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Lettre Ouverte Au Président De La République à Propos Du Secteur De La Pêche

Monsieur le Président,

En son article 12.1, le code de conduite pour une pêche responsable de la FAO, stipule:

les États devraient reconnaître qu’une pêche responsable exige qu’une base scientifique solide soit disponible pour aider les responsables de l’aménagement des pêcheries et autres intéressés à prendre leurs décisions . Par conséquent, les États devraient veiller à ce qu’une recherche appropriée soit conduite sur la pêche sous tous ses aspects, y compris dans les domaines de la biologie , de l’écologie , des sciences environnementales, de l’économie, des sciences sociales, de l’aquaculture et des sciences de la nutrition. Les États devraient assurer la disponibilité de moyen de recherche et prévoir une formation, des ressources humaines et un renforcement des institutions, au niveau approprié, en vue de conduire la recherche, en tenant compte des besoins particuliers des pays en développement.

Le Sénégal dispose d’une façade maritime longue de 718 km de côtes, avec un plateau continental de 23 819 km². Nous disposons d’un des fleuves les plus long de l’Afrique de l’Ouest dont la longueur est de 1800 km. Egalement nous avons plusieurs plans d’eau et des dépressions. Notre position géographique, favorable à bien des égard, fait que nous soyons dans une zone d’amplitude maximale des « Upwailings ».

A ces atouts naturels, il s’ajoutent d’autres non moins importants et enviables.

  • Notre flotte artisanale particulièrement, qui assure pas moins de 80% des débarquements et mises à terre, est sans égale dans toute la sous région; elle compte environ 20 000 unités, motorisées à près de 90%.

  • La pêche sénégalaise dispose surtout de ressources humaines de qualités et en nombre, dont la technicité et avérée.

  • Nos ports , nos quais , nos industries de transformations, nos usines de glace, répondent aux critères et normes standards.

Avec ses atouts et acquis, la pêche est, sans commune mesure, un des segments les plus essentiels et dynamiques de notre économie. Son apport à tous les niveaux est réel, incontestable et mesurable.

En vous souhaitant la bienvenue, Monsieur le Président, nous ne pouvons manquer l’opportunité de vous demander de prendre conscience du manque d’ambition de votre gouvernement pour ce secteur. Comme vous le savez, le Sénégal, malgré une consommation de près de 30 kg per capita, parmi les plus élevées au monde, et qui représente 76% de nos besoins en protéines animales, n’a pas su, jusque là, mener une bonne politique pour garantir la disponibilité du poisson pour tous.

Notre poisson, surtout les petits pélagiques, nonobstant le rôle stratégique qu’il a dans notre alimentation, reste comme par le passé, mal réparti, puisque mal conservé, mal transporté. Les habitants de « Thione » mangent très rarement du poisson, une localité située à moins de 200 km de Mbour. Des milliers de tonnes de poissons, chaque année, pourrissent sur nos rivages, simplement par manque de glace. Que de pertes pour les pêcheurs et mareyeurs certes ! Mais aussi, un gâchis énorme pour notre économie .

Quant à nos industries de transformation et de traitement, elles souffrent du manque de réactivité et de solidarité de l’Etat. Les marchés se tournent de plus en plus vers l’Asie. Or, l’Etat semble les laisser à la merci de ces nouveaux dragons qui ne manqueront pas, si rien n’est fait, de les phagocyter.

Pour d’autres l’accès aux financements reste le problème principal. Les marchés de Busan et de Hong Kong leur sont fermés, alors qu’ils ont perdu ou risque de perdre leurs clients sur L’Afrique, car elles se les disputent avec les chinois, coréens et indiens très présents et souvent beaucoup plus solidement nantis. A Abidjan aujourd’hui, qui est l’une des places importantes pour notre exportation, très peu de nationaux peuvent y vendre. Impossibilité presque totale en ce moment, pour nos sociétés de vendre en Russie, alors que pendant ce temps, les russes nous disputent le » Yaboye « sur nos plages et travaillent sans aucun respect de nos lois et règlements.

