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Quand Le Logos Tue Le Logos : Pourquoi Cette Surabondance De La Parole ?

Quand Le Logos Tue Le Logos : Pourquoi Cette Surabondance De La Parole ?

C’est par le verbe que le monde fut crée, mais au regard de l’altération actuelle du verbe, il y a lieu de redouter que par la parole le monde s’achemine tout droit vers la décadence. L’efficacité étant l’unique souci dans les formes actuelles de la communication, la censure morale à laquelle s’astreignaient les anciens par sagesse a cédé le pas au libertinage verbal dans notre pays. Tout peut être dit au nom de la liberté, même si les conséquences qui en découlent se révèlent être désastreuses pour la liberté. C’est vrai que la libération de la parole n’est pas un phénomène spécifique au Sénégal, mais le DÉLIRE national auquel nous sommes soumis est sans nul doute une perversion de la vocation naturelle de la parole.

La parole a pour première fonction la communication, le rapprochement des consciences, la réduction des différences et surtout la résolution des différends qui, comme on le sait, naissent pour la plupart d’un défaut de communication. Au contraire, au Sénégal la parole devient une source constante d’implosion, une menace à l’unité nationale parce qu’étant simplement au service des passions et non de la saine raison. L’alternance politique survenue le 19 mars 2000 a été un déclic à l’émergence d’une nouvelle conscience citoyenne. Les Sénégalais, par cet événement, se sont réconciliés avec la chose politique et se sont mis dans la perspective d’exiger de plus en plus une participation active à la démocratie. Le débat politique est désormais ouvert et tous les tabous sont levés.

Seulement cette ouverture médiatique et la libération de la parole qu’elle facilite ont été capturées, domestiquées et finalement dénaturées par des procédures manipulatoires au service de la propagande. C’est qu’une participation directe des citoyens aux affaires de l’État est une valeur cardinale en démocratie, mais sa réalisation effective, sans dérive ni divagation, est liée à plusieurs paramètres. Ces paramètres sont d’ordre intellectuel, culturel et économique. Donc ne participe pas aux affaires publiques qui veut : il faut en avoir les moyens. Or si l’on considère les paramètres intellectuels et économiques on peut facilement comprendre qu’une participation directe des citoyens est rendue problématique par la situation économique et intellectuelle de la frange la plus importante de la population Sénégalaise. Les plus instruits parmi nous sont submergés par des problèmes économiques de sorte que la lucidité nécessaire à l’analyse systématiquement critique des faits devient un luxe.

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Il y a donc une tropicalisation de ce rêve de la participation des citoyens au jeu politique ; tropicalisation consistant à bricoler et à transformer tout ce qui se fabrique ailleurs. Ainsi, au lieu que la parole se mette au service d’un débat civilisé, fondé sur des convictions doctrinales, économiques et sociales, c’est tout le contraire qui s’est produit. Ça parle de toute part ! Et au lieu que la parole embrasse tous les secteurs du champ social, elle est outrancièrement focalisée sur le débat politicien et démagogique. Ça parle ! Tout le monde sait tout et tout le monde dit tout.

Mais le comble de ce délire national c’est que personne n’écoute personne et personne ne retient rien. La propagande est alors devenue l’arme des politiques et on assiste à une entreprise consistant à formater les consciences pour qu’elles se prêtent au jeu frivole consistant à parler de choses qu’elles n’ont pas vécues ou dont elles ne savent pas grand-chose. On pense et discute désormais par procuration : « j’ai lu dans la presse », « je l’ai entendu à la radio » sont désormais les prémisses du raisonnement de ceux qui cherchent à faire croire qu’ils sont politiquement « branchés ». Le discernement, la capacité critique sont, par un jeu diabolique, étouffés de plus en plus en faisant croire que ce qui a été dit à la radio ou lu dans la presse est indiscutable. Après avoir fait des dires du journaliste une Bible ou un dogme, on nous balance leurs propos comme des preuves tangibles. Or le monde du journalisme reste un monde où la cupidité et la mégalomanie rendent impossible toute indépendance voire toute neutralité.

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Le dialogue forme achevée de la communication, est ainsi assassiné sur l’autel d’une communication unidimensionnelle, une propagande. On évoque « un avis majoritaire » non prouvé, mais au contraire extrait de l’illusion (au sens de machination), et on astreint le citoyen d’accepter « l’évidence » qui n’est que de la manipulation. C’est là une forme « à la Sénégalaise » de ce que Alexis de Tocqueville appelait la « tyrannie » de l’avis majoritaire qui, parce qu’étant intériorisé et finalement sacralisé, devient une norme incontestée, un dogme qui étouffe la capacité critique. On invective, on profère des injures et on dit que c’est conforme à l’avis majoritaire. Voilà ce qu’est devenue la parole libérée : l’expression d’une pensée morte, violente. Or une parole libérée de la décence et de la vérité pour ne viser que la persuasion à tout prix, est le signe de l’agonie de la discussion sérieuse et constructive. La manière dont les débats sont animés dans les stations de radio, le choix des thèmes, la forme des questions, le choix des invités, rien de tout cela n’est fortuit. Tout contribue à formater les consciences dont la liberté de la parole est, par ce biais même, sournoisement usurpée.

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Alassane K. KITANE
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