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Elections : De Bonnes Raisons De Récuser Abdoulaye Daouda Diallo

Depuis l’an 2000, avec la magie des téléphones cellulaires dont les journalistes étaient équipés et relayaient, à la minute près, les résultats sortis des dépouillements des urnes, le Sénégal avait fini de franchir un pas de géant dans la voie de la transparence des élections, dont le processus de crédibilisation était devenu dès lors irréversible. Quand bien même, les quelques micmacs à la Abdoulaye Daouda Diallo ne sont pas de nature à entacher sérieusement les résultats du vote au Sénégal, il se pose tout de même une crise de confiance entre les acteurs qui ne milite pas pour la sérénité des uns et des autres, et partant, pour des élections apaisées.

Certainement que le choix d’une personne dite indépendante pour organiser les élections ne changerait pas fondamentalement la physionomie du vote. Abdoulaye Daouda Diallo, ministre de l’Intérieur, ne garantit absolument pas la victoire de l’Apr et du Président Macky Sall, tout comme le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom n’avait pu empêcher le Pds et le Président Abdoulaye Wade de perdre l’élection présidentielle de 2012. Mais il convient de reconnaître qu’un consensus trouvé à ce niveau entre les parties prenantes n’est jamais de trop et ne coûte rien au pouvoir en place. D’autant que, comme le reconnaît Seydou Guissé Sall, président de Warefi et membre de Benno bokk yaakaar : «L’opposition est dans son droit de récuser Abdoulaye Daouda Diallo, car nous avions réclamé le départ de Ousmane Ngom lorsqu’on était dans l’opposition en 2012. Nous en avions fait un cheval de bataille. La pression était tellement forte que le Président Wade céda sous notre exigence. Ainsi naquit le ministère chargé des Elections, avec à sa tête l’Inspecteur général d’Etat, Cheikh Guèye. Que nos actes soient conformes à nos propos ! Que la vérité d’aujourd’hui soit celle de demain ! N’agissons pas selon la convenance !» Cela étant, rechigner à accéder favorablement à la demande insistante de l’opposition reviendrait à vouloir cacher des desseins inavoués ou à entretenir inutilement une tension politique et une atmosphère délétère. Des situations dont le Sénégal se serait bien passé.

Au fait, c’est quoi même «le problème Abdoulaye Daouda Diallo», qui explique que le bonhomme soit disqualifié pour organiser les élections au Sénégal ? Voici un faisceau de faits accablants qui éclaboussent le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, et qui le mettent hors-jeu pour organiser les élections.

Déjà, dans un communiqué du Comité central du Parti socialiste qui s’est réuni le mardi 22 janvier 2008 sous la présidence du camarade Cheikh Abdoul Khadre Cissokho, premier secrétaire général adjoint, l’on a pu lire ceci : «Le Comité central invite la classe politique, la société civile et les militants de la démocratie à engager le combat avec pour objectifs prioritaires d’ici aux élections locales, d’aboutir à un processus électoral crédible et fiable fondé sur la mise en œuvre des recommandations de la Cena, sur la nomination d’un ministre de l’Intérieur non partisan et sur l’audit du fichier électoral.»

Une preuve que ce n’est pas la personne de Abdoulaye Daouda Diallo qui dérange. Déjà en 2012, la nomination de Mbaye Ndiaye comme ministre de l’Intérieur avait soulevé l’ire de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho). En effet, Alioune Tine, son président d’alors et coordonnateur du M23 de l’époque, souhaitait avoir un «ministre de l’Intérieur qui s’occupe des élections, qui ne soit pas d’un parti ou d’un autre». La nomination de Mbaye Ndiaye indiquait aussi que le Président Macky Sall «traînait» les pieds sur les recommandations des Assises nationales de 2009 quant à la dépolitisation du ministère de l’Intérieur. Il en est aussi de l’impossibilité de cumuler les fonctions de président de la République et de chef de parti. Mbaye Ndiaye n’a dû céder sa place au général Pathé Seck, qu’à la suite de la folle manifestation des Thiantacounes.

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Rappelez-vous aussi l’arrêté du gouverneur de la région de Dakar interdisant la tenue de toute manifestation dans la capitale sénégalaise entre le 10 novembre et le 5 décembre 2014. 15ème Sommet de la Francophonie oblige ! Une mesure administrative pour contrecarrer la tenue du meeting du «Front Patriotique pour la défense du Peuple» prévu le vendredi 21 novembre 2014. A l’époque, la déclaration aussi malheureuse que maladroite du ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo résonne encore dans les esprits épris de démocratie : «Les Forces de l’ordre ont d’autres chats à fouetter avec la Francophonie que d’encadrer des manifestations.»

