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Le Jeu Politicien Ou L’art De Perdre En Politique

Le Jeu Politicien Ou L’art De Perdre En Politique

Le jeu politicien jadis se jouait dans l’ombre, à l’abri du regard du public, du jugement de l’opinion publique et de la morale dont il n’a jamais eu à respecter les règles. C’est le jeu de l’ambition et du désir ; de l’envie et de la puissance. Fouillez dans les cercles restreints de tous les grands hommes de l’Histoire, vous ne trouverez que combines, intrigues, trahisons et autres actes réprimés par la morale. C’est cet art de l’intrigue que Machiavel a si bien décrit dans le Prince ; à relire pour nos amateurs de politique au Sénégal.

L’action politique est toute autre chose. Elle en est le versant extérieur, plus raffiné, mieux présenté, plus conforme à nos valeurs sociales. Elle ne peut souffrir d’aucune aspérité car elle fait miroiter aux citoyens ce que pourrait être leur devenir. Et, les hommes et femmes qui la portent et qui espèrent diriger leurs concitoyens doivent friser la perfection dans leurs comportements et leurs attitudes. Ils se doivent être des gardiens de notre morale.

Or, avec le développement de la presse et des technologies de l’information et des communications (TIC), la démocratie s’est partout enrichie de l’immixtion de l’opinion publique dans le jeu politicien lui permettant de voir comment les politiciens forment et exécutent leurs intrigues et complots, arrangent leurs combines, s’y mouillent et préparent leurs justifications ultérieures. Cette implication permet surtout à l’opinion publique de savoir les moindres recoins de la pensée et des ambitions des politiciens, leurs faits et gestes ainsi que les relations qu’ils tissent dans le jeu politicien. Elle permet aussi de voir comment le politicien organise ses moyens politiques et financiers (le nerf de la guerre) qui se distinguent difficilement de ses moyens personnels, renforçant parfois une certaine perception de corruption. Tant mieux si l’opinion est mieux informée, mais comme partout dans le monde, son implication dans le jeu politicien a conduit à la perte de respectabilité des politiciens et au désintérêt des citoyens de la chose politique.

Il est peut-être temps de faire de la politique autrement, avec d’autres manières, méthodes et moyens. Mais gardons nous de toute naïveté, le jeu politicien demeurera et restera longtemps encore avec les déficiences que l’on vient de noter, elles lui sont naturelles puisque liées à la fragilité des êtres qui y participent. Peu d’entre eux sont motivés pour une réelle action politique au bénéfice de leurs concitoyens, fondée sur une révélation des préférences individuelles, une agrégation de celles-ci en choix publics dans l’intérêt général déclinée en politiques publiques efficientes. Le jeu politicien voudrait rester secret ; mais les médias et les TICs le dévoilent et l’exposent. L’opinion publique le méprise, l’entend sans l’écouter et le voit sans le regarder comme un film de mauvais goût sans aucun rapport avec les affres de la vie. Mais elle juge sévèrement et retient ses aigreurs durablement.

Le jeu politicien se déroule sous les yeux des populations sans jamais s’intéresser au sort et au devenir de celles-ci. Le tout pour lui rester d’amuser et d’attirer l’attention des médias. Pour n’offusquer personne un exemple pris sera d’un passé déjà lointain à l’échelle de temps du jeu politicien mais pas à celle de l’action politique : la réconciliation en direct sur la télévision sénégalaise de M. Idrissa Seck et de M. le Président Wade en février 2007, juste avant les élections. Elle offre un belle illustration de ce qui jadis se passait dans les coulisses de la politique et dont les résultats restaient les mystères, les sources des mythes de la politique pour les citoyens. « Ngour da and ak Koumpa».

Idrissa Seck s’était construit une image de victime du Président Wade et demeurait encore chez certains une icône de la résistance au PDS. Associé à Tanor et Bathily, il venait de constituer une alliance dont il était un élément central, Jamm Ji, et qui pouvait être dangereuse contre le PDS. Avec ce montage, pourquoi pas un second tour Wade – Seck ? Mais voilà, les ressources de M. Seck commençaient à tarir du fait de comptes bloqués par la Gouvernement et de l’impossibilité à voyager et surtout d’une probable surveillance électronique très serrée.

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L’homme était aussi coutumier de précipitation dans des moments de décision critique. Il s’était vu remplacer Wade avant l’heure. Il s’était vu 4ème Président avant le vote. N’est ce pas la source de tous ses problèmes politiques. Le Président Wade, plus de 81 ans, avait quant à lui des travaux ambitieux sur les bras et une conférence internationale à mener à bien 2008. Il disait avoir besoin d’un mandat supplémentaire pour achever son œuvre. Mais, l’état de son parti et de l’opinion publique l’inquiétait. Le risque que représentait l’alliance Jamm Ji n’était-il pas trop grand ? La contrainte qui leur était commune était le temps : la date du 25 Février 2007 approchait, il leur fallait faire vite, très vite.

