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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Merci Seigneur De Nous Avoir Donner Nos Marabouts !

Mbokki taalibe yi (chers condisciples), l’heure est grave. Nos marabouts sont de plus en plus désacralisés. Des égarés croient qu’ils peuvent se passer d’eux tout en restant musulmans. Ils veulent se suffire de Dieu, du Prophète (Psl) et de leurs recommandations, programmant ainsi la fin de nos dynasties confrériques. Ils vont jusqu’à penser que nos marabouts sont des citoyens comme nous, alors que nos grands-pères, comparés aux leurs, n’étaient que de petits types, pour ne pas dire de viles créatures.

L’interdiction du téléphone portable au volant est une aubaine pour certains agents de la circulation. Une contravention ou, le plus souvent et de préférence, un billet de banque que le Trésor public ne verra jamais. Ces jours-ci, on a beaucoup glosé sur la conduite d’un marabout pris au volant de son 4×4, l’oreille collée à son portable. Il a tout de go signalé son rang au policier. Celui-ci, ne pouvant décoder le message, s’est permis de le verbaliser. Le saint par hérédité l’a alors abreuvé d’injures devant les badauds interloqués avant de redémarrer son véhicule. L’agent s’y accroche. Le marabout accélère, le traînant sur une bonne distance, et heurte une voiture roulant en sens inverse. Emmené au poste, il est immédiatement relâché sur ordre du ministre de l’Intérieur. Merci, Monsieur le Ministre, mais nous blâmons ceux qui forment des agents sans leur apprendre que les lois de la République ne s’appliquent pas aux marabouts.

Depuis quand est-il permis à un flic d’interpeler quelqu’un qui roule en 4×4, un sëriñ de surcroît ? Nous exigeons que ce policier soit « déshabillé » dans les plus brefs délais. Ne sait-il pas que ses collègues qui, en 2009, avaient arrêté un marabout à Mbour, avaient tous été affectés ailleurs ? Ils étaient trente-quatre. Seuls deux d’entre eux avaient conservé leurs postes. De quoi s’agissait-il ? Un Sénégalais lambda avait surpris son épouse en galante compagnie avec un marabout. Au lieu de faire comme s’il n’avait rien vu, il avait eu le culot d’apostropher le saint homme qui, offusqué d’être interrompu dans ses activités, l’avait bien rossé. Le mauvais taalibe avait porté plainte et les limiers mal formés avaient mis le marabout sous mandat de dépôt, geste qu’ils auront à regretter. On ne badine pas avec nos « espoirs ». Au Sénégal, les disciples des marabouts ne sont pas inquiétés quand ils bastonnent ou tuent des gens, bloquent la circulation ou saccagent des locaux de presse. Comment donc envisager l’arrestation d’un marabout qui ne faisait que passer un bon moment avec la femme d’autrui et n’avait administré que quelques coups de poing au mari qui s’était cru cocu ? Nous, vrais taalibe, si nous surprenons un marabout avec notre douce moitié, nous devons nous en réjouir et lui dire : « Revenez quand vous voudrez, la maison est vôtre. » Cela ne peut que nous ouvrir davantage les portes du paradis, sans parler des xeewël ici-bas. Si ma fille plait à un marabout, peu importe si elle est mineure ou pas, déjà fiancée ou pas, je lui donne sa main. Tout ce qui fait plaisir au marabout fait plaisir à Dieu. Et tout ce qu’on fait pour le marabout, on le fait pour Dieu.

Récemment, on a vu sur la 2Stv, une fille de 20 ans, orpheline de père, raconter qu’elle est depuis trois ans l’esclave sexuelle d’un marabout, mari de deux femmes, qui l’a enceintée quatre fois et l’a obligée à avorter à chaque fois. Trouvant que sa vie est en danger parce que des disciples du sëriñ, drogués notoires, menacent de l’éliminer pour qu’elle ne révèle pas l’identