favorable ?

Dans ce jeu de dupes, qui pourrait bien porter le flambeau de l’esprit critique ?

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Je me pose la question.

J’exige une réponse.

Et si cela vous dérange, faites quelque chose… réinventez le monde ; ça sera un bon début !

 

Djiby NDIAYE Gaynde

Un citoyen qui s’interroge

gaynde1930@yahoo.com

 

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