Idrissa Seck choisit une stratégie de prétention, celle de la grenouille qui voulait devenir bœuf : demander beaucoup, prendre beaucoup, toujours plus. La stratégie de Wade était simple: tout concéder en privé pour autant que Idrissa revienne au PDS avant la présidentielle et qu’il cesse de représenter une alternative pour ne devenir qu’une variante du Maître : Idrissa voulait être blanchi, Wade le blanchira, « même si Idrissa Seck le voulait Abdoulaye irait jusqu’à dire que son fils d’emprunt fût un Saint et pourquoi pas un prophète ». C’est cette stratégie de l’étouffement que l’adage anglo-saxon résumait par « Kill him with love ».

Dans ces objectifs et stratégies des protagonistes rien qui relève de l’intérêt national ou de celui des populations. Tout est pour eux.

Devant la presse Maître Wade choisit de faire deux choses : d’un part, fixer le temps en annonçant le retour de Idrissa Seck au PDS et d’autre part, s’emmurer dans un profond silence espiègle pour laisser son ex Premier Ministre choisir lui-même un couteau, de l’aiguiser et de commettre tout seul son harakiri devant le peuple sénégalais médusé en confirmant de vive voix son retour auprès du « père ».

La stratégie du Maître marcha si bien que Idrissa Seck finit par dire « j’ai retrouvé auprès de lui l’affection… ». Oubliant que dans la langue de Molière, si ce mot évoque bien la tendresse, il signifie aussi maladie. Et, la maladie qu’il contractait alors n’était pas celle qui résultait de la diabolisation dont il avait déjà fait l’objet lors de son séjour à Rebeuss pour détournement de deniers publics. C’était celle qui fait que par son propre comportement, l’individu se fasse honnir des siens et de tous ses soutiens parce qu’il aura tout trahi toutes les valeurs que il prônait, ses amis et ses alliés. Tout cela pour mettre fin à la galère ou pour obtenir une part du pouvoir. Avec cette maladie, Idrissa Seck pouvait peut-être retrouver les douceurs d’une certaine tendresse, mais il resterait à jamais affecté.

Maître Wade venait de signer le premier crime parfait du jeu politicien sénégalais. En effet, crime ne peut être plus parfait que de convaincre à l’insu de tous sa victime à se suicider en public. Et c’est ce que Wade fit d’Idrissa Seck. Maître Wade confirmait ainsi aux sénégalais son art consommé du jeu politicien. Et, Idrissa Seck, lui, devra attendre l’extinction du soleil pour renaître de ses cendres et retrouver une crédibilité ou plus simplement du crédit et un reflet d’intégrité auprès de ses concitoyens.

Mais, Jeu politicien n’est pas action politique. En effet, l’action politique est le moyen par lequel l’Homme politique s’inscrit dans l’histoire de son peuple. Elle ne se résume pas à ce que l’homme politique réalise de son vivant pour que ce peuple se rappelle de lui: les monuments, les bibliothèques. Qui se rappelle vraiment du nom du Roi qui ordonna la construction de la Bastille? Pour nos contemporains qui s’intéressent à cette bâtisse, seule la prise de Bastille évoque un moment particulier de la libération d’un peuple. L’action politique de l’Homme d’Etat s’inscrit dans l’Histoire si et seulement elle a conduit à un changement significatif dans la perception dans les valeurs auxquelles adhère et selon lesquelles vit son peuple.

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L’œuvre de Mandela en est un exemple éloquent : il n’a construit aucun monument ou édifice en Afrique du Sud, même pas la route qui mène à son village natal de Qunu. Pourtant, Mandela est entré non seulement dans l’histoire sud-africaine pour son combat et sa victoire dans sa lutte de libération, mais aussi dans l’histoire du Monde pour sa promotion sans répit de la justice, du pardon et de la bonne gouvernance et son sens extraordinaire de la tolérance. Il a contribué à donner un exemple positif au monde qui, dans les années 90, se libérait des jougs de l’Apartheid et des Goulags, ces dictatures fondées sur la haine, le mépris et sources de tant de confrontations entre les hommes. Un monde qui se cherchait de nouveaux repères.

L’Homme Politique ambitionne d’améliorer le destin de son peuple, non le sien ou celui des siens. Son action politique devient sa légende personnelle qui ne peut faire l’objet ni d’un emprunt ni d’un prêt. Elle ne peut pas faire l’objet de lègue; on ne peut en hériter. La grandeur d’un Mandela est que l’idée même d’une dévolution monarchique de son pouvoir à Maki (sa fille) ne pouvait effleurer sa pensée. Cette même idée de dévolution du pouvoir qui fit la perte de Maitre Wade. Comme quoi, même les as du jeu politicien finissent toujours par y perdre.

Le jeu politicien est certes un art, mais un art voué à perdre. Alors que Mandela, lui qui est d’ascendance royale chez les Xhosa T’embu, a inscrit son action politique dans la consolidation d’un marché politique sud-africain fondé sur des valeurs partagées par toute la diversité raciale, ethnique et sociale arc-en-ciel, à égale distance du noir et du blanc, du Xhosa, du Zulu et Ndébélé. Ce sens de la tolérance est son lègue à son pays et au monde pour lequel l’Histoire le retiendra. Aucun prix, aucune décoration n’a été nécessaire pour le lui signifier.

