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Plan D’urgence Des Urgences Hospitalières Au Sénégal

Il ne se passe pas un jour sans que n’apparaissent, dans la presse, des titres qui rapportent des cas graves de dysfonctionnement dans la prise en charge des urgences hospitalières surtout traumatiques. Le cas le plus illustratif en se tenant au fait s’est produit au courant de l’année 2014 ; il s’est agi d’un patient décédé en cours d’hospitalisation à Tambacounda avant même qu’un acte chirurgical puisse lui être prodigué. Notre confrère chirurgien et toute  l’administration hospitalière ont été malencontreusement pris à partie par la population qui s’est organisée en collectif des victimes de l’hôpital pour instituer une marche à travers les artères de la ville afin de dénoncer « cette situation ». Il faut saluer, ici, le discours plein d’émotions et de courage (relayé par la presse écrite) tenu par le gouverneur de région de  Tambacounda qui a écouté les doléances des populations pour les apaiser. La bombe fut désamorcée et j’ose croire que le climat de confiance entre les populations et le système hospitalier va se réinstaurer.

Cet épisode douloureux nous a incités à livrer quelques réflexions sur   ce  « ventre mou » du système de santé que constitue le management des urgences médicales au Sénégal. D’autres confrères l’ont déjà fait sans qu’aucune réponse cohérente et urgente ne soit apportée par les décideurs.

Les  praticiens que nous sommes, avons le devoir et la responsabilité sociétale et morale, voire politique, d’œuvrer pour que les populations puissent jouir d’une bonne santé, soit par des méthodes curatives ou préventives. Sur le plan juridique, nous ne sommes pas astreints à une obligation de résultats. Mais devant Dieu et devant les hommes, nous avons l’obligation morale  de réclamer de meilleures conditions de pratique pour mériter notre place en tant qu’acteur social. Il existe un invariant culturel qui a traversé les âges, l’art de guérir ou l’acte médical dans sa terminologie moderne est jugé à l’aune de  son efficacité quel que soit les moyens dont on dispose. Le tradipraticien ou bien le médecin moderne tire sa légitimité et sa notoriété du fait de sa compétence à extraire la maladie du corps ; le patient fait rarement cas du niveau de sophistication du plateau technique dont dispose le praticien pour atteindre son objectif. Je donnerai comme exemple le cas de ce  patient qui présente un hématome intra crânien extra dural consécutif à un traumatisme par accident de la circulation. C’est une véritable urgence neurochirurgicale dont la prise en charge ne doit souffrir d’aucun retard. Je ne verrai pas au monde un neurochirurgien hospitalier dire aux parents que nous ne pouvons pas opérer, car le groupe électrogène ne fonctionne pas, ou la machine à laver ou stériliser le linge est détraquée, ou bien aucune drogue anesthésiste n’est disponible au niveau de la pharmacie de l’hôpital. Les Incas ont pu faire des trépanations en usant de silex  pour enlever le soi-disant « mauvais esprit » dans leur  entendement. Je vous laisse imaginer les multiples artifices dont nous usons parfois… Le médecin est pris au piège ; il est pris en étau entre la quête thérapeutique pressante du patient et  une institution hospitalière qui doit lui fournir le minimum d’équipement pour officier.

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Peu de chirurgiens du secteur public au Sénégal peuvent témoigner qu’ils n’ont jamais vécu,  et de façon récurrente, cette  situation angoissante de pénurie. Je recommande aux élites politiques actuelles de faire de l’ouvrage de notre confrère le Pr Abdoul Kane, « La vie sur un fil », paru récemment, un livre de chevet.

Je profite de l’occasion pour rendre  hommage à ces jeunes chirurgiens, à ces infirmiers et sages-femmes qui acceptent et  continuent d’œuvrer dans un environnement médical que je qualifierai d’exception…

Ce préambule sur la responsabilité médicale ne doit pas absoudre l’Etat dans son obligation de veiller sur la sécurité des biens et des personnes. Nous pensons que les enjeux sanitaires surtout dans son versant médical pur doivent être intégrés  comme une question de sécurité nationale. En matière de lutte contre les maladies transmissibles, la réponse  de l’Etat semble logique ; de multiples programmes sont proposés pour lutter contre l’Hiv, le palu, la tuberculose. Et la riposte conjointe donnée par les ministères de la Santé et de l’Intérieur par rapport à l’épidémie d’Ebola qui menace nos frontières fut appropriée. Il faut saluer l’établissement récent, au sein du ministère de la Santé, d’un Centre opérationnel des urgences sanitaires (Cous). Apparemment, son architecture institutionnelle aurait une forte orientation de veille épidémiologique.

Concernant les maladies non transmissibles, il existe certes des politiques sectorielles pour le diabète et la drépanocytose, mais aucun programme au niveau du ministère de la Santé n’a été élaboré, à notre connaissance, par rapport aux pathologies liées à la violence quel qu’en soit le mode, mais surtout  routière. Sans me tromper, la mortalité par accident de la route tend à dépasser celle liée à l’Hiv. La société civile a mieux perçu cette  problématique et elle est plus pro active que l’Etat. C’est ainsi qu’un journal de la place, dans son édition du 27 mai 2014,  faisait part des chiffres qui font froid au dos et rapportés par M. Ousmane Ndoye, président de l’Association nationale des personnes accidentées vivant avec un handicap. Les motos dites Jakarta continuent leur ronde funèbre, la protection civile nationale rapporte un chiffre effarant de 80 morts en 2014.

Pour infléchir cette courbe ascendante, le ministère de l’Intérieur, par le truchement de la Direction de la nouvelle prévention routière, joue pleinement sa partition par des actions de police ou bien par des affiches ou des spots publicitaires. Rien n’y fait, soit c’est un bus ou un camion au système de frein défaillant qui entre en collision avec une voiture, soit c’est un « Ndiaga Ndiaye » qui dérape pour écraser tout ce qui bouge. Des ralentisseurs sont mis sur la route de Thiès à hauteur de « Allou Khagne » pour agir sur le facteur vitesse. Hélas, une nouvelle forme d’accidentologie est en train de poindre avec les accidents par collision frontale avec son lot important de blessés graves et de morts !

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Certes, il y a des patients qui présentent des lésions létales dépassant toutes ressources thérapeutiques, mais il y a souvent des survivants poly blessés dont certains meurent secondairement du fait d’une prise en charge préhospitalière  peu efficace (transport non médicalisé). Et même si le transfert se fait promptement et dans les règles de l’art, le management hospitalier laisse à désirer soit du fait d’un service d’imagerie ou d’un laboratoire non fonctionnel, soit d’une instrumentation chirurgicale obsolète.

L’implantation territoriale du Samu reste encore timide, il s’agira de renforcer ses capacités opérationnelles en ressources humaines et en moyens techniques, et surtout d’assurer une bonne régulation médicale. Le corps de sapeurs-pompiers abat un travail de titan ; il demanderait cependant un rehaussement de son expertise dans la médicalisation des blessés.

Il est vrai que deux fois de suite le problème des urgences hospitalières a été abordé lors du conseil des ministres, mais l’application des mesures prises tardent à se faire. A travers les travaux universitaires (publications dans des revues spécialisées et thèses) de la Faculté de Médecine de Dakar, il existe une production scientifique foisonnante sur le profil épidémiologique des urgences au Sénégal ; ces données certes parcellaires, car hospitalières, pourraient constituer une mine d’informations pour les techniciens du ministère de la Santé comme aide à la décision dans les choix stratégiques. Il ressort, à travers ces études, un fait constant : le  péril traumatique est bien une réalité et la mortalité est corrélative de la rapidité des gestes thérapeutiques et de la disponibilité d’un bon plateau technique. En outre, dans la hiérarchisation des lésions traumatiques, les lésions des membres et du rachis viennent en première position, suivi des lésions crâniennes, puis des lésions viscérales.

L’idée d’ériger un centre de traumatologie à Diamniadio est séduisante, car il occuperait une position stratégique au carrefour des deux axes routiers les plus accidentogènes du Sénégal. De plus, il ne sera pas éloigné de la capitale.

Par ailleurs, nous sommes pris par le sceau des urgences, et avant que ce projet ne soit effectif, combien de morts compterons nous encore ? Aussi, il existe toujours un délai assez long entre la conception, l’exécution et l’opérationnalisation. Ce temps d’attente pourrait être mis à profit par le prépositionnement d’hommes et de matériel au niveau de Diamniadio ou de Rufisque pour parer au plus pressé ; il est tout à fait possible de trouver un espace fonctionnel à l’hôpital Elizabeth Diouf ou  à l’hôpital Youssouph Mbargane de Rufisque. Ce faisant, il faudra rapidement renforcer leur plateau technique. Concernant les ressources humaines, un personnel médical d’appoint pourrait être mobilisé à partir du corps des chirurgiens et anesthésistes des hôpitaux de Dakar qui effectueront des astreintes ou des gardes.

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Il s’agira de s’inspirer de la philosophie des chirurgiens militaires qui quel que soient les contraintes opérationnelles (géographiques, financières, techniques) ont la capacité d’ériger, en moins de 24H, un poste médical avancé multifonctionnel pour gérer les urgences absolues ou relatives. Les médecins militaires sénégalais ont déjà montré leur aptitude à organiser la chaine santé dans les différentes zones de conflit intra ou extra territoriales. Cette expertise pourrait être mise à profit pour créer une sorte d’unité de déchoquage ou de conditionnement dont la réalisation est plus rapide et moins onéreuse qu’un centre de traumatologie.

La logique qui préside à cette option transitoire est basée sur cette notion essentielle : le pronostic vital d’un patient  en situation d’urgence dépend de la rapidité des gestes thérapeutiques. Plus on tarde à stabiliser un patient sur le plan hémodynamique ou gazométrique, plus les chances de survie sont moindres.

Hormis cela, il faudrait, dans un cadre national, que tout centre de santé puisse disposer d’un plateau technique de base en oxygène (bouteilles, masque, aspirateur et fluide), matériel de suture consommables et pansements pour les premiers soins.

Il urge de renforcer l’instrumentation et l’équipement surtout des services chirurgicaux. Les Sénégalais et les étrangers qui vivent parmi nous ne font pas plus de 14 millions. Sur ce, je pense que ce n’est pas une tâche herculéenne d’instaurer un programme urgent de réhabilitation du matériel hospitalier, d’abord au niveau des services de référence hospitalière, puis l’étendre aux échelons inférieurs en se basant sur la pyramide sanitaire. Le Sénégal pourrait ainsi s’approvisionner (en attendant une production locale) auprès de certains pays comme la Chine et l’Inde, et même du Maghreb, car ils fabriquent un matériel fiable et de moindre coût. Lors du processus d’acquisition de matériel, l’Etat doit prendre sa responsabilité en faisant fi des règles et des procédures de passation de marché édictées par l’Armp, parce que la santé est un enjeu de sécurité nationale.

Les élites politiques sénégalaises ont l’impérieux devoir moral de valoriser le savoir-faire des praticiens sénégalais en les dotant d’un minimum de moyens techniques, pour le plus grand bonheur des populations. Les pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie) ont réussi leur révolution médicale en s’appuyant sur l’expertise locale, les évacuations vers les pays du Nord y sont rares. Le secret de leur réussite se trouve dans l’émergence d’une classe d’acteurs moins prédatrice et imbue d’un sentiment patriotique… Il serait intéressant de faire une psycho-socio-analyse (Bourdieu) des élites politiques autochtones qui fonctionnent dans notre contrée sur un mode pathologique, précisément schizophrénique. Mais ce n’est pas l’objet de notre réflexion.

 

Pr Youssoupha SAKHO

Neurochirurgien des hôpitaux

Faculté de Médecine Ucad

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