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Ombres Sur Le Journalisme

C’est un moment révélateur de l’état du journalisme au Sénégal : répondant à un célèbre animateur de télévision, une styliste nationale non moins connue, profite d’un détour verbal pour lâcher une bombe. «Y a des ‘doulnalistes’ », déclare-t-elle ! Pan. Le terme fait mouche tant ce jeu de mots wolof est toxique. Son préfixe définit les journalistes: des menteurs! Piquée au vif, leur corporation, syndicalistes en tête, hurle sa colère. Première réaction : elle décide de ne pas couvrir le Dakar-Fashion-Show qu’organise la gaffeuse, chaque année !

Qu’Adama Ndiaye, Adama Paris, de son nom d’artiste, ait, ensuite, mis du bémol en précisant qu’elle ne visait que quelques ripoux, rien n’y a fait : la charge virale de son propos était déjà propulsée dans les réseaux sociaux.

Et ô surprise, dans cet espace virtuel qui bouscule les canaux classiques de communication de masse, les commentaires des citoyens du net, les Netizens en anglais, lui étaient largement favorables. «Elle a parfaitement raison », s’exclame l’un d’eux.

Re-pan!, sur les journalistes sommés de réaliser que leur profession est sur la défensive. A une ère où les disruptions technologiques rendent obsolètes, à une allure vertigineuse, des métiers et technologies naguère sûrs de leur pérennité, il n’a ainsi fallu qu’un mot déplacé pour mettre à nu la gravité de la crise qui plombe la pratique du journalisme au Sénégal.

Les cris d’orfraies, si justifiés soient-ils, pour tenter d’éteindre le feu n’en sont que plus insuffisants même s’ils sont émis à partir des derniers cercles portés sur les valeurs d’un métier dont les heures de gloire remontent aux temps héroïques de la naissance de l’imprimerie ou de la bande morse, c’est-à-dire très loin dans le temps. Si bien que rappeler le rôle que la diffusion de l’information de masse a joué dans l’amélioration des conditions d’existence sur notre planète ne peut, au plus, que masser les égos malmenés des journalistes. Le mal est planétaire. Il touche le corps journalistique partout en banalisant le rôle de leur profession dans l’enracinement des grandes révolutions, industrielles, technologiques ou agraires!

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La rapide déshérence de leur art, sur fond d’une mutation que ses praticiens ne semblent pas maîtriser, est le nouveau paradigme qui le caractérise. En cause, entre autres, l’avènement des technologies modernes de communication qui a créé un monde en voie de dématérialisation, écornant au passage le statut de la presse, surtout écrite, dans la dissémination de l’information avant que, plus tard, des médias dits ‘chauds’, comme la radio et la télévision, selon la terminologie de Marshall McLuhan, ne viennent le lui contester.

Désormais chaque citoyen, sans les filtres des correcteurs de copies et des rédacteurs-en-chef d’antan, peut, au moyen d’un téléphone portable ou d’un mini-ordinateur, planter son scoop et le voir traverser la toile de l’internet, d’un point à l’autre du globe, sans même avoir à payer un sou.

C’est à qui sera le plus rapide pour être en première ligne dans la proposition, la production et la provision de nouvelles, de celles relatives au buzz sur les peoples au scoop sur les grands enjeux. Le récent phénomène des lanceurs d’alertes dont Wikileaks et les Panama-Papers sont l’illustration vient embrouiller davantage cette boucle mouvante…

Que les journalistes sénégalais ne mesurent pas la gravité de la menace n’en devient que plus inquiétant. Parce qu’au-delà des accusations parfois infondées voire légères, instruites contre eux, une introspection sans états d’âme s’impose. Il leur faut comprendre pourquoi, soudain, après avoir été à l’avant-garde du combat pour la démocratisation et l’affermissement des valeurs éthiques, le journalisme national se retrouve à présent sur le banc des accusés.

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Les charges à son encontre sont nombreuses. Compromission avec les pouvoirs jusqu’à voir certains de ses ténors être traités de «dames de compagnie » ; coûteuse et vaine parade dans des institutions inutiles, telles que le CNRA ou le fumeux CONTAN; collusion de directeurs de publication avec des insulteurs pour s’en prendre à de décents citoyens ; corruption devenue une arme de soumission massive de nombre de journalistes ; gestion approximative de beaucoup de groupes de presse ! S’y ajoute la concentration de médias influents, à des fins de lobbying, aux mains d’hommes d’affaires, les nouveaux Hersant, ou politiciens, de tous bords, quand les journalistes abandonnent la quête d’une information sur les tares de la société, la mal-gouvernance ou les vraies réponses aux défis du pays.

Certes le journalisme sénégalais survivra à cette montée des périls mais il risque d’être méconnaissable s’il n’opère pas un retour aux fondamentaux nourri par une pugnacité vis-à-vis de tous les pouvoirs dans la société.

C’est en cela que les digressions d’une styliste mal inspirée lui offre le prétexte de se réinventer pour redevenir le cœur battant d’une démocratie à revitaliser. Le faire alors que sa morsure sur le public baisse et que triomphe l’information de l’instant ne sera pas facile. Déjà, les passifs récipiendaires de l’information d’hier, l’observent, pressés de contester son rôle maintenant que les médias sociaux les ont ‘capacités’. Dès lors, dire qu’il lui faudra négocier au plus serré le plus dangereux virage qu’il a connu de longue date est, in fine, un doux euphémisme!

 

Adama Gaye

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Journaliste-Consultant

Adama GAYE

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