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Sortir De La Préhistoire

Pour sauver notre terre et les hommes qui l’habitent, il est nécessaire et urgent d’éloigner aussi loin que possible le spectre de la Préhistoire et ses démons. Cependant, sortir de la Préhistoire après s’y être confortablement installé n’est guère une entreprise aisée. La Préhistoire est un état mental et physique dont on se débarrasse difficilement une fois que l’homme s’y trouve installé. Excès et débauche, déviation et délinquance, crime et agression : voilà les contraintes qui assaillent l’âme de l’homme préhistorique. La lutte collective permanente contre ces fléaux peut éloigner la Préhistoire aussi loin que possible de l’homme de notre temps. Le sens moral, principale caractéristique de l’historicité, implique une maîtrise de soi, une détermination ferme, une volonté inébranlable d’aller toujours en avant dans le sens de la droiture et de la rectitude. Il existe des valeurs qu’il faut cultiver en permanence si l’on veut sortir de la Préhistoire. L’archaïsme de l’Humanité était marqué notamment par l’absence des valeurs d’avenir. «Loyauté, honnêteté, amitié, indulgence, abstention du pillage et du meurtre, écrit l’anthropologue anglais, Lewis Mumford, ne s’appliquaient qu’à ceux qui étaient à l’intérieur de la communauté, et non pas à ceux de l’extérieur.» En effet, l’homme de la Préhistoire est incapable de se lier d’amitié aux hommes qui ne sont pas de la même espèce que lui : les bandits, les voyous et la horde des meurtriers. Le criminel n’ose jamais s’attaquer à ses homologues. Il ne s’en prend qu’aux êtres sans défense, sans force. Le criminel est aussi lâche que paresseux. Il dissimule sa lâcheté et sa paresse. Il risque de se faire prendre à montrer sa nudité. Le criminel, en dépit de sa brutalité physique, est plus vulnérable qu’on ne le pense. L’origine du chaos réside dans l’inadvertance collective vis-à-vis de la vulnérabilité des hors-la-loi. La connaissance et la reconnaissance du mal permettent de l’éradiquer. Connaître et reconnaître, voilà le pouvoir. Pour aller à contre-courant de la déviation, il est urgent de propager par le canal de la communication des masses, et par-delà le cercle étroit de la communauté restreinte, les nobles idéaux de l’Humanisme et de la Morale.

La Préhistoire est la brute force physique, la puissance des muscles sans beauté. La voie royale qui mène sans détour à l’Histoire et à la Civilisation reste la reconquête de la beauté. Sortir de la Préhistoire passe aussi par le culte du beau et du juste ; c’est aussi être sourd à l’appel des instincts débridés. Se boucher les oreilles aux appels aveuglants de l’irrationnel, telle fut la stratégie de survie à laquelle eut recours Ulysse, personnage emblématique de Homère, pour échapper à la séduction mortelle des Sirènes.

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Dans la culture ancestrale des Nations, la transfiguration de l’homme en une bête sauvage est certes une légende, mais elle est également une métaphore vivante de la dégradation de l’être humain. Dans la légende, tout n’est pas faux. «La légende, écrivent Horkheimer et Adorno dans La dialectique de la raison, exprime le pressentiment des hommes.» L’homme qui ne vénère pas la vie dans toutes ses incarnations, ce serait injuste envers les animaux de les comparer à ce type d’homme.

Tribalisme et ethnicisme, clanisme et sectarisme, survivances de l’époque médiévale, voire même des époques antérieures, sont des signaux de la Préhistoire de l’homme. Neandertal et Cro-Magnon, hominidé et australopithèque, néolithique et paléolithique : voilà une nomenclature anthropologique qui traduit plus un état mental, un inconscient préhistorique qu’une évolution biologique lente de l’homme de tous les temps. Elle renvoie à des temps immémoriaux marqués notamment du sceau de sang versé, de chasse aux êtres sans défense, de pillage et de meurtre. L’auteur anglais, Lewis Mumford, n’est pas le seul anthropologue à avoir pensé que «l’expansion générale de l’élan érotique ne fut peut-être pas le moindre des aspects de la révolution néolithique». Evidemment, pour autant qu’elle rime avec la violence, la révolution n’est pas toujours synonyme de changement positif. Elle est plutôt proche de la violence et de la barbarie. La hantise des viols est une polarisation de la vie sauvage et de la transition révolutionnaire.

La gestion du quotidien, et du quotidien seulement, restera improductive tant que les projections sur l’avenir resteront au stade où elles sont maintenant, tant qu’on ne tirera pas suffisamment de leçons adéquates des erreurs du passé. Le changement radical du système de gestion permet de sortir de la Préhistoire. Une nouvelle rupture, un saut dans l’inconnu, est la voie du salut. Les paramètres existants ont montré leur inefficacité. La situation exige un tel dépassement, d’autant plus que nos idées, si elles ne manquent pas d’originalité et d’authenticité, sont en réalité nauséabondes. Il est évident que les valeurs pour lesquelles ni les moutons ni les corbeaux ne daignent se battre ne peuvent conduire qu’à des impasses. Les valeurs de résignation, de docilité et de courtisanerie à l’égard des oligarques et des aristocrates servent-elles à autre chose qu’à l’érosion de la personnalité ? Même ceux en qui nous avons fondé tous nos espoirs, tout comme leurs détracteurs qui, à leur tour, aspirent à gérer nos vies en régime d’alternance, sont tous des anarchistes sans témérité. Ils reculent devant toutes sortes d’épreuves difficiles. Ce sont des anarchistes parce qu’ils ne font cas que fort peu des tabous. Leur stratégie de lutte en politique n’est que celle de la débandade et de la dérobade, au moindre aperçu des pétards des forces de répression. Pourtant, même les tout-petits à leur place, s’adonnant aux jeux des feux d’artifices, n’auraient jamais reculé d’un iota. Même dans de rares cas de velléités de braver les interdits d’un ramassis de petits bureaucrates, elles se manifestent dans des zones périphériques, loin des points névralgiques des capitales administratives où les gaz, les cobras et les gourdins attendent des manifestants. Il est impossible de se débarrasser de la Préhistoire dans une société où l’homme qu’il faut n’est jamais à la place qu’il faut, où l’anarchiste est leader, où les cours sur les vertus de la courtisanerie remplacent l’éducation civique, où l’analphabète règne sans partage, le délinquant veille sur la sécurité publique, les contrebandiers gèrent la prospérité des contrées.

