Le Sénégal a la chance, en Afrique, d’avoir toujours compté de brillants esprits qui se sont illustrés sur l’international. Son système éducatif, bien que sujet à de nombreuses imperfections, reste l’un des plus cotés et appréciés du continent. Cependant, à voir les sujets qui captivent l’attention de nos populations et les orientations des débats dans nos médias, tout porterait à croire que l’on se refuse au développement d’idées.
« Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens. »
A la lumière des dires susmentionnés d’Eleanor Roosevelt, les sénégalais, s’ils ne sont dans la catégorie des petits esprits, se cantonneraient volontiers dans celle des moyens. La lumière jaillit des échanges ! Le peuple sénégalais pousse à reformuler cet adage : la lumière jaillit des échanges d’idées.
Il suffit de prêter une oreille attentive aux interventions dans les émissions télés et radios pour apprécier la légèreté de bien des débats. Légers parce qu’ils dévient de l’essentiel. Pendant que l’on devrait s’intéresser à des questions stratégiques telles que celles touchant à la réforme de la politique agricole, l’industrialisation, la forme du chômage et la politique de promotion de l’emploi, le système éducatif, la politique monétaire, le fisc, le financement des PME ou la participation des religieux au développement socio-économique, l’on préfère se concentrer sur des questions futiles qui n’impactent que trop peu notre bien-être.
Lorsqu’en quelques occasions ces sujets sont sur la table, le débat d’idée se trouve relégué, de fait, au second plan. Un exemple récent l’illustre bien : Il n’y a pas si longtemps, l’assemblée nationale a décidé, par le vote d’un projet de loi, de fixer le capital minimum d’une SARL à 100 000 FCFA. Il est désolant de voir le peu d’intérêt suscité par une décision aussi importante qui impactera inéluctablement sur la création d’entreprises, la consolidation de l’assiette fiscale, la crédibilité de ces sociétés… Les médias, influents, n’ont pas aidé à poser le débat et à renseigner davantage sur le sujet (13 jours après publication, ce 28/04/14, l’article n’a enregistré que 2 commentaires sur Seneweb).
Quoi de plus habituel, au Sénégal, que de voir un combat de lutte occuper la scène médiatique et les débats dans nos causeries pendant plus d’une semaine ? Le cas de la lutte, souvent évoqué, ne traduit que trop bien notre attachement à ces futilités.
La promotion de la médiocrité
La relégation au second plan du développement des idées dans nos débats a pour conséquence la promotion de la médiocrité, principalement dans la politique. Elle avait pour réputation, dans les sociétés anciennes, de regrouper les esprits éclairés. Force est de reconnaitre qu’au Sénégal d’aujourd’hui, nos Hommes politiques nous ont habitués à des échanges houleux portant, le plus souvent, sur des personnes et le passé des partis, au détriment des idées et des analyses approfondies.
Cela promeut, à juste mesure, des politiciens qui ne peuvent se prononcer lorsqu’une minute est prise pour faire place aux idées. Ceux-là, par la complicité du peuple, se sont forgés une carrière par les invectives et l’apologie de personnes. Ils remplissent l’assemblée nationale et, ne pouvant participer pertinemment aux débats, se confinent au rôle qui est le leur : applaudir.
En 2012, la question de la légalité de la candidature du président WADE a été au centre de la campagne électorale. Bien que de nombreux partis aient élaboré des programmes intéressants, leurs teneurs n’ont été que trop peu discutés, analysés ou soumis à l’appréciation du grand public. Le programme socio-économique du Dr Abdourahmane SARR, dont la candidature a été refusée, méritait une plus grande attention. Il avait cette particularité de toucher des sujets comme la monnaie, la participation citoyenne et l’autonomie économique locale. Malheureusement, le débat était ailleurs.
La presse au service du progrès
Les médias doivent, dans une démocratie, aider le citoyen à avoir un jugement éclairé avant une prise de position. C’est un acte citoyen que de mettre en avant les échanges d’idées, au profit de l’opinion. Cela suppose avant tout une bonne formation pour ces personnes préposées à la modération de ces échanges. Force est de reconnaitre que les initiatives ne manquent pas dans le paysage médiatique. Ce serait malhonnête de faire fi du « grand rendez-vous » de la 2stv ou de « Remue-ménage » de la Rfm qui ont su se faire une place au milieu de l’offre de programme indifférenciée de ce pays.
