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Je Suis Enseignant !

‘’Au 21ème siècle, vous gagnerez ce que vous apprendrez’’ – Robert Reich, Universitaire et ancien Ministre Américain du Travail.

Il est le parent pauvre de la société alors qu’il devrait en être le vecteur principal si son projet de développement est véridique. L’enseignant, pris ici au sens générique du terme, n’est pas loin d’être le point de convergence des multiples signes d’une société sénégalaise tourmentée, plongée dans une crise protéiforme, dont celle de l’école, avec la santé, semble être la plus insoluble.

Cela fait des lustres qu’on ne parle de lui qu’à travers ses revendications sans fin. L’image qu’on lui colle, à tort plus qu’à raison, est celle du râleur éternel. On semble ne plus se souvenir qu’il y a une époque guère lointaine, sa figure était l’une des plus respectées dans les villes et villages du Sénégal. En ces temps-là, il ne pouvait passer nulle part inaperçu. On l’épiait. On parlait de lui à voix basse, par respect autant que par crainte. On évitait de le croiser dans les rues par peur d’être admonesté. Les devoirs, on les faisait sérieusement parce qu’on sentait sa présence, même quand il n’était pas là…Qu’il ne conduisait pas une voiture ou ne portait pas les plus belles fringues de sa localité n’enlevait rien à son statut. Habitant dans des maisons où, souvent, il était en colocation avec d’autres collègues, et réduit parfois à se contenter d’une seule chambre, ne diminuait pas non plus son aura. Son autorité était inexpugnable. Si bien que personne n’osait évoquer sa profession en l’associant à des récriminations. Sage, ou perçu comme tel, il était au premier rang des notables. C’est qu’on savait alors qu’il était un pilier fondamental de la société.

Chez de nombreux potaches, il était une star, et le rêve d’embrasser sa profession n’était donc pas injustifié. C’était un métier noble. Dans un contexte où les pressions inflationnistes n’avaient pas fini de rogner son maigre salaire, on le considérait comme l’un de ceux qui gagnaient correctement leur vie. Par-dessus-tout, il bénéficiait de cette reconnaissance sociale que rien ne peut remplacer.

Or, soudain, voici qu’on ne parle plus de lui qu’en le pointant du doigt. Depuis la longue grève qui paralyse actuellement le système éducatif national qu’il mène, avec ses collègues, et sous la dictée de puissants syndicats, le héros d’hier passe aux yeux de certains, de plus en plus nombreux, comme un zéro. Comme beurre au soleil, sa popularité a fondu. Seul dans son combat, il est attaqué de toutes parts : le pouvoir politique estime qu’il est déraisonnable en réclamant d’autres avantages financiers et matériels ; les chefs religieux l’adjurent de sauver l’année scolaire ; des parents d’élèves le trouvent irresponsable.

Nul n’ose s’identifier à sa lutte. Que le pouvoir politique, invoquant le décret n° 72-017 du 11 janvier 1972, décide de réquisitionner certains enseignants, au mépris parfois des dispositions de ce texte, il ne se trouve aucun mouvement de la société civile, ni force politique, pour prendre leur défense…

Pourquoi son combat actuel, le plus dur, voire décisif, face à un pouvoir autiste, n’est-il pas si populaire ? Comment se fait-il que certains dirigeants religieux, parmi les plus puissants, donnent l’air de lui tenir rigueur d’être par trop rigide tandis que d’autres l’accusent de vouloir, par son intransigeance, hypothéquer l’avenir des enfants sénégalais.

Puisque le sujet est hypersensible, une fois accepté le principe que les droits des enfants passent avant tout, leur droit notamment à l’école, il est quand même bizarre que la société sénégalaise continue de refuser de voir l’évidence, à savoir que l’enseignant n’a pas tort dans son âpre bataille.

Au nom de quoi, en effet, doit-il accepter d’être le laissé-pour-compte d’un régime si prodigue avec les ressources financières du pays envers des épouses d’ambassadeurs, ou qui verse des sommes injustifiables à des businessmen, genre Bictogo, des élus, souvent inutiles, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au machin CESE, et à des magistrats qui se courbent sous le poids de l’inaction quand ils sont appelés à trancher les matières essentielles, et j’en passe…

Pourquoi l’enseignant devrait-il être l’agneau du sacrifice de la tour de vis financière quand on sait que sans lui le Sénégal n’a aucune chance dans la mortelle compétition autour de l’économie du savoir qui est le marqueur essentiel de ce 21ème siècle? Pourquoi doit-il faire les frais des nombreux actes de mal-gouvernance, sur fond de deals mafieux, dont l’objet principal est de promouvoir les intérêts d’une caste politico-sociale prompte à détourner la tête pour ne pas voir les injustices?

Demander aux enseignants de se dévouer pour la cause nationale, là où d’autres se paient, à moindre frais, du bon temps, et deviennent des milliardaires sur le dos du peuple, c’est avaliser la forfaiture.

Surtout qu’au-delà de ses revendications corporatistes, légitimes, l’enseignant est le dernier rempart pour bousculer un ordre malsain qu’illustre le dialogue-deal du 28 mai dernier dont l’aboutissement prévisible a été les débuts de pardons à des dealers de très loin moins méritant que cet être essentiel à notre devenir qu’il est. Refuser l’inacceptable devient une ardente obligation pour l’enseignant qui n’est en définitive que l’instrument du destin.

#Je Suis Enseignant !

 

Adama GAYE

Journaliste

Adama GAYE

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