Le tableau est sombre, Excellence, je vous le concède. Et pourtant il l’est beaucoup plus sur nos plages oű les mareyeurs et les femmes transformatrices sont au bord du précipice. Là bas, sur nos plages, règne l’anarchie la plus totale. N’importe qui, venant de n’importe où, peut faire n’importe quoi ! Allez à Joal , à Mbour , vous trouverez des mareyeurs et transformateurs de tous les horizons ; parfois plus à l’aise dans leur travail que Modou, Samba, Binta ou Fatou. Et dire qu’il est impossible à un Sénégalais de faire sortir un kilogramme de poisson en Mauritanie, ou de vendre un kilogramme au marché (hall) de Bamako. Même les USA , pays  du libéralisme par excellence connaissent ce qu’est :  « préférence nationale «.

Excellence, en bon Lébous, nous allons vous rendre hommage en tant que hôte ! Nous éviterons les sujets qui gênent, les promesses.  Ainsi donc , nous ne parlerons point de votre visite dans le passé à Kayar l’animée, ni des 5000 moteurs de pirogue …. Nous tenterons, après tout de comprendre, qu’il y a une part de petite politique. Ainsi, nous devinons qu’à l’approche des élections législatives, certainement, certains nous reviendrons, qui sait, peut être avec 500 ou même 1000 moteurs … Et puis le reste , on verra bien , peut être en 2019 …

Ne parlons pas non plus du prix de l’essence pirogue, même si le baril est presque à …. Taisons nous aussi du désir farfelu de certains de vouloir vaille que vaille interdire les monofilaments. Ne gênons personne. Nous allons rester correct et courtois, cela est décidé !

Bonne idée alors, pour quoi ne pas parler d’un des secteurs identifié comme moteurs de croissance par le PSE ? L’Aquaculture !

Excellence, dans les régions du Nord, du Sine et du Saloum, ainsi que de la Casamance naturelle, la pêche continentale, bien qu’étant moins importante que celle maritime a toujours contribué, de manière importante, à garantir l’autosuffisance alimentaire et à donner une occupation. Jusqu’à présent , la pêche continentale demeure une activité centrale et maîtrisée dans certaines contrées, même si elle souffre d’un manque d’intérêt dans l’élaboration, ou devrais je dire, dans la mise en œuvre des politiques sectorielles .

Contrairement aux croyances entretenues, les productions de cette forme de pêche étaient beaucoup plus importantes par le passé. Dans les année 70 , elles atteignaient les 47 000 tonnes et plus de 70 000 personnes s’y adonnaient. Comme pour le thon vers la même époque où le Senegal était le 2ème exportateur mondial, nous constatons un recul spectaculaire .

Lors de l’atelier de validation de la nouvelle lettre de politique sectorielle, tenu durant la première quinzaine du mois de Mai 2015, Monsieur Le Ministre de la Pêche disait :

» la nouvelle LPS vise a accélérer les réformes en cours, accroître leur efficacité, en renforçant significativement la cohérence des interventions, des projets et programmes publics sur la base de trois objectifs :

— la gestion durable des ressources halieutique .

— la restauration des habitats

— le développement de l’aquaculture de même que la promotion et la valorisation de la production halieutique et aquacole « .

Selon Monsieur Gueye, chargé de programme à l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) :  » Dans le domaine de l’aquaculture , les carences de la LPS apparaissent clairement. Seules 1000 tonnes de poissons ont été récoltés sur les 100 000 tonnes prévues, pour un investissement de 7 milliards de francs « .

Le commentaire d’alors de Monsieur le Représentant de la (FAO) fut sans appel : » la pêche maritime et continentale se trouve dans un état de vulnérabilité qui peut être considéré comme inquiétant  » disait il .

