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Le Dialogue:  un Opni (objet Politique Non Identifié)

L’événementiel et le factuel en rétrospective ou en procéduriel occupent la quasi totalité de l’espace public politique intellectuel et médiatique, y réduisant à sa plus simple expression l’analyse politique prospective ou conceptuelle quoique à plus-value certaine. Présentement, il parait important d’intervenir sur le nécessaire débat de recadrage conceptuel, car la mal-conception est souvent source de produit frappé de monstruosité politique. Faire le consensus sur les mots pour ne pas que les maux ne fassent le consensus. Aujourd’hui il est question de dialogue politique sans que nul ne sache ce que les uns et les autres mettent dans ce concept. Il est important d’en avoir une définition opérationnelle claire afin que l’on puisse distinguer ce qu’il est de ce qu’il n’est pas. En clair, une définition la plus complète possible mais aussi la plus exclusive.

Fort de cela, la typologie ci -après pourrait être l’objet d’une réflexion critique.

Elle distingue la consultation politique, la concertation politique et le dialogue politique.

  1. La CONSULTATION politique ou républicaine:

Une consultation est en général un échange asymétrique. Dans le cadre de la république, la consultation républicaine reste un acte de gouvernance démocratique ou de cosmétique démocratique. Ici seul le Président de la République a l’initiative du sujet, de l’objet, du théâtre et de l’agenda. En clair, il décide qui consulter sur quoi, quand, où et comment en dehors de toute contingence ou de pression physique évidente. Les (ou le) consultés peuvent être du champ politique, parapolitique ou de secteurs clés pour la survie, l’essor, la stabilité ou la sécurité collective. Elle est à la fois structurelle et conjoncturelle, pouvant survenir à intervalles réguliers, donnant ainsi tout son sens à une probable « journée nationale », mais aussi au gré de circonstances imprévues nécessitant une réponse consensuelle. Le produit de la consultation n’est pas obligatoirement un document d’accord, encore moins un rapport. C’est juste une émission d’avis qui ne lie point le bénéficiaire.

  1. La CONCERTATION politique:

Ici l’initiative est libre et n’est pas toujours l’exclusivité du pouvoir. Il peut être  dans le sens pouvoir-pouvoir, pouvoir-opposition ou opposition -opposition avec en embuscade le « troisième secteur » du champ politique, la société dite civile.

Il s’agit d’échanges pluriels dont la finalité reste un accord politique ou une charte citoyenne, souvent documentés. Plusieurs forces vives de la nation peuvent se regrouper dans un cadre  pour discuter d’un point intérêt commun, général ou pas, national ou pas. Dans ce lot précis se situent les Assisses Nationales, initiées par l’opposition républicaine. On y compte également les assisses sectorielles portant sur des secteurs politiques majeurs comme l’éducation, la santé, l’économie…

  1. Le DIALOGUE politique:

Nous nous refusons de penser que le dialogue politique doit se résumer au simple dialogue (entre quatre murs et en aparté) des politiciens. Il doit être plutôt un dialogue de politiques, non pas de personnes mais de vision de personnes sur les fondements de la vie de la nation: économie, santé, éducation, social. Dialogue de politique publique de santé, d’économie, éducative telle que vue par les uns et les autres.

Le dialogue politique n’a jamais été rompu. Il est quotidien par le biais d’échanges d’invectives. Il est à ce jour à un niveau très bas, se perdant parfois dans les caniveaux. Il est très sonore.  Du « bruit et de l’odeur » deux mots et deux maux qui pourraient résumer l’état actuel du débat pour ne pas reprendre la formule de cet homme politique français qui avait choqué son monde. Le dialogue est un échange de procédés et contrairement à la négociation politique sa finalité n’est pas forcément un consensus ou un accord mais un enrichissement mutuel. C’est un échange sur des produits à  avantages comparatifs et alternatifs. C’est le choc des idées, des conceptions, des concepts, des visions, des actions… Bref des politiques comme outils de gestion de notre cité.

Il est aberrant, comme il est fréquemment usage sur les média et dans l’espace public, de faire la dichotomie entre la politique et l’économie. L’économie, c’est de la politique. La santé, c’est de la politique. L’éducation, c’est de la politique, …et toutes, rien que ca! Il est temps d’arrêter de réduire la politique à la vie des partis politiques et des politiques partisanes  qui, souvent, font tout sauf de la politique. Avec dextérité, la classe politique partisane est parvenue  à imposer cette vision réductrice de la politique à nos femmes et hommes de média qui apparentent la rubrique politique à plus ce que font ou disent ces hommes dits politiciens qu’à ce qu’ils devraient effectivement faire. Leurs propos malodorants sont relayés et en font les grandes attractions des tribunes médiatiques du weekend. Ils font l’actualité… Avec de la bouse, pardon du buzz plutôt.  Ce qui pose le grand problème de la fabrique de l’actualité, de sa qualité et surtout de sa consommation qui n’est pas sans danger, eu égard au risque d’abrutissement collectif et de détournement sur les véritables enjeux de la politique dont les missions première et dernière restent l’essor de la cité.

Je m’insurge avec force contre l’erronée idée et soutenue par plusieurs observateurs et analystes du jeu politique que la nécessité du dialogue est sous-tendue par une crise au sens classique du terme occasionnant une entrave à la bonne marche du pays. Ce n’est pas parce que les institutions marchent qu’un dialogue est sans objet.  Ce serait une vision fort réductrice du concept de dialogue. Ce serait le réduire à ces rencontres dites « dialogues de sortie de crise », de « négociations politiques » (dont la finalité c’est un accord politique moyennant  renoncement symétrique ou asymétrique selon les rapports de force ou les ambitions) qui sont souvent la conséquence justement d’une absence de dialogue en amont. La finalité du dialogue politique, ce n’est pas le silence. Mais celle de la négociation politique, c’est bien le silence politique. Silence politique n’est point synonyme de paix sociale; c’est même parfois une menace démocratique avec émergence de forces spontanées et inattendues.

Le dialogue politique est un échange permanent sur la politique, c’est à dire non pas l’art de gérer les affaires de la cité (ce qui relève de la très limitative conception gestion-administration) mais de son management qui implique la technique d’engager efficacement les ressources de la collectivité pour des lendemains prévus et réalisés meilleurs. Ce qui pose le problème  du dialogue de visions (pas des points de vue ou « guis-guis ») politiques, du dialogue des concepts, du dialogue des idéologies politiques,  du dialogue des programmes politiques et enfin du dialogue sur l’action politique. Sur ce dernier plan, l’action politique revêt deux dimensions: le verbe et l’acte. Aux gouvernants revient  prioritairement la seconde modalité et aux autres la parole. Entre les deux, l’indispensable facteur appelé ECOUTE. Laquelle va susciter une réaction censée être sensée si appropriée, corrective et méliorative.

Ainsi se dessine le cadre du dialogue politique. Il est public, pas confiné entre quatre murs. Dialogue ou échange de solutions. Sa plateforme de choix se confond naturellement avec les réseaux de communication dont la presse. Les média sont  à la fois le précurseur et le curseur du niveau du débat public. Du niveau et de la rigueur intellectuels de la presse dépend en grande partie le niveau et le sérieux du débat public politique qui est la base du dialogue politique.

Aujourd’hui le dialogue politique est piégé. Il ya une flagrante et inconcevable débandade (pouvoir comme opposition) sur  ces questions centrales qui constituent l’offre politique en vigueur qu’est le PSE, la CMU, l’Acte III de la décentralisation, les suites référendaires qui consacrent la naissance d’une nouvelle république et des implications politiques majeures qui vont retentir sur le devenir de notre cité. Plusieurs mois de recherche assidue sur la position de ces partis politiques sur ces questions restent infructueuse. Alors que leur contre-offre politique basée sur les insuffisances de l’offre actuelle devrait être disponible sur leur portail web.  Et pourtant, à l’ère du numérique, les très rarissimes partis à disposer d’un tel outil devenus banal  présentent plus un site-agenda avec les textes du parti, son organisation et son histoire. Ces indispensables outils de dialogue des temps modernes restent muets sur les politiques publiques en cours. Les points de vue exprimés sont plutôt individuels et engagent plus leurs auteurs que leurs partis, souvent avares en réflexions politiques sur les secteurs clés, prolixes en critiques et en déclarations laudatrices ou incendiaires sur les media. Le PSE, dont la conception a couté l’argent du contribuable reste un patrimoine politique collectif. Il n’est pas parfait. Il revient de l’améliorer par la contribution intellectuelle de tous, toutes obédiences politiques confondues pour mieux l’adapter à notre contexte et ambitions. Le pouvoir doit analyser avec philosophie les remarques de l’opposition sans calcul. L’Acte III est une révolution administrative majeure à très haut impact pour la communauté. Elle est victime d’une diabolisation que l’intelligence politique ne saurait accepter. Les politiques des deux camps réduisent le débat sur la simple question des allocations tandis que ceux qui ont censés le théoriser peinent dans leur inspiration. D’ailleurs cette importante initiative ne semble connaitre un document de projet complet ficelé à l’instar du PSE. Dans tous les cas s’il existe réellement, il faut peiner pour le trouver, et dans le cas contraire son évaluation serait impossible. Face à la CMU, la classe politique rase les murs, se contentant d’acquiescer alors que la philosophie politique face aux défis opérationnels pouvait faire débat. Les crises du paradigme de l’économie, de la santé, de l’éducation, de la culture sont royalement sous silence.

Sur cet échiquier politique composé presque exclusivement de coalitions électorales (aux allures d’alliances « contre-nature » pour reprendre l’expression de cet grand homme d’Etat sénégalais) et à vocation électoraliste et non de coalitions politiques, le débat le plus élevé n’est jamais allé au delà du droit électoral, c’est-à-dire des règles du jeu… Bref,   le vrai dialogue politique n’aura pas lieu de sitôt. Le dialogue électoral en tiendra lieu car la préoccupation c’est plus les « prochaines élections que les prochaines générations« .

