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Une Histoire De Torture

La police sénégalaise est accusée de torture plus souvent que cela ne devrait. Dans l’idéal, elle veillerait à ne jamais se retrouver dans cette position. Lorsqu’un détenu meurt dans un commissariat (Elimane Touré en février 2017) ou après une arrestation musclée (Masseck Diop en juin 2018), elle incrimine la santé fragile de la victime ou évoque le suicide.

Pour avoir une idée des méthodes ayant jalonné l’histoire de cette institution depuis le temps du parti unique et son lot de sévices sur des détenus politiques (ici), il faut prendre connaissance du témoignage de l’ancien député du Parti démocratique sénégalais (PDS) Mody Sy, aujourd’hui Président du Conseil d’Administration de la Société Nationale des Eaux (SONES). Accusé d’avoir été le cerveau de l’assassinat du juge Babacar Seye, en 1994, il raconte (ici) ce qu’il a vécu après son arrestation.

Il reçut d’abord le « supplice de l’épervier » : on le mit en position accroupie et on fit passer une barre de fer derrière ses genoux puis deux hommes le soulevèrent et le posèrent entre deux tables d’une certaine hauteur, la tète en dessous. Chaque fois qu’il bougeait, les menottes se serraient un peu plus sur ses avant bras, provoquant une douleur des plus atroces. Comme cela ne suffisait pas à lui faire avouer, ils l’électrocutèrent. L’un des hommes amena un appareil de la taille et de la forme d’une brique relié, par des fils, à un détonateur. L’autre homme lui enroula un fil dénudé sur chaque avant bras. Ils commencèrent à poser leurs questions à tour de rôle. Plus l’accusé donnait des réponses insatisfaisantes, plus les décharges électriques étaient violentes. Suivirent, entre autres, les mégots de cigarettes sur ses parties génitales et la simulation d’enterrement vivant sur une plage.

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Mody Sy est connu, c’est une figure politique de ce pays. Il a le privilège de susciter l’intérêt des médias et de pouvoir raconter au monde son histoire. Mais à côté, combien sont-ils de Mody Sy anonymes, corps brutalisés et enfermés, intégrité physique et morale atteinte, santé physique et mentale éprouvée, droits élémentaires bafoués, vies enlevées.

Josette Marceline Lopez Ndiaye de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté l’affirme : « la torture et les mauvais traitements demeurent une pratique au Sénégal. » Elle nous apprend qu’ « au cours des dix  dernières années, 20 personnes, au moins, sont décédées en détention dans les MAC, brigades et commissariats de police du fait de la torture et des mauvais traitements ». Un décompte macabre qui nécessite une prise de conscience collective et des mesures idoines pour y remédier.

Des éléments de notre police sont accusés de torture le plus souvent dans l’indifférence. La réaction de leur hiérarchie et des gouvernants, sinon complice, semble au moins complaisante. Une complaisance à l’égard de la torture qui touche aussi des couches de la population allant du citoyen éduqué ou non à l’intellectuel faiseur d’opinions en passant par les politiques. L’un parmi ces derniers n’a-t-il pas récemment écrit, parlant de meurtriers d’enfants recherchés, « il faut les traquer et les soumettre à un interrogatoire rugueux jusqu’à ce qu’ils balancent leurs commanditaires ». Un appel lancé à la police à torturer des suspects une fois arrêtés qui sont, rappelons-le, présumés innocents au moins jusqu’à l’issue de leur procès.

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Ces détenteurs de la puissance publique et de la violence légitime, garants de la sécurité de tous, abusent fréquemment de leur pouvoir pourtant strictement encadré par la loi puis vaquent tranquillement à leurs occupations. Cela a fini par s’inscrire dans une forme de normalité. Même lorsque le simple citoyen entre dans un commissariat pour solliciter le service public, violence verbale et torture psychologique ne sont jamais loin.

rdemba@

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