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Formes déguisées et clandestines de la débauche et du libertinage, la polyandrie et la polygamie illimitée n’ont entraîné, comme conséquence, que la fécondité féminine inutile. Le peuplement démesuré de la terre est la pire catastrophe du temps présent. Comment sortir de la Préhistoire dans une terre stérile, mais féconde en démographie pléthorique faite d’êtres mal entretenus, confiés à des ruelles et des bidonvilles insalubres ?

La faiblesse des tabous, résultant de leur ridiculisation, n’a engendré que des désastres. «Aucun interdit sacré, écrit Mumford, aucun sentiment qu’il existe des limites et des bornes ne se dressent alors sur la voie du rapt, de la torture ou du meurtre.» La conservation des tabous n’est que prétendument responsable de la chute dans des situations chaotiques. En effet, les tabous qui garantissent l’équilibre social doivent être revigorés. Nous n’allons pas jusqu’à dire que les tabous ont disparu suite à l’évolution sociale, mais simplement qu’ils montrent des signes de faiblesse chaque fois qu’ils sont ridiculisés par l’intelligentsia. La faiblesse des tabous dans cette phase qui est la nôtre donne l’espérance de vie beaucoup plus longue à l’homme préhistorique. Ce dernier aspire à la vie et à la luxure, et cette fin mesquine pour lui justifie tous les moyens qui permettent d’y parvenir. Pour ce qui nous concerne, nous qui sommes ses alter ego, à force d’attacher trop de prix à la vie, nous risquons de la perdre. La crainte en face de l’agresseur, du violeur et du vandale renforce le camp de la criminalité. Pour rester en vie, il est indispensable d’être prêt au sacrifice suprême.

Le remède est à la portée de main. L’homme préhistorique est un être en déliquescence progressive, qui perd de plus en plus sa force et son énergie. Le criminel est l’être le plus faible. L’origine du chaos est l’insouciance affichée par le corps social à l’égard d’un tel état de fait. L’ignorance de la fragilité du criminel et du délinquant explique leur bestialité en progression. Il est facile de passer à l’assaut et neutraliser les tendances barbares des violeurs, des voleurs et des meurtriers, afin de les replonger dans le flux du temps de l’Histoire, en les enfermant dans des monades au sens leibnizien du terme. «The monads, écrit Leibniz, have no windows through which anything could come in or go out.» (Les monades n’ont pas de fenêtres à travers lesquelles quelque chose pourrait entrer ou sortir). Au moyen âge, les criminels étaient enfermés dans ces monades dont parle Leibniz, qui sont sans trou ni fenêtre où passerait le souffle létal de l’extérieur, et torturés à mort pour leur inculquer le respect de l’ordre et de la loi. C’est ainsi que la brutalité légale visait un objectif bien défini : que l’homme cruel retrouvât son équilibre naturel et recouvrât ses bons sentiments que sont l’affection, la longanimité et la convivialité. L’isolement radical et la solitude absolue dont souffraient atrocement les criminels de l’époque médiévale : telles sont les mesures moralement légitimes d’éradiquer le chaos intérieur de l’homme du moyen âge.

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Non moins exténuante que la déclinaison des calamités de la Préhistoire est l’énumération des mesures appropriées à prendre pour en sortir. Il faut conclure. La conclusion est délicate sur un processus dont la fin n’est pas programmée pour demain. L’histoire de la Préhistoire doit arriver à terme, tout comme la préhistoire de l’Histoire a pris fin par le passé. Mais les similitudes des deux récits s’arrêtent là. La Préhistoire anachronique que nous vivons présentement ne s’achèvera pas en beauté, car il s’agit d’un récit de calamités et de catastrophes jusqu’à la fin. L’histoire de la Préhistoire prendra fin un jour, la survie de l’Humanité en dépend. C’est une fin inévitable et salutaire. Si la catastrophe était inscrite dans la durée, l’Humanité ne pourrait pas lui survivre. L’Humanité n’est pas une motte d’argile qui défierait les intempéries. L’homme est un être sensible, fragile, en dégénérescence, au fil du temps. Le décompte macabre des meurtres, des viols, des enlèvements et des cambriolages nocturnes et même diurnes ne peut pas continuer impunément. Les mesures idoines prises pour y mettre un terme seront radicales ou, autrement, elles ne seront que des mesures de comédie et de complaisance au bénéfice des hors-la-loi et au grand dam des victimes innocentes.

Babacar DIOP

mb.diop@hotmail.com

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