Les concertations nationales sur la santé et l’action sociale se sont tenues à Dakar le weekend passé et devraient, selon toute vraisemblance, statuer sur les maux qui gangrènent le secteur et déboucher sur des propositions de solutions. L’acteur de santé que je suis se propose de se joindre à l’élan national de réflexion sur un secteur hautement prioritaire et sensible que constitue la santé.
Au-delà, le citoyen que je suis marque tout son intérêt sur toute politique dont la finalité serait le mieux être des populations qui hélas, trop souvent hélas, continuent à payer de leurs vies les manquements d’un système nébuleux, inadapté et totalement déstructuré.
Aussi, envisager un programme aussi innovant qu’audacieux, « la couverture médicale universelle », impose d’abord de faire un diagnostic exhaustif de l’existant, ensuite d’analyser les opportunités et limites d’un tel programme avant d’en déterminer subséquemment la faisabilité.
LA SITUATION ACTUELLE DU SYSTEME SANITAIRE SENEGALAIS
Ne considérer que la situation de nos hôpitaux serait insuffisant et réducteur pour mieux appréhender les réels problèmes de santé au Sénégal. Existe-t-il une réelle politique de santé dans notre pays avec des objectifs précis, atteignables, mesurables ? Quels sont les indicateurs d’efficacité et / ou d’efficience adaptés à notre environnement dans le court, le moyen ou le long terme ? Sont-ils appliqués ? A-t-on élaboré des plans de suivi et des mesures correctives ? Assurément non.
L’instabilité qui a marqué le département de la santé ces douze dernières années avec le défilé de ministres très politiques ne saurait s’accommoder d’une politique claire, précise et prospective.
Le secteur a beaucoup souffert ici d’un manque coupable de vision voire d’ambitions.
Seulement toute politique a besoin d’un cadre d’expression et des hommes et femmes pour la matérialiser ; c’est en cela qu’un regard critique sur l’état et le fonctionnement des structures sanitaires devient intéressant. Pour sa place et son rôle dans la pyramide sanitaire du pays, nous nous proposons de nous arrêter sur l’hôpital public sénégalais, assez représentatif du dispositif sanitaire. Il est devenu le condensé de tous les paradoxes, lieu d’espoirs et de frustrations, de soulagement et de détresse, de compétences et d’ignorances, de professionnalisme et d’incivisme.
L’hôpital, au Sénégal, est d’abord malade de ses ressources financières, techniques mais surtout humaines. Nous ferons exprès de ne point nous focaliser sur son plateau technique que l’on sait déjà obsolète et inadapté pour nous appesantir ici que sur son seul capital humain parce que principalement responsable, à notre avis, des maux dont il souffre et élément sur lequel nous disposons de tous les moyens d’action. En effet les sureffectifs des hôpitaux sont criards et appellent un audit social rigoureux. Le pléthore d’agents non indispensables, une gestion administrative souvent décriée, les grèves récurrentes et des comportements et pratiques aux antipodes de l’éthique et de la légalité ont installé durablement l’hôpital public sénégalais dans la précarité et entretiennent son surendettement.
L’essentiel du personnel des hôpitaux est non technique, souvent ne servant à rien et du fait de leur inactivité bloque le système et altère le climat social en interne. Le personnel technique, fortement minoritaire, est démobilisé et en proie à des pratiques de plus en plus peu orthodoxes. La mentalité du médecin sénégalais a beaucoup bougé ces dernières années, la recherche effrénée et sans retenue du gain en est la cause. De ce fait, certains praticiens des hôpitaux, passent plus de temps dans le privé que dans les hôpitaux, et s’ils y sont c’est pour recruter des malades et les dévier vers leurs cabinets et cliniques médicaux privés.
Dès lors l’hôpital se voit concurrencé par ses propres agents qui détournent ses malades les plus solvables. Il s’y ajoute ces nombreux agrégés qui font tous les jours des consultations privées dans les hôpitaux. Comment un médecin, fut-il agrégé ou titulaire, puisse consulter, faire faire à ses étudiants des explorations avec le matériel public dans les locaux de l’hôpital et encaisser des centaines de milliers de francs journalièrement au préjudice du malade et sur le dos du contribuable sénégalais. L’Etat, garant d’un service public efficace et propre, a la responsabilité de mettre fin à de tels agissements et sécuriser les maigres ressources de ses structures.
L’usager hospitalier sénégalais est trop fatigué car le coût en temps, le coût en énergie, le coût en argent et moyens et le coût psychologique sont démentiels car l’hôpital public sénégalais est devenu un haut lieu d’arnaque ; tout est organisé pour rendre l’accès aux soins difficile voire impossible. Dans cette même lancée de rationalisation des effectifs de la santé , il serait intéressant que l’on s’intéresse aux nombreux cas de jeunes spécialistes sénégalais, formés et recrutés par l’Etat et qui refusent ostentatoirement de prendre service à l’intérieur du pays sous prétexte qu’en dehors de Dakar, ils ne peuvent exercer leur « COLOBANE ! (consultations privées) »
Une rationalisation des effectifs en plus d’une utilisation éclairée et optimale des recettes de nos structures de santé devraient à terme autoriser une totale maîtrise des besoins en fonctionnement.
Travailler sur le système sanitaire du pays sans en mesurer l’impact réel du médicament serait prétentieux.
La sécurité sanitaire du pays souffre pour beaucoup de l’inaccessibilité financière de nos populations aux médicaments. Le Sénégal importe plus de 90% de ses besoins en médicaments dont malheureusement le circuit d’approvisionnement est tributaire de beaucoup d ‘intermédiaires. En effet, de l’usine au malade consommateur final, le médicament passe par 3 relais distributeurs, dispensateurs que sont les centrales d’achat, les grossistes répartiteurs et les pharmacies d’officine. C’est trop, rien que pour acheter, stocker et distribuer des médicaments. Le médicament vendu au Sénégal subit 4 marges depuis le fabricant ; ce qui le rend trop cher pour le malade.
Ce diagnostic du système de santé sénégalais met surtout en exergue une absence d’ambition, de rigueur et surtout d’autorité pour d’abord définir des orientations claires, innovantes, mesurables mais surtout planifiées avant d’instaurer une gestion efficace, efficiente et donc optimale des rares ressources financières et humaines disponibles.
Cette situation autorise-t-elle une couverture médicale universelle ?
Le maillage assez significatif du territoire national en établissements sanitaires ainsi que les profils, compétences et potentiels des techniciens sont des atouts non négligeables pour l’accès aux soins de nos compatriotes et étrangers vivant chez nous. De plus, la télémédecine devrait aider à optimiser les résultats attendus des actes médicaux en plus de résorber le gap en techniciens dans certaines localités.
Seulement ici beaucoup de paramètres indispensables au bon fonctionnement du système ne sont maîtrisés et surtout ne s’auraient l’être dans le court –moyen terme. Le plateau technique indispensable à une médecine de pointe et des intrants tels les médicaments, réactifs et consommables pharmaceutiques échappent à notre contrôle. De plus le sous-emploi (seuls 20% des populations ont une couverture sanitaire) sous-tendu par un contexte plus que défavorable du fait de la crise sont autant de limites à une hypothétique CMU.
Au total, si nous saluons, dans ses principes, ce révolutionnaire programme d’une couverture médicale universelle en ce qu’il porte une noble et remarquable ambition pour son peuple, il demeure que nous exprimons de sérieuses réserves à sa concrétisation du fait que nous n’en maîtriserions pas tous les éléments obligatoires contributifs à sa mise en œuvre ; du moins dans le court-moyen terme . Seulement nous pouvons objectivement et significativement améliorer l’existant et préparer l’avenir pour une CMU effective, durable porteuse de tous les espoirs ; et ceci en :
- Faisant un audit exhaustif du système actuel particulièrement dans ses composantes sociales pour mieux rationaliser ici les ressources humaines donc financières et en exploitant les données ou analyses médico-économiques ou statistiques relatives au système de soins.
- Instaurant de nouveaux mécanismes adaptés de fonctionnement et de régulation du système de soins
- Privilégiant la prévention primaire des maladies chroniques surtout cardiovasculaires et métaboliques dont on continue à payer un lourd tribut de par leurs complications. En sensibilisant et incitant aux mesures hygiéno-diététiques et au contrôle de la tension artérielle et de la glycémie, on prévient le diabète et l’hta pour moins d’infarctus, d’AVC, de cancers, d’insuffisants rénaux. On diminue ici considérablement la mortalité et la morbidité donc le flux entrant dans les hôpitaux.
- Mettant en place un fonds d’assistance aux urgences médico-chirurgicales pour que tout citoyen puisse accéder rapidement aux premiers soins obligatoires dans toutes les structures sanitaires du pays.
- Faisant évoluer les régions médicales en conseils autonomes régionaux de la santé dont la composition sera participative et inclusive aux fins de placer les solutions au plus près des besoins et spécificités des terroirs. Ils administreront les structures sanitaires de la région en autorisant et validant tous les recrutements qui s’y feront.
- En redynamisant et accompagnant la télémédecine
- En incitant et accompagnant les initiatives privées nationales pour une production locale pharmaceutique au moins en médicaments essentiels mais aussi en faisant la promotion des médicaments génériques, efficaces, sûrs et accessibles.
- Sensibilisant et motivant les autres pays de la CEDEAO à utiliser le non négligeable marché que nous constituons pour favoriser de véritables plateformes de négociations avec les firmes pharmaceutiques , acheter , stocker et distribuer par nous-mêmes et pour nous-mêmes
Nous tenons à préciser qu’il n’a pas été ici dans nos intentions de jeter le discrédit sur un système dont nous appartenons, ni de tenter de jeter l’opprobre sur une catégorie socio-professionnelle distinguée et méritante. Nos propos se sont voulus participatifs à la réflexion globale d’un secteur dont nous nous identifions, la santé. Dès lors il nous a semblé urgent et irrépressible, le devoir de dénoncer des pratiques sans cesse grandissantes, sous le silence coupable et complice de consœurs et confrères, qui n’honorent point le citoyen que nous sommes et discréditent l’agent assermenté que nous incarnons, investi d’une mission de santé publique et ayant juré de ne jamais exiger un salaire au- dessus de son travail, d’apporter ses soins gratuits à l’indigent bref d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l’exercice de son art.
Dans tout pays, le secteur de la santé est certes stratégique et assez spécifique mais aussi non isolé, ce qui justifie que difficilement, il nous est envisageable d’en entrevoir son essor sans une création de richesses préalable et l’émergence, par l’éducation et la formation, de citoyens modèles seuls capables de porter et de réussir, pour l’intérêt général, les rêves et ambitions les plus improbables.
Dr Mamadou Badara Seck
mamadoubadara@yahoo.fr
BP 1519 THIES