N’a-t-on pas vu des animateurs d’émissions musicales se retrouver sur des plateaux où l’économie et la politique étaient visitées ? De tels actes ne permettent pas l’approfondissement des débats et cantonnent ces derniers sur des aspects superficiels et peu instructifs. Le célèbre Boubacar DIALLO, un professionnel incontesté dans ce qui est sa prédilection, a laissé de nombreux Sénégalais sur leur faim lorsqu’il recevait l’ancien premier ministre Abdoul MBAYE sur le plateau de Rooyukay. Telle une récitation, les questions ont été plaquées à l’endroit de ce battant de l’économie Sénégalaise, sans objections ou relances pertinentes.
La presse a le pouvoir d’abroutir ou de conscientiser un peuple. Il relève de son caractère citoyen d’avoir une ligne éditoriale contribuant à la bonne marche de la cité. Les responsables des organes de presse, ainsi que tous ceux qui sont préposés à la publication et à la diffusion, se doivent de promouvoir le débat utile.
L’école sénégalaise, la complice ?
L’école sénégalaise a une part de responsabilité dans ce manque d’intérêt pour les débats de fond et la réflexion. Notre système éducatif utilise encore des méthodes, surtout en termes d’évaluation, qui ne permettent pas cet investissement souhaité. Pourtant, les « exposés » restent un moyen incontestable pour pousser les apprenants à s’intéresser aux échanges sur des préoccupations communes. Pour autant, ils ne devraient pas se cantonner à des sujets figés et traditionnels. Ils doivent s’intéresser à l’actualité et aux sujets qui feront notre avenir. Il urge, tout simplement, de promouvoir davantage le caractère interactif de la pédagogie dans nos établissements.
Toutefois, certaines initiatives, telle l’émission télé « Débattons », sont venues à point nommé. Cette émission a particulièrement mis en évidence la qualité des étudiants et leur capacité d’analyse et d’argumentation. La Jeune Chambre internationale, par le biais de son concours national d’art oratoire, participe depuis près de 6 ans à la promotion des esprits éclairés. Le thème de l’édition prévue ce mois de mai 2014, “Civisme et leadership pour le développement communautaire”, témoigne de leur engagement.
Facebook, le paradoxe !
Contrairement à l’idée qui est généralement véhiculée à propos de Facebook, le réseau social constitue l’un des plateaux privilégiés pour les échanges d’idées. Parallèlement à son côté distractif, les internautes sénégalais ont pris l’habitude, dans certains « groupes », d’échanger avec une remarquable pertinence sur des sujets importants mais touchés à peine dans nos médias.
Les plateaux particulièrement relevés qu’on y retrouve s’expliquent, en partie, par l’accessibilité et l’ouverture de ces sénégalais avertis qui échangent et n’ont pour principal objectif que le partage du savoir. C’est avec plaisir que beaucoup de nos compatriotes ont pris l’habitude de suivre des internautes tels le Dr Chérif Salif SY, Gorgui Wade NDOYE, Serigne Abdou Aziz Majalis, Khadim NDIAYE, Sëriñ Mbàkke Je?, Lansana Gagny Sakho, Mohamed Ly, Sogue Diarisso, Hamadou Tidiane SY, Sayyidina Abu Bakr As-Siddiq, pour ne citer que ceux-là, qui font montre d’un esprit d’analyse fécond.
Ce constat, ici présenté, est partagé par de nombreux compatriotes. Dès lors, chacun, en ce qu’il peut, devrait promouvoir les échanges autour d’idées. Les médias, au su de leur pouvoir d’influence, devraient miser sur des ressources humaines de qualité, capables de mener au succès une ligne éditoriale à vocation citoyenne. L’école a un rôle important dans ce changement plébiscité, elle doit pousser les apprenants vers le « débat utile ». Les choix d’une société peuvent laisser apparaître ce qui pourrait être son futur. Il faudrait que la nôtre s’appesantisse davantage sur les débats de fond, d’idées…. les seuls qui peuvent avoir une fin heureuse sur notre situation.
Mouhamadou Lamine Bara LO
baralo@jeunemanager.org