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Fonction Sociale De La Haadiya D’après El Hadji Malick Sy

Fonction Sociale De La Haadiya D’après El Hadji Malick Sy

Serigne Abdou Aziz Sy al-Amine, se référant aux enseignements d’El Hadji Malick Sy et de Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, a affirmé que la Haadiya est devenue un moyen de corruption. Un marabout a rappelé l’importance de la Haadiya dans la confrérie Mouride. Des personnes, parfois de mauvaise foi, ont voulu profiter de ces discours pour faire de l’amalgame, susciter l’animosité et la haine entre Mourides et Tidjanes, susciter davantage la rivalité malsaine entre ces deux communautés religieuses. Mais, ont-elles réellement compris le cadre et le contexte dans lesquels s’inscrivent ces deux discours ?

El Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké ont un ancêtre commun qui est Mame Marame Mbacké, sont tous les deux originaires de Djolof, appartiennent à la même religion qui est l’Islam, à la même école de jurisprudence islamique, celle d’Imam Malick Ibn Anas, à la même école de théologie religieuse, celle d’Abou Hassan Alioune al-Ach‘ari, et au même courant soufi, le soufisme sunnite théorisé par Djounaydi. Ils étaient tous les deux à la quête constante de la satisfaction divine. Dans cette quête de la satisfaction divine chacun a pris la voie qui lui semble la meilleure et la méthode qui lui semble la plus adaptée, tout en reconnaissant que celle de son prochain est authentique.

El Hadji Malick Sy, dans Faakiha at-Tulaab, et Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, dans Masaalik al-Jinaan, déclarent tous les deux que toutes les confréries se rattachent au prophète Mouhamed (Paix et Salut sur lui) et conduisent leurs aspirants vers Dieu. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké a même cité dans Masaalik al-Jinaan les exemples de la Tijaaniyya et de la Xaadiriyya. El Hadji Malick Sy dans Risaalatun Latiifat affirme que « Wa kulluhum min rasuulil laahi multamisun » (Tous les saints tirent leur savoir du Prophète Mouhamed », c’est-à-dire ils ont le même abreuvoir ; seulement, ils ont des méthodes diverses de l’interpréter, de le comprendre, de le transmettre. Et Cheikh Ahmed Tidjane Chérif a souligné dans Jawaahir al-ma‘aanii que « Inna awraada al-machaaixi kullahaa ‘alaa hudan wa bayyinatin » (Tous les wirds des guides religieux sont dans la voie de la droiture et de la transparence). Seulement, chaque homme de Dieu a des habitudes et coutumes spécifiques à sa confrérie « Lil xawmi a‘raafun wa ‘aadaatun fii at-tariixati ». Ils ont des compréhensions diverses des préceptes et recommandations de l’Islam. Pour en avoir la confirmation, on peut se référer au commentaire du mot « hiin » (un moment) fait par les quatre bien-guides Xalif du Prophète Mouhamed.

C’est cette différence d’approche qui fait que certains saints-hommes exigent à leurs disciples de faire des retraites spirituelles ; d’autres interdisent cette pratique dans leurs méthodes de tarbiyya. C’est le cas de la Tijaaniyya. El Hadji Malick Sy déclare dans Risaalatun Latiifat « Bilaa xalwatin rabbaa, wa rabbaw bi xalwatin, fa chattaani maa bayna al-yaziidayni manhalaa ». C’est-à-dire Cheikh Ahmed Tidjane Chérif interdit la pratique de la retraite spirituelle, alors qu’eux (d’autres saints) en font une méthode de tarbiyya obligatoire. La différence entre ces méthodes de tarbiyya est comparable à l’attitude des deux Yazîd (l’un s’excellait dans la générosité ; alors que l’autre était connu pour son avarice).

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C’est cette différence d’approche qui fait que certains saints-hommes exigent de leurs disciples de donner des Haadiya ; alors que d’autres sont hostiles à cette pratique. C’est le cas de Cheikh Ahmed Tidjane Chérif. Ce dernier savait que Dieu a affirmé dans le Coran « Ô vous qui croyez ! Lorsque vous voulez obtenir une audience confidentielle du Prophète, faites-la précéder d’une Haadiya. Vous n’en serez que meilleurs et plus purs. À défaut de moyens, sachez que Dieu est Clément et Miséricordieux ». A ce niveau, il est nécessaire de préciser que les musulmans se rendaient au prophète Mouhamed pour s’abreuver auprès de lui, chercher la bénédiction divine, par amour et par sympathie à lui.

Personne n’osait lui demander d’intervenir pour qu’un criminel soit acquitté d’une peine de prison. Mais qu’en est-il de nos jours ? N’est-il pour régler leurs problèmes personnels que les hommes politiques par exemple cherchent à entretenir des rapports avec les marabouts ? La Haadiya n’a-t-il pas changé de fonction ? Est-elle pour raffermir les liens ? N’est-elle pas un moyen de corruption ? Ne relève-t-elle pas de l’exploitation des disciples ?

Un autre Hadith du prophète Mouhamed rapporté par Seydina Alioune rapporte que « Faites-vous mutuellement des Haadiya puisque ça renforce l’amour entre vous et le meilleur cadeau c’est le parfum ; il sent bon et n’est pas encombrant ». A ce niveau, il faut préciser que la Haadiya est un cadeau et un cadeau se fait bénévolement par amour et sympathie. Si c’est dans ce cadre, l’acte est à encourager. Par contre, s’il y a de la contrainte, elle devient nuisible ; elle relèverait de l’exploitation. Si ce n’est pas pour obtenir la bénédiction divine, mais pour négocier une affaire personnelle, elle devient de la corruption.