Le 18 juin 2015, une enquête menée par la Ceda de Pikine a permis de constater que la commission itinérante d’instruction de la carte d’identité nationale s’est effectivement installée dans les lieux ci-dessous signalés : au siège de l’Apr à Dalifort, au siège de l’Apr à Guinaw Rails Sud, à la mairie de Diamaguène Sicap Mbao, à la mairie de Pikine Ouest et à la Maison de la Femme à Yeumbeul Nord. La Cena, organe chargé de la surveillance du processus électoral, avait confirmé l’installation des commissions dans les sièges de l’Apr. Mieux, elle avait «dénoncé et condamné très fermement ce qui s’est passé dans les communes citées ci-dessus et a appelé le ministère de l’Intérieur à éviter de tels manquements, préjudiciables à la bonne transparence dans le processus électoral».

De fait, en récusant Abdoulaye Daouda Diallo, l’opposition actuelle ne fait que réitérer une vieille et sempiternelle doléance qui constitue un point d’achoppement du dialogue politique en panne au Sénégal, mais qui s’est exacerbé depuis l’avènement du Président Macky Sall.

Le 23 juin 2015, le Front patriotique pour la défense de la république (Fpdr) s’est fendu d’une déclaration dont voici quelques extraits : «Nous fustigeons la tutelle des élections qui est exercée par le ministre de l’Intérieur qui se trouve être un militant actif et zélé de l’Apr. Dans le souci de crédibiliser le système et de lui faire gagner la confiance des acteurs et des populations, le Président Diouf avait, de concert avec son opposition, désigné une personnalité non partisane, un officier général à la retraite (Général Lamine Cissé), pour organiser les élections présidentielles de février et mars 2000. De son côté, le Président Wade avait nommé un ancien directeur général des Elections (Cheikh Guèye), homme de consensus, pour organiser l’élection présidentielle de 2012. Le Président Macky Sall aurait dû ne pas attendre d’y être invité pour aller dans le même sens pour préserver la crédibilité du système tout entier comme facteur de paix sociale et de stabilité démocratique. Nous récusons d’ores et déjà le ministre de l’Intérieur comme organisateur des élections. Nous interpréterons son maintien à cette fonction d’organisateur des élections comme une entreprise de confiscation de la volonté populaire.» A cet égard, le Fpdr a fait savoir que le Président Macky Sall ne doit pas faire moins que ses illustres prédécesseurs, les Présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.

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Pour sa part, le mouvement Y’en a marre, dans un document intitulé «Quand le juge devient partie», a accusé le ministre de l’Intérieur de parti pris. En effet, selon la bande à Fadel Barro, le ministère de l’Intérieur bat campagne pour le pouvoir, qui plus est, avec l’argent des Sénégalais.

Le Front ÑaaniBañna, de son côté, a interpellé la Commission électorale nationale autonome (Cena) sur le parti-pris manifeste du ministère de l’Intérieur de la République du Sénégal en faveur du pouvoir dans le référendum. En effet, sur les affiches apposées sur les axes routiers de la capitale appelant les citoyens Sénégalais au vote, le ministère de l’Intérieur a mis en exergue le «Oui», qui est facilement identifiable, et a relégué le «Non» dans une couleur à peine visible.

Pour le Front ÑaaniBañna : «Le ministère de l’Intérieur souti­ent le camp du ‘’Oui’’ et, dans une ignoble opération de propagande d’Etat, utilise l’argent du contribuable pour matérialiser un acte vil et laid en Répu­bli­que.»

Au lendemain du référendum du 20 mars 2016, en conférence de presse, le mardi 22 mars 2016, le ministre de l’Intérieur Ab­dou­laye Daouda Diallo annonce un score de 62,9% en faveur du «Oui» et 37,1% pour le «Non». Ancien ministre de l’Intérieur et représentant du courant du «Oui» dans la Commission nationale de recensement des voix pour le référendum, Mbaye Ndiaye a désavoué son camarade de parti, Abdoulaye Daouda Diallo, qui a cru devoir organiser une conférence de presse pour donner les chiffres du scrutin, outrepassant ainsi ses prérogatives. Mbaye Ndiaye recommande à son camarade de parti de respecter les normes républicaines en la matière. De fait, il y a trois instances habilitées à donner les résultats : les commissions départementales, la commission nationale et le Conseil constitutionnel.

Le jour de l’ouverture du dialogue national le 28 mai 2016 au Palais présidentiel, tout le monde a noté avec stupéfaction la passe d’armes houleuse entre Oumar Sarr et Abdoulaye Daouda Diallo, devant un Président Macky Sall, le regard hagard, et une assistance abasourdie.