Malheureusement pour nos compatriotes, la politique au Sénégal se résume au jeu politicien, un théâtre mi-comique, mi-tragique où les acteurs se dénudent de leur « soutoura » pour des gains hypothétiques de proximité au pouvoir. Les méthodes de la négociation entre les politiciens y sont bien visibles à tous les sénégalais qui en comprennent parfaitement le principe et la motivation : l’appât du gain. Les mouvements citoyens et partis politiques foisonnent, à partir de la colère ou du désir d’attirer l’attention du pouvoir de l’un ou l’autre membre de la jet-set politique. Le peuple est souvent dépité par des alliances contre-nature. Mais, il n’est pas dupe et s’associe au jeu pour autant qu’il y retrouve ses intérêts : participation aux activités politiques contre rémunération, promesse de vote contre un sac de riz. Il engrange sans dévoiler la réalité de ses choix aux acteurs du jeu politicien.

Le peuple sait pertinemment que la saison des élections reviendra et il votera pour les hommes et femmes politiques qui lui proposeront une véritable action politique pour un meilleur devenir, c’est à dire des choix publics fondés sur ses préférences et utilités individuelles révélées et agrégées : la demande sociale qui recouvre aussi ses besoins en termes de valeurs à défendre pour un avenir juste et radieux. Un seul homme politique a jusqu’ici pris la peine de sillonner systématiquement les contrées du Sénégal sur plus de 90000 km en trois ans avant 2012, au plus près des populations pour les écouter, les comprendre et agréger leurs demandes en une véritable programme de développement national. C’est l’actuel Président de la République, Macky Sall ; et c’est la Yonou Yokkuté, le premier programme de développement national (offre politique) non fondé sur les élucubrations de la bureaucratie et des partenaires aux développement. Il est décliné dans le Plan Sénégal Emergent en cours de réalisation.

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La proximité du peuple est la seule source de légitimité et de réalisme de l’action publique. Le peuple le sait et au moment de la féroce détermination par le vote, il révèle sa mesure des poids politiques véritables des acteurs du marché politique national et comme toujours les politiciens chutent dans la détresse de leur performance ridicule. Combien d’ambitieux membres de la jet-set politicienne se sont crus, dans l’histoire politique contemporaine du pays, investis d’une mission auprès des sénégalais, pour finir avec des performances électorales tendant asymptotiquement vers 0% lors de récentes joutes électorales.

Et, ce n’est pas près de changer, les cyber-politiciens comme Malick Gakou, Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko ne feraient pas, en ordre de grandeur, plus de 0,1% chacun, si les élections présidentielles devaient se tenir aujourd’hui. Outre leur distance des préoccupations du pays, leur offre politique respective n’est pas à la hauteur de leurs prétentions. Ces politiciens du net ignorent le premier postulat de l’action politique : l’exigence de proximité des citoyens, contribuables et consommateurs ; ces électeurs qui sont en définitive les décideurs souverains de l’action politique.

Ainsi le marché politique sénégalais se purgerait régulièrement de cette multitude de prétentions politiciennes qui germent continuellement pour animer notre vibrante démocratie, tout comme la nature se débarrasse des herbes folles (« sakhayaye ») pour ne laisser prospérer et fleurir que les plantes utiles.

Selon le même sondage les Idrissa Seck, Khalifa Sall et autres hommes politiques de second rang s’en sortiraient à peine avec quelques points bien en dessous de 5%. Ils paieraient ainsi leur participation active quasi-quotidienne au jeu politicien, surtout dans l’espace cyber; on ne les entend rarement dans la formulation de propositions de choix publics destinés à répondre à la demande sociale nationale ; ils communiquent toujours sur leurs intérêts propres pour se promouvoir comme des victimes du régime actuel.

Ils n’ont jamais compris que, dans l’histoire politique sénégalaise, les seuls opposants à battre des régimes en place, Senghor face à Lamine, Wade à Diouf et Macky face à Wade, l’ont fait en offrant une alternative convaincante, avant tout endogène, et non en se présentant en victime ou messie envoyé pour sauver ce pays. Depuis 1848 le Sénégal est béni d’un marché politique efficient ; le jeu politicien n’y a jamais gagné de manière durable. D’ailleurs comme le montre le même sondage, dans l’opposition, seul le PDS trouve encore une grâce non négligeable (de l’ordre 20%) auprès des électeurs, toutefois bien loin du Président Macky Sall qui serait largement réélu dès le premier tour d’une telle élection.

En définitive, le jeu politicien coûte au politique lorsqu’il s’étale dans tous les médias, au su de tous; il dissout le sens du discours politique qui chercherait toujours plus d’effet, quitte à en perdre les faits sur lesquels se fondent la réalité du marché politique, des utilités individuelles et collectives, telles que l’évaluent les électeurs.

 

Dr Abdoul Aziz MBaye Diéry

Chevalier de l’Ordre National du Lion

AMBS Stratégies & Décisions

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