En réalité, la Haadiya n’est réellement Haadiya que si elle est désintéressée, si l’on y cherche que de la bénédiction divine ; au cas contraire, elle devient de la corruption ou de l’exploitation. Elle est à différencier de l’aumône, car le prophète Mouhamed et sa famille avaient droit à la Haadiya, mais ils ne recevaient point de l’aumône et n’ont pas le droit de la recevoir comme l’a rapporté Mouslim.

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Ainsi, Serigne Abdoul Aziz Sy al-Amine a indexé ses fils, ses frères et proches parents pour leur dire que « Votre grand père El Hadji Malick Sy a dit que la Haadiya est devenue un moyen de corruption ». Ceci constituait pour lui un moyen de leur dire d’aller travailler et de ne point exploiter les disciples ou de vivre sur leur dos. Ce conseil constitue un rappel des enseignements d’El Hadji Malick Sy. Or Serigne Abdoul Aziz Sy al-Amine a non seulement le droit, mais aussi et surtout le devoir de vulgariser les enseignements de son maître et grand père El Hadji Malick Sy. Et parmi ses enseignements, il y a la nécessité de tout guide religieux de disposer d’un métier et de ne point vivre sur le dos des disciples. D’ailleurs tous les prophètes et les patriarches de l’Islam avaient un métier.

Le Prophète Adam était paysan et tisserand, sa femme Ève fileuse, le Prophète Idris tailleur et calligraphe, les Prophètes Noé et Zacharie menuisiers, les Prophètes Hoûd et Salih commerçants, le Prophète Abraham paysan et commerçant, le Prophète Ayyoûb paysan, le Prophète David forgeron, le Prophète Salomon chercheur de perles, les Prophètes Moise, Chou‘haybou et Mouhamed éleveurs, etc.

El Hadji Malick Sy à travers son refus d’exiger à ses disciples de donner de la Haadiya s’est également conformé aux enseignements de Cheikh Ahmed Tidjane Chérif. Interrogé un jour sur la raison pour laquelle il n’acceptait pas de recevoir les Haadiya alors que les autres saints l’acceptaient, il répond que pour avoir le salut, à notre époque, il est beaucoup plus indiqué de les refuser à cause du caractère illicite ou suspect qui entachent, généralement les biens acquis. Et paraphrasant Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, El Hadji Malick Sy déclare dans Kifaayatu ar-Raa‘hibiin que « Ce qui était hier une Haadiya est devenu aujourd’hui une corruption.

De nos jours, les hommes à chaque fois qu’ils donnent une Haadiya à un marabout ou résolvent son problème, ils ne restent que peu de temps pour revenir lui exposer son problème. En général, ils ne donnent de la Haadiya qu’à une autorité spirituelle ou temporelle dotée de prestige. Ils ne donnent jamais rien à celui qui n’a pas de prestige, comme l’atteste le comportement des hommes de cette époque. Ils n’offrent rien par amour, sympathie, ou fraternité religieuse ; leurs Haadiya sont toujours motivées par le désir de satisfaction de leurs problèmes vicieux, comme nous l’avons déclaré ».

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Analysons scrupuleusement et objectivement cette assertion, on se rend compte que les chefs d’entreprise, les ministres et les hommes d’affaires donnent de la Haadiya, pour en cas de détournement des fonds d’une société ou en cas de crime, ils viennent demander l’intervention du marabout ou pour qu’ils soient maintenus à leurs postes. C’est pour cette raison qu’El Hadji Malick Sy ne demandait jamais de la Haadiya à ses disciples, mais nous précisons qu’il acceptait celle que le disciple lui donnait bénévolement et l’exemple le plus concret est celle qu’il recevait d’El Hadji Rawane Ngom.

Si l’on examine cette assertion, on se rend compte que c’est uniquement aux marabouts dotés de prestige que l’on donne de la Haadiya. Le rapport entre marabouts et disciples est aujourd’hui dans une large mesure conditionné par les Haadiya. Plus la Haadiya d’un disciple est importante, plus il est estimé et respecté chez la majorité des marabouts ; et mieux, plus il lui est réservé de la considération dans les prières du marabout. D’où l’aspect corruptif de la Haadiya.

L’autre dimension de la Haadiya qu’El Hadji Malick Sy a révélée dans Kifaayatu ar-Raa’hibiin, c’est celle de l’exploitation. En effet, nombreux sont les marabouts qui exigent à leur disciples de leur verser régulièrement de l’argent, parfois des sommes insupportables et des charges qui leur empêchent d’honorer leurs fonctions de pères de familles. Et de quel droit un marabout se permet-il d’exiger à un disciple de lui verser de l’argent ? Un disciple avant d’entretenir un marabout ne doit-il d’abord veiller sur ses parents, sur sa famille, sur ses voisins ?

Enfin, on ne peut pas se fonder sur cette critique pour accuser El Hadji Malick Sy de vouloir semer la division entre les Musulmans, car c’est lui-même qui déclare dans Kifaayatu ar-Raa‘hibiin « Le marabout doit apprendre à son disciple que donner de la considération à tous les marabouts authentiques est une obligation et le respect de tous les Musulmans, un devoir. Il doit lui faire savoir que celui qui sous-estime une autre tariixa, c’est comme s’il avait sous-estimé l’Islam et cela peut le conduire vers l’apostasie. Cette attitude n’est pas recommandée et elle engendre l’animosité, la diffamation et la division entre les Croyants ». El Hadji Malick Sy respectait tous les marabouts, mais cela ne lui a pas empêché de jouer son rôle de guide religieux, c’est-à-dire un leader qui ordonne le bien et défend le mal.

 

Mouhamadou Mansour Dia

Docteur en sociologie, spécialiste de la sociologie des Religions

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