Le Dialogue National: une invention politique

En démocratie le dialogue est un non évènement. Il est à la démocratie ce que la routine est au quotidien. Par contre, l’évènement c’est justement quand le dialogue devient un évènement. Il nous transpose dès lors  du schéma artificiel ci dessus disserté aux réalités insaisissables du jeu politique entre ses acteurs, ses règles et l’enjeu. L’exemple des historiques Assisses Nationales est éloquent. Véritable invention politique de la classe oppositionnelle d’alors, elle fut un ingénieux outil politique qui n’a pas connu la réponse adéquate. Ce fut le début de la déroute accentuée par une autre invention politique de type citoyen ou parapolitique que fut l’original phénomène du « Y en a marre« . Quand l’opposition d’alors avait opéré la magique trouvaille politique des Assisses, le camp adverse dissertait sur l’adjectif qualificatif. « Nationale ou pas » fut polémique. Piège sémantique!  Pire, pas de crise institutionnelle pour justifier les assisses fut argumenté. Piège conceptionnel!

Face à l’équation du « Dialogue Nationale », l’histoire semble se répéter à basse voix. En réalité, on est loin des outils de gestion républicaine et démocratique, mais dans le realpolitik où l’enjeu, c’est d’abord la survie politique. Elle passe par des laboratoires politiques qui vont exceller dans la production d’objets politiques de contrefaçons qui auront le double avantage de paraitre ce qu’ils ne sont pas et d’ en apporter les vrais bénéfices à moindre risque. La fameuse « Table ronde nationale » des chauds lendemains électoraux de 88 aura le mérite de baisser sans coup férir la fièvre sociale. En analyse de jeu politique, l’attraction tint plus de la montagne qu’à la souris qu’elle accoucha. La paix sociale fut sauve. L’intérêt partisan aussi.

L’ingéniosité est une marque des grandes démocraties. Elle donne un produit prisé appelé INVENTION POLITIQUE. Elle ne peut être contrée que par un contre produit du même genre et gabarit. La suppression du poste de PM et la théorisation du parti unifié ou parti unique de fait dans un contexte de (pseudo?) multipartisme constitutionnel, sa restauration en 70 comme shunt politique,  la théorisation du concept de parti de contribution, la théorisation des courants de pensée partisane imposés en 76-78, le fameux article 35 comme outil légal de dévolution quasi monarchique du pouvoir, la multipartisme intégrale en 81 pour masquer un déficit de légitimité d’une présidence dite « constitutionnelle », le congrès sans débat en 96 comme outils d’alternance politique partisane, les audiences de midi en 2006 comme arme de destruction, le recours référendaires en 2001 comme moyen de contourner une cohabitation de fait, la voie de consultation référendaire en 2015 comme calcul politique, … autant d’inventions politiques pour faire face ou transcender des situations critiques ou potentiellement.

Face à la leçon magistrale du test grandeur nature que fut la dernière consultation référendaire, le « oui » poussif tiré au forceps des urnes avec un score modeste sur un total maigre malgré le gros investissement au moins humain, a fini de sonner le glas du « Yaakaar ». D’ailleurs à la veille des toutes prochaines élections législatives prévues en 2017 le seul « Yaakaar » ne suffit plus pour asseoir l’unité. La coalition vient de montrer ses limites électorales objectives. Pas besoin de loupe pour lire. Toute politique de l’autruche se paie cash. La tache est d’autant plus ardue qu’il s’agit de législatives qui, par essence, pose le problème de la participation massive comme l’atteste l’analyse transversale des chiffres depuis 93, année du découplage.  1998, contexte organisationnel similaire à celui des futures jouxtes de 2017, a enregistré au taux particulièrement faible avec une victoire très limite de la coalition gouvernante. Même la présente législature tient sa légitimité d’un score de participation très superposable à celui du référendum que les adeptes de la lecture de premier degré ont assimilé à  un rejet populaire. Lecture simpliste ou émotionnelle. Et pourtant les élections eurent lieu à peine quatre mois après l’euphorique alternance de 2012.

Ce référendum explique au moins une chose: Il y a urgence politique! Le doute est une indication opératoire. La coalition gouvernante a besoin d’une chirurgie esthétique car le temps offre généreusement des rides et ankylose des majorités. Le mode opératoire la plus indiquée reste comme d’usage le recours, au prix de choquer, à une thérapie choc qui ne saurait relever que de l’invention politique dont les produits polémiques tiennent leur essence du droit ou de la morale et leur quintessence de la politique…  Ainsi avec la nouvelle donne, le champ politique refait son entrée au « marché « moussantee«  » avec la prouesse d’avoir installé un dialogue… sur le dialogue.  En attendant l’espace politique partisan continue sa mue. Demain, inéluctablement un nouveau… vieux visage.

 

Dr Cheick Atab BADJI

MBA en Science politique, Géostratégie et Relations internationales.

Analyste de politique – Biopolitiste

Project Manager Suivi Evaluation

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