Les chiffres sont éloquents et criards. Par conséquent, ce qui est inquiétant et déroutant c’est pourquoi un ministère aussi stratégique, aussi important pour l’économie nationale et le bien être de nos populations, est entre des mains aussi peu aptes ? Le Sénégal ne saurait être assimilable à des équipes de « navétanes », avec juste des ambitions de quartiers !

Mais là n’est pas, ce jour, notre propos .

Monsieur Le Président de La République, en vous souhaitant la bienvenue pour la tenue de votre conseil des Ministres chez nous à Dakar, nous ne vous présenterons aucune doléance. Nous le savons , les populations de St. Louis, qui attendent depuis juin 2012, viennent naturellement avant les autres , et puisque la liste est un peu longue , nous pouvons, après tout, nous contenter de … Diamniadio et de … notre Mer bénie, quand elle ne dévaste pas nos maisons et cimetières de Yéne à Thiaroye .

Je suis presque tenté de vous parler, comme un bon Rufisquois, du » Dakar Gate  », mais que non ! Je résisterais à la forte tentation, sinon je serais trop long. Je vais rester dans mon immense sujet : la mer. Oui, je reste sur ce pilier central de notre économie de demain plus qu’aujourd’hui .

Pour moi, la pêche et les services doivent être le moteur de notre envol économique. Nous devons plus compter et développer notre pêche et notre Économie de la mer, surtout avec la versatilité de nos rendements agricoles, trop dépendant de la pluviométrie non maîtrisée et avec l’archaïsme de notre élevage, jusqu’à présent incapable de produire 5 litres de lait par vache. La pêche, à tord ou à raison, nous semble être plus sécurisante et maîtrisable. La pêche et l’économie maritime qui, sur le plan mondial, produit près de 2000 milliards $ par an, bien devant les télécommunications et l’aéronautique, nous en sommes certains, peut bien, pour  nous, être la bonne voie .

Et puis, n’avons nous pas depuis toujours été bénis par les génies de Sangomar ? Le secteur de la pêche dispose encore de potentialité incommensurables.

Alors Excellence , nous vous prions d’ouvrir les portes fermées de nos entrepôts frigorifiques au Mali. Ouvrez les marchés larges et immenses du Nigeria. Faites nous vendre au Niger et au Bénin. Faites que l’Afrique soit à nous par notre présence sur les marchés. Les Huîtres des îles Karone attendent de voyager vers l’Europe et Les Amériques.

Excellence, les nationaux n’organiseront jamais une fuite des capitaux, il méritent votre appui ! Je ne voudrais pas être excessif, alors je ne vous parlerais pas du rôle que la pêche joue pour la réduction du déficit de notre balance des payements. Pourquoi parler des difficultés de la pêche industrielle avec ses problèmes de manque de moyens, parce que en partie étiquetée secteur à risque par nos banques? Et de l’état de notre flotte, qui si elle existe est juste composée de rafiots ? Non je ne le ferais pas de cela. D’autres l’on mieux fait, avant moi, du reste .

Ainsi, je m’en vais humblement vous annoncer que je suis un adepte dans mon domaine, de  » l’approche de précaution  »  (Garcia ), pour mieux me faire comprendre et terminer mon propos en vous entretenant en dernier lieu de l’état de nos ressources, de l’effort de pêche et de la surexploitation .

Excellence, à l’entame de mon adresse à votre égard, j’ai d’emblée parlé du code de conduite pour une pêche responsable de la (FAO). Cela était pour moi un prétexte pour pouvoir vous rappeler l’extrême faiblesse des connaissances scientifiques portant sur les principaux stocks exploités, leur potentiel exploitable et l’effort  » permissible  » sur nos ressources halieutiques. Pour un peuple où vous avez des Lebous, des Gueutndariens, des thioubalos, des Niominkas et des Karones , cela nous parait surréaliste. Nos écoles, nos universités, nos connaissances ne sont rien si elles ne nous servent pas dans nos vies de tous les jours. Pourquoi nous ne pouvons assurer une surveillance fiable et efficiente de nos ressources?

