Augustin Senghor, maire de Gorée, que j’ai en grande estime, est trop en avance sur les cœurs… mais cette plaque, sorte d’hommage à l’Europe au cœur de Gorée, même si elle date, aurait dû faire l’objet d’une très rigoureuse attention, d’une très large concertation, qui dépasse de loin la seule mairie de Gorée. Elle n’était ni opportune ni bien réfléchie. Oui, il faut pardonner, mais ne jamais oublier cette tragédie, l’ampleur de ce génocide de la traite négrière qui dura des siècles et qui opprime encore tant de cœurs et soulève la colère. La terminologie «Place de l’Europe» peut paraître fort choquante. «Place du pardon», «Place de la paix», «Place de la fraternité», «Place du Chevalier Saint-Georges» ou «Place de l’Europe repentie» collerait mieux. Cette cérémonie qui a eu lieu en ce mois de mai 2018 a révélé le drame. Drame d’avoir sans doute décidé seul, même en conformité avec son Conseil municipal. Drame d’avoir décidé en marge des historiens, des populations, de la diaspora, de la société civile au sens large. Cette dénonciation tardive, mais massive met au grand jour l’émergence d’une nouvelle génération qui désormais garde, veille et garde l’œil sur tout.
Gorée est une mémoire trop douloureuse.
La vigilance s’impose.
Il faut prendre le temps de guérir les blessures et il existe des blessures qui ne guérissent pas. Cependant, il ne faut pas fusiller le maire de Gorée à balles réelles. Notre intime conviction est qu’il pensait bien faire. Il s’est trompé, du moins le pensons-nous, avec respect. La réconciliation est en marche, elle est inévitable malgré le poids de la douleur et de l’injustice, mais elle ne doit pas prendre le visage de la hâte et d’une coupable civilité. La terminologie «Place de l’Europe» n’est pas la meilleure. Il faut même la débaptiser et trouver mieux.
Par ailleurs, au-delà de cette triste et pénible polémique, nous ne devons pas surtout oublier dans quel abandon Gorée est laissée. Nous en appelons à la solidarité de tous pour également porter ce combat de sauvegarde de l’île mémoire, comme tous, ou presque, ont porté ce rejet de la «Place de l’Europe» avec un si puissant élan de résistance. La commune de Gorée est dans une misère financière sans nom et cela est dit ici, sans aucun rapport avec le soutien de «l’Europe», donc de Bruxelles, avec l´Union européenne, comme cela a été révélé. Un maire a bien le droit d’aller chercher des partenaires, mais le débat n’est pas là. Un lieu de mémoire est sensible. Une tombe se respecte. On s’y recueille, mais on n’y laisse pas un chèque. Par ailleurs, ceux qui nomment avec des injures le Président Macky Sall n’ont pas certainement raison. Un Président est loin de cette cérémonie qui a eu lieu à Gorée en ce mois de mai 2018. Un Président a bien d’autres choses à faire. Qui sait même s’il était au courant. Ce n’est pas vrai qu’un Président est au courant de tout, mais hélas, on exige de lui qu’il soit au courant de tout. Nous prenons nos responsabilités en le disant. Nous ne défendons pas le Président. Il se défend tout seul. Nous défendons ce qui est juste et pas ridicule comme accusation. Oui, nous devons sans hésiter, à chaque fois de besoin, lever nos voix sans hésiter, sans peur, et les lever énergiquement quand il s’agit de défendre nos lieux de mémoire, car c’est de notre pays et de notre histoire qu’il s’agit avant tout. Alors, ceux qui ont levé la voix pour Gorée ont raison de la lever. Nous sommes avec eux, mais pas dans la marée volontairement confuse et irresponsable des insultes. Nous ne sommes pas certains que le Président serait en phase avec cette plaque posée à Gorée de longue date et qui soulève, à juste raison, tant de rejets légitimes. Soyons honnêtes, courageux et laissons le maire de Gorée assumer seul son geste et il l’assume. Nous saluons son courage dans un débat malaisé et inconfortable pour lui.
Débaptisons cette place avec l’appellation juste, acceptable, assumée de part et d’autre des deux parties. Une plaque dont le titre répondra à l’acceptation des crimes commis dans le passé, mais aussi à une fraternité à construire, à nourrir, à faire vivre, pour que l’oubli tienne la main d’un futur apaisé.
Réconciliation, pardon et surtout repentir doivent marquer tout ce qui se fait à Gorée. La direction du Patrimoine du ministère de la Culture doit également être toujours consultée et associée. Son expertise est utile.
Après les rages, les diatribes, allons tous ensemble à l´essentiel : sauver Gorée, protéger ses populations, donner du travail à ses jeunes, soutenir ses nombreux artistes !
En conclusion, comme depuis plus de 20 ans, nous militons comme citoyen pour que l’île de Gorée soit déclassée par une loi, et ne soit plus une commune. Qu’une sorte de «gouverneur» de l’île -qu’importe l’appellation – y soit nommé et installé pour mieux attirer les partenaires et les investissements. Donner de l’argent à la puissance publique n’est pas toujours rassurant, dit-on. Gorée est en souffrance. Innovons, soyons plus audacieux, avançons dans une nouvelle forme de gouvernance ! Nous sommes convaincus comme citoyen et comme acteur formé dans la vie administrative municipale depuis notre sortie du Centre de formation et de perfectionnement administratifs du Sénégal en 1976 et notre affectation au ministère de l’Intérieur, à la direction des Collectivités locales pilotée par l’inégalable feu Magib Seck – eh, oui ! – que la solution finale pourrait être de celle-là, c’est-à-dire d’une île autrement administrée, au regard de sa spécificité unique. Il s’y ajoute, et l’expérience nous a démontré depuis plus de 40 ans, que les maires de Gorée qui n’étaient pas du camp du parti présidentiel souffraient encore plus de l’isolement et de l’oubli. Nous devons sauver Gorée et vite. Notre appel se veut humble, mais inflexible. Puissent tous ceux qui ont réagi si nombreux et si puissamment sur les réseaux sociaux prendre part à ce débat et aider l’Etat, dans l’échange, à prendre librement le chemin qui s’impose dans le respect de ce qui pourrait être permis par les lois et règlements en vigueur.
Par ailleurs, interrogez-vous sur les relations entre le port de Dakar, la gestion de la chaloupe et ce que la commune de Gorée en tire comme recettes ! Vous jugerez. Nous souhaitons que tous les contrats signés par le port de Dakar puissent contenir une clause de sauvegarde de l’île, afin de drainer vers elle des financements substantiels qui pourraient servir à son développement, au bien-être de ses populations et soulager la difficile trésorerie de la mairie. C’est un appel au président de la République, un patriotique et respectueux appel au directeur du port de Dakar, dans les limites réglementaires qui le régentent. Cela nous éviterait d’aller mendier tout le temps pour sauver Gorée. Commençons par nous ! Profitons des accords de partenariat avec les richissimes multinationales qui se nourrissent de notre port ! Que Dieu apaise nos cœurs et qu’Il nous pousse au travail au seul service de notre pays, de ses fils !
Oui, avant même d’exister, la «Place de l’Europe» était morte dans les cœurs, même si ce qui a guidé à son érection était noble, loin de toute cette polémique qui la rattrape aujourd’hui et qui met en jeu son maire.
Puisse-t-elle être rebaptisée d’un nom qui portera mieux nos valeurs partagées.
Amadou Lamine SALL
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française