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Pardonnez Leur Monsieur Le Président: Ils Ne Savent Pas Ce Qu’ils Font

La presse avait prédit un mauvais quart d’heure au président, s’il maintenait son calendrier et décidait – malgré tout- de faire sa tournée à l’Université Cheikh Anta Diop. Les services secrets n’ont pas renoncé à ce voyage, autrement ce serait un mauvais message que le président adresserait au peuple. Au finish, Macky Sall a eu son moment de frissons, mais il a aussi gagné beaucoup de sympathies, parce que victime. En attendant que les véritables commanditaires ne soient retrouvés et sanctionnés pour l’exemple, j’aimerais vous demander, Monsieur le Président, de les pardonner. Parce que, comme moi il y a 18 ans, ils ne savent pas ce qu’ils font.

L’attentat à la personne dont a été victime le chef de l’Etat du Sénégal n’est pas un acte anodin: c’est un complot très grave qui a été ourdi et mérite, en conséquence, une réponse pénale à la mesure de l’agression. Mais, si cette réponse judiciaire doit être forte contre ceux qui tirent les ficelles, elle doit être humaine et prendre en compte la naïveté des exécutants, puisque ma conviction est qu’ils ont été manipulés. Comme mes camarades et moi l’avions été 18 ans plus tôt, par les mêmes commanditaires.

S’il est vrai qu’il faut saluer le sang froid des forces de protection du chef de l’Etat,- qui dans d’autres pays auraient fait usage de leurs armes- il est aussi juste de mettre le doigt sur les failles des services de renseignements dans cette affaire. Sans avoir en main toutes les données, ma conviction est qu’il y a eu des ratées terribles dans la collecte et le traitement des renseignements. Autrement, ce qui est arrivé ne le serait jamais.

Avec cette affaire du caillassage du président Macky Sall, au sein de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, c’est un test grandeur nature qui a été fait à notre arsenal sécuritaire de l’autorité Alpha. Et avec froideur et lucidité, nous devons en tirer les conséquences. Toutes les conséquences judiciaires et administratives.

Et si la distance -puisque je vis maintenant en France- ne me permet pas d’avoir toutes les cartes en main pour faire une analyse objective de la situation, mon passé  aussi bien dans les rangs des jeteurs de pierres comme celui dans les services de renseignements de mon pays me permet de me prononcer sur un sujet que je connais bien, puisque l’avoir vécu de l’intérieur.

J’ai été, en 1997, l’un des leaders de l’Union nationale des Elèves et Etudiants du Sénégal -en dehors des 6 délégués de l’Unes. En ma qualité de représentant de toute la Casamance -puisque il n’y avait que deux régions, Ziguinchor et Kolda- j’ai été l’un des élèves qui avaient déclenché et dirigé la plus dangereuse et la plus longue grève scolaire -Février 1997 à Mai 1997-  que l’histoire du Sénégal ait connue après 1988.

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J’avais comme compagnons de lutte les frères Seydou Diaw Diop, -The King- du lycée Maurice Delafosse aujourd’hui au service de Modou Kara Mbacké, Aly Mané de Kaolack aujourd’hui maire de Paos Koto, Daniel Sow le directeur marketing de Dakar Dem Dikk, Bara Cissé Barézi du lycée Limamoulaye, Cheikh Abbas Barro ingénieur réseau informatique à Paris, Assane Diop de Thiès aujourd’hui en France, Bachir Touré, Abdoulaye Ama Diallo, Ferdinand Tendeng, Abdoulaye Dieng, René Diaz, Kabila et d’autres illustres dont j’ai décidé de taire les noms parce que travaillant actuellement dans les services de sécurité du Sénégal. Et pour ne pas nuire à leur carrière.

Avec mes compagnons, nous avions de l’idéal à vendre. Nous étions jeunes, beaux, insouciants, insolents et téméraires. Nous n’avions peur de personne et tout le monde nous craignait. Les jeunes filles nous adoraient et les autres nous adulaient, nous déifiaient. Avec Ferdinand Tendeng, René Diaz, et Ablaye Dieng nous avions mis  Ziguinchor et toute la Casamance sous nos ordres. On décidait de quand on devait aller en classe ou pas. Et qui pouvait circuler sur la voie publique. On défiait nos camarades des écoles privées, le lycée Charles Lwanga était notre champ de bataille favori. Le collège Elhadj Omar comme ACAPES nos souffre-douleurs.

Les commerçants nous craignaient parce qu’on gênait leurs affaires et étaient généreux avec nous pour qu’on les protège de nous mêmes. Un jour, j’ai été interpellé par un membre de ma famille sur la volonté d’un certain Monsieur Ndjim, le directeur de l’école privée ACAPES, de me rencontrer, en urgence: des indiscrétions parvenues à ses oreilles faisaient croire que son école et sa maison allaient être brulées la nuit suivante. Et que ces incendiaires se réclamaient de moi, parce que venu déloger les élèves de son établissement, j’avais été molesté et n’ai dû mon salut qu’à la prompte intervention de ma garde rapprochée, dont certains sont aujourd’hui de valeureux officiers sénégalais.

Après de rapides vérifications, j’ai appris que ce sont des responsables du Parti socialiste qui étaient derrière ce coup foireux. Ils voulaient faire peur à un militant engagé de AJ/PADS, le parti de Landing Savané. Avec Monsieur Ndjim, l’AJ s’était imposé dans la région et son établissement était, en quelque sorte, l’école de la deuxième chance pour tous les exclus du système officiel. Son expansion était une menace pour le régime finissant de Abdou Diouf.