Le coordonnateur du Pds a étalé au grand jour les carences qui ont accompagné le dernier référendum et qui portent la signature du ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo. Oumar Sarr : «Nous avons demandé le listing du fichier électoral, on nous l’a refusé. Dans les bureaux et centres de vote, ce sont les responsables de la coalition du ‘’Oui’’ qui avaient les listings, mais nous, responsables de la coalition du ‘’Non’’, nous n’en avions pas». «Vous l’aviez reçu», rétorque Abdoulaye Daouda Diallo qui, piqué au vif, est sorti de ses gonds puis est entré dans une colère noire que seul le self-control du Président Macky Sall a pu tempérer.

A la suite du lancement officiel du dialogue national par le Pré­sident Macky Sall, mandat a été donné au ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo de poursuivre les concertations sur le Code électoral avec les Forces vives de la Nation. Le second round du dialogue national s’est joué en effet le jeudi 9 juin 2016 au ministère de l’Intérieur. Mais l’on a tôt fait de constater que tout n’allait pas marcher comme sur des roulettes.

D’entrée, Abdoulaye Daouda Diallo a constitué le facteur bloquant et a cristallisé toutes les frustrations nées du dernier référendum. Des motifs valables pour qu’il soit récusé et disqualifié par Mamadou Diop Decroix d’And jef, Déthié Fall de Rewmi ou encore Amsatou Sow Sidibé de Car Leneen. Ces derniers lui ont, tour à tour, craché à la figure qu’il ne pouvait pas piloter les affaires électorales nationales avec sa casquette marron beige.

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Déthié Fall : «Vous n’êtes ni indiqué ni apte à organiser une élection dans ce pays. La dernière consultation électorale, à savoir le référendum, a montré des manquements extraordinaires comme le tirage des cartes d’électeurs, privant 180 mille citoyens de leur droit de vote. Nous avons noté aussi ces bureaux fictifs parce que le passage inexpliqué du nombre de bureaux de vote à l’étranger de 653 à 1 213 en 2016 est inexplicable… Le pourcentage aberrant du nombre de votants par rapport à la population dans plusieurs communes démontre que vous êtes inapte… Vous êtes membre du directoire de l’Alliance pour la république (Apr), maire de commune [maire de Boké Dialloubé (arrondissement de Saldé, département de Podor)] et ministre de l’Intérieur.»

Amsatou Sow Sidibé : «Nous avons été traumatisés lors du référendum puisque nous nous sommes rendu compte que l’élection n’a été ni transparente ni impartiale. Je voudrais que l’on se penche sur cela et sur la question des bureaux fictifs, le stock mort et aussi les électeurs qui valsent d’un lieu de vote à un autre et qui n’y arrivent pas au-delà du temps imparti.»

Mamadou Diop Decroix : «L’expérience que nous avons vécue avec Abdoulaye Daouda Diallo montre qu’il ne peut pas être équidistant, ni prendre de la hauteur par rapport à son appartenance politique qui est l’Apr. Il est même maire d’une commune. Il n’a pas réussi à organiser des élections non contestables. Nous continuons de dire qu’il faut une autorité indépendante pour organiser des élections transparentes. Le processus électoral est vital dans tout pays démocratique, il est la procédure de dévolution du pouvoir. Si cette procédure n’est pas fiable, si les acteurs n’ont pas confiance, le pays ne peut pas être stable et avoir la paix civile.»

Maintenant, au-delà des conciliabules autour de l’organisation des élections, il faudra tendre résolument vers le dépérissement progressif des structures d’exception, genre Ceni ou Cena et l’organisation des élections par le ministère de l’Intérieur et par ses démembrements au niveau de l’Etat déconcentré, sans contestations majeures ni contentieux post-électoral, comme cela se fait dans les grandes démocraties du monde. Mais il faut reconnaître que le Sénégal n’a pas encore atteint le niveau de maturité politique nécessaire pour qu’on en arrive là de sitôt. En attendant, c’est la méfiance et la défiance sur fond de suspicions et d’accusations de toutes sortes entre les acteurs en présence.

Qu’à cela ne tienne, de la même façon que le Président Macky Sall a mis la pédale douce pour appeler à un dialogue national pour faire la paix des braves avec les syndicats d’enseignants ou encore pour se montrer favorable et disposé à élargir Karim Wade de prison, cette dynamique d’apaisement devrait également prévaloir pour confier l’organisation des élections à une autorité consensuelle. La pérennité du dialogue politique et de la paix sociale au Sénégal le valent bien.

 

Pape SAMB – papeaasamb@gmail.com

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