En vous remerciant d’être venu vers nous, Excellence, nous ( pour chaque nous, nous de la communauté ) vous rappelons, puisque vous en êtes le garant et le gardien, que notre potentiel halieutique est gravement menacé. Les ressources pélagiques hauturières, estimées entre 25 et 30 000 tonnes pour les thonidés majeurs et entre 10 et 15 000 tonnes pour les petits thonidés côtiers, sont pleinement exploitées, à la limite même surexploitées pour beaucoup d’espèces comme l’albacore. Le groupe de travail COPACE/ FAO de 2005, sur l’évaluation des stocks pélagiques côtiers de la région Nord-Ouest africain, bien qu’ayant conclu à une tendance haussière du stock des sardinelles ( sardinellaaurita et maderensis ) qui représentent 80 à 90 % des captures de petits pélagiques, recommande une approche de précaution en plafonnant le niveau de capture à 400 000 tonnes. Pour les chinchards, leur niveau d’exploitation est actuellement proche du MSY ( Maximum Sustainable Yield ).

Paradoxalement Excellence, c’est dans ce contexte que votre gouvernement durant ces quatre dernières années, a autoriser l’installation de plus d’une vingtaine d’unités de traitement, étrangères à 80 %, à transformer en bonne partie de ces produits. Certaines de ces unités ont des capacités de traitement de plus de 200 tonnes de sardinelle par jour ( Diamniadio et sangalkam par exemple ). Les conséquences sont multiples, néfastes et dangereuses à la fois.

En vous parlant de sur exploitation, l exemple du Thiof peut être révélateur. Son potentiel exploitable est aujourd’hui de 1471 tonnes. Idem pour le rouget qui, avec un potentiel de capture qui oscille entre 1700 et 1920 tonnes, fait dire aux membres du groupe de travail qu’il est largement surexploité. Le MSY de la seiche, Monsieur le Président de la République, est de 3851 tonnes, elle est surexploitée, plus que rare est elle en ce moment. Il en est de même pour le poulpe dont le potentiel avoisine 12 900 tonnes, de la crevette avec un MSY de près de 3518 tonnes, des crabes rouges …

Excellence, l’effondrement des pêcheries, la disparition des communautés de pêche et de l’industrie halieutique, se dessinent de plus en plus nettement, hélas ! Cette situation fait subir au secteur des contrecoups économiques imparables, ainsi que des baisses de profit parfois fatales. Manifestement, la pêche se paupérise. Monsieur le Président, c’est avec une peine réelle que je vous le dis : Toutes les filières de notre milieu sont dans une situation de crise sans précédent et cela risque de compromettre la viabilité du secteur.

Pour terminer, Monsieur le Président de la République, même si certains de ma communauté et/ou certains de ma corporation peuvent être en désaccord avec moi, je me dois sincèrement de vous dire que, dans les pêcheries, la production est par nature limitée ; à tel point que même si une quantité infinie d’intrants était consacrée à la pêche, la production resterait limitée à la taille du stock. Ainsi donc, il est urgent d’examiner la pérennité des niveaux de la production. Reconnaissons le ! Il est donc devenu évident qu’une croissance continue de la production nationale ne constitue pas une stratégie VIABLE à long terme. Nous devons le reconnaître et l’accepter pour pouvoir accélérer les véritables réformes.

L’accroissement des bénéfices tirés des ressources halieutiques d’un état, Excellence, peut provenir d’une augmentation de la valeur ajoutée, de la réduction des coûts de production ou mieux, de l’organisation efficiente et efficace des bénéficiaires. Voilà la place du chef d’orchestre, voilà son rôle. Oui ! Même le Lebou que je suis, avoue que pour une bonne efficacité économique, nous devons avoir maintenant, une politique de contrôle de la capacité de pêche, quand bien même qu’il faille l’humaniser.

Très respectueusement,

 

Amadou Ahmét NDIR

SG Nationale adj chargé de La Pêche et de L’Economie Maritime ( PDS )

 

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