Profitant du fait que nous avions une Assemblée générale ce jour, au lycée Djignabo, j’ai dénoncé ces apprentis incendiaires et me suis démarqué de leur crime en préparation. Aussi, j’ai appelé mes camarades à se porter en sentinelles et à protéger ce brave monsieur Ndjim et sa famille. Finalement, nous avions sauvé cet homme, sa famille et une école pour les jeunes de Ziguinchor.

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A la suite de ce complot éventré, j’avais été convoqué à une réunion qui s’est tenue dans la cour de la légion de Gendarmerie de Néma. Mes camarades voulaient que, pour imposer une année blanche à l’Etat, il nous fallait détruire tout ce qui pouvait permettre aux élèves de retourner en classe. Monsieur Nouha Cissé, le proviseur du lycée ayant pris les devants avait pensé sécuriser les documents administratifs du lycée et tout le matériel important dans les blocs des Sciences Naturelles du lycée.

Et c’est à ces bâtiments équipés par la coopération allemande que mes camarades voulaient qu’on mette le feu avec de l’essence qu’on devait « réquisitionner » à la station Esso de Boucotte. Un contre tous, j’ai refusé ce crime. J’ai été traité de poltron, de vendu et de tout ce que notre vocabulaire de contestataires contenait.

Après avoir déjoué cet autre complot, nous avions appris que des éléments appartenant au MFDC avaient décidé de s’infiltrer dans nos rangs lors de la prochaine AG. Lorsque nous devions sortir pour faire face aux GMI, des combattants armés, infiltrés dans nos rangs, allaient faire feu sur les policiers comme sur les éléments de la Légion de gendarmerie, puisque  la police a été dépassée.

Une fois de plus, ce jour là, avec mes camardes nous avons décidé d’écourter l’Assemblée générale et  avions ordonné que tout le monde rentre chez soi, et que personne n’aille déloger aucune école. La foule a suivi nos conseils. Les élèves sont rentrés chez eux. Seuls, les hommes armés qui étaient restés dans les encablures de Ziguinchor ont affronté les forces de l’ordre de 10 à 16 heures. La ville a raisonnée au son des bombes toute la journée. Mais aucune perte en vie humaine n’a été enregistrée du coté des élèves comme des populations civiles.

Nous étions des idéalistes, Ché Guevara était notre idole, notre combat -en ce qui me concerne- était orienté contre l’injustice faite à 967 élèves que l’administration avait décidé d’exclure des examens; parce qu’ils avaient des actes de naissance avec un  jugement supplétif. Ils pouvaient allaient à l’école, avoir une carte d’identité, voter, vivre normalement mais ne pouvaient pas passer des examens. C’était injuste et c’est pour cela que je me suis engagé, contre la volonté de mes parents. Les conseils avisés de gens qui ne veulent que du bien.

Mais, c’est en mars 1997, au lycée Demba Diop de Mbour que j’ai compris que nous n’étions que des pantins aux mains d’un homme que le pays tout entier adulait ou honnissait. Lors de cette rencontre de Demba Diop, un homme répondant au nom de Cheikh Seck -il serait étudiant en 5eme année de fac de médecine-  s’était présenté à nous lors de la rencontre de l’Unes.

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Il nous avait remis plusieurs milliers de Francs -une fortunes pour les jeunes que nous étions- des armes non létales et des gaz lacrymogènes de la part du ministre d’Etat …Abdoulaye Wade. « Vous êtes les seuls qui avez réussi à faire ce qu’aucun syndicaliste n’a réussi à faire. Abdou Diouf a peur et a tremblé devant vous. Abdoulaye Wade m’envoie vous dire que son soutien ne vous fera jamais défaut. Si l’un d’entre vous se faisait prendre par la police, il prendra un avocat pour lui et paiera tous les frais« , nous a dit l’émissaire.

Quand j’ai entendu ça, tout a changé pour moi. Mon combat n’était plus mien. Nous nous battions plus pour les élèves, mais pour des politiciens. Pour Abdoulaye Wade, pour le PDS. Pendant ce temps, Karim et Sindiély Wade étaient en France, poursuivant des études supérieures. « N’importe qui est capable de déclencher une guerre, mais seuls les génies savent y mettre un terme. Cette région a trop souffert, ne pas lui ouvrir d’autres fronts est ce que le peuple attend de vous tous« , m’a dit un jour Mame Birame Sarr, le gouverneur de Ziguinchor.

A nos trousses, le Commissaire Divisionnaire Amadou Tall et ses services de renseignements ont peiné sur l’ensemble du territoire national. On déjeunait à Dakar et dinait à Saint-Louis le même jour, les poches pleines de Francs avant que je ne me fasse arrêter, en avril 1997, après une Assemblée générale pimentée au lycée Maurice Delafosse où je tenais un meeting en compagnie de Seydou Diaw Diop. C’était la dernière fois que je l’ai vu.

Et le soir, c’est moi que le ministre de l’Education nationale, André Sonko, a présenté au journal de 20h comme le représentant des élèves du Sénégal et signataire de l’accord définitif. Mon paraphe posé sur l’acte a mis fin à une situation explosive pour le pays. Il permit aussi aux élèves de retourner en classe même si les examens du BFEM ont eu lieu en Aout et celui du Bac en Septembre.

Les services de renseignement n’ont jamais réussi à me mettre la main. Comme l’implication du PDS n’a jamais été rendu public. Et je si la même chose s’est reproduite 18 ans plus tard, c’est que les leçons du passé n’ont jamais été tirées au clair.

 

Babacar Touré

Journaliste

kimikikikoo@gmail.com

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