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Modou Le Charretier

Modou Le Charretier

George Orwell le célèbre écrivain et artiste anglais disait : « A cinquante ans, tout le monde a le visage qu’il mérite. » Le Sénégal a 55 ans. A-t-il le visage qu’il mérite ?

9 h sur l’avenue qui porte le nom d’un des plus illustres fils d’Afrique, je veux nommer Cheikh Anta Diop. Pendant que je gérais l’anxiogène lundi matin, surgit une charrette surchargée d’ordures qu’elle déversait tranquillement sur la chaussée pendant qu’elle roulait. De plus, son cheval était si rachitique qu’il avait du mal à freiner des quatre fers. Du coup, j’ai dû l’éviter de justesse. Surpris et énervé, je sortis de ma voiture pour expliquer au charretier qu’il était en train de salir la chaussée et qu’en plus, il n’avait pas le droit de circuler sur cette avenue. La réponse de ce dernier fut sans appel. Pour lui, non seulement il était dans son plein droit, mais en plus je devais m’occuper de mes propres affaires. N’ayant pas le profil type du Sahélien, j’ai voulu l’affronter, mais le gabarit de Modou le charretier armé de son légendaire bâton m’a vite convaincu de reconsidérer ma posture belliqueuse.

Sur le chemin, ayant repris mes idées après ce choc matinal, j’ai compris. J’ai compris que Modou transportait autre chose que des ordures, il transportait le mal sénégalais, il transportait l’indiscipline, le désordre, l’illettrisme, la saleté, en un mot l’incivisme.

Des milliers de charrettes, des milliers de mendiants et j’en passe et j’en passe encore dans notre capitale, notre vitrine.

Ça n’existe qu’à Dakar.

Un collègue canadien, après quelques jours d’un séjour à Dakar, m’a posé une surprenante question : « M. Diagne, êtes-vous confiant que le progrès est possible dans ces conditions ?» Touché dans ma sénégalité, mes laborieuses tentatives d’explication le rendaient de plus en plus sceptique. A preuve, son silence en disait long.

Entre-nous, à ce rythme, ce laisser-aller va nous aspirer doucement et sûrement tel un sable mouvant.

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Demain sous-entend le futur, la transformation. En d’autres termes, est-ce que notre futur est pensable. Est-ce que notre futur ne sera pas le prolongement de ce présent ?

En voulant être précis avec une langue aussi nuancée que le Français, j’ai consulté le dictionnaire Larousse pour avoir l’exacte définition du mot CHANGEMENT : modification profonde, rupture de rythme ; tout ce qui rompt les habitudes, bouleverse l’ordre établi.

Je me suis dis alors ! C’est ce qu’il nous faut : le changement.

Il faut que Modou le charretier change pour que le Sénégal change. Car Modou n’est que l’image d’Épinal de cette armée de destruction massive qui constitue aujourd’hui une force centrifuge sur notre chemin vers le développement. On dépense des milliards pour construire des infrastructures qui durent le temps d’une rose.

Ça n’existe qu’à Dakar.

En effet, nos dysfonctionnements ne naissent-ils pas de l’interaction entre notre environnement physique et notre structure mentale, donc de nos comportements. Nous sommes pauvres de nos comportements et non parce que nous sommes pauvres qu’on se comporte ainsi.

Un enfant qui grandit dans le désordre est mentalement désordonné, comment peut-on en faire alors un futur citoyen-acteur.

En 1998, une étude avait démontré que les difficultés de mobilité coûtaient chaque année 108 milliards à l’économie sénégalaise sur un PIB qui était de 2 968 milliards, soit 3,6%. Actuellement, sans risque de nous tromper, les différentes perturbations de notre cadre de vie nous coûteraient au moins 5% du PIB.

Tous les pays dits émergents en Afrique, du Botswana à Maurice, du Cap-Vert jusqu’au Rwanda, ont compris qu’un bon cadre de vie est non seulement le commencement de l’émergence mais aussi un indicateur qui se transforme en points de croissance économique, et en point dans le Doing business, donc de l’attrait des investissements. Le lien entre le cadre de vie et la croissance n’est plus à démontrer. Avez-vous déjà vu une économie émergente dans le désordre ? Prenons l’exemple du secteur du tourisme. Nos comportements toxiques ont participé pour beaucoup à engloutir un secteur longtemps vanté comme étant un des piliers de notre économie.

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Le Sénégalais est indiscipliné, Dakar est Sale et déprimant !!!

Or nous n’avons besoin ni de bailleurs, ni de soi-disant partenaires techniques et financiers pour l’organisation de nos espaces, l’ordre, la discipline et la propreté.

Quel qualificatif donneriez-vous à un adulte de 55 ans qui n’est pas propre sur lui ? Personnellement, je le mettrais sous tutelle.

Mais revenons à Modou. Pour qu’il change, il est dispensable de comprendre pourquoi Modou se comporte ainsi.

Modou a un problème d’identité : il aime son terroir plus que le Sénégal son pays. C’est son groupe d’appartenance qui est important pour lui, le macro ne l’intéresse pas, c’est du virtuel pour lui. Il est dans sa micro-communauté. Pour lui, la république n’existe pas ; il n’a pas fait son école, ni ne parle sa langue ; il ne chante même pas son hymne, son drapeau est juste un morceau de tissu tricolore que les jeunes brandissent lorsque le Sénégal gagne un match de foot.

Il peut donc faire ce que bon lui semble d’autant plus qu’il ne rencontre la république que très rarement. Ce craquement de la séparation entre Modou et sa nation, nous n’avons pas assez prêté une oreille attentive.

Oui, nous avons un sérieux problème avec notre verticalité, nous avons des groupes qui se superposent, se juxtaposent mais qui ne font pas un. Donc c’est dans les interstices de ce mille-feuille identitaire qu’il faut trouver les solutions. Amin Maalouf ne parlait-il pas d’identités meurtrières ?

Mais à partir de quel moment peut-on changer Modou ?

Notre transformation commencera lorsque le niveau d’insatisfaction de notre situation sera tel que, comme un seul homme, la majorité dira : ASSEZ ! ÇA SUFFIT ! Or, cette masse critique est en constitution.

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Oui la majorité des Sénégalais sont fatigués du désordre.

Pour nous transformer et transformer notre pays, il faut reprendre la narration de notre histoire pour mieux la maîtriser. Qui sommes-nous ? Que voulons-nous faire de notre pays ? Autrement dit quel est notre projet de société ?

Nous ne pourrons jamais faire l’économie de ces interrogations si nous voulons réconcilier le Sénégalais avec son pays. Disons-le clairement, le Sénégalais a un problème d’estime de soi : il parle mal de son pays « dekk bi du dem », « dekk bi ceci, dekk bi cela…. »

Il faut donc une déconstruction de cette psychologie d’auto flagellation pour recoudre les gerçures qui enlaidissent notre citoyenneté.

Pour que les ordures que font tomber Modou de sa charrette deviennent des perles qui ont pour noms ordre, discipline, civisme.

Parlons de patriotisme. De cette fibre émotionnelle, de ce sentiment d’appartenance sociale, culturelle et économique. Posons-nous quelles questions à ce sujet.

Qu’est-ce que nous avons fait ?

– Qu’est-ce que nous avons fait pour lever nos bras et accepter le tout venant de l’étranger comme supérieur ?

– Qu’est-ce que nous avons fait pour perdre confiance en nous ?

– Qu’est-ce que nous avons fait pour que tout le monde pense qu’il peut marcher sur nous et nous donner des conseils contraires à nos intérêts, nos valeurs et croyances ?

Avant de construire des routes et des ponts, il faut d’abord construire un « Modou Emergent » pour qu’il ne soit plus irrévérencieux envers les symboles, les biens publics… Mais pour y arriver, il nous faut un leadership fort, clairvoyant et incontestable.

 

Baye I. Diagne

Drxuly1@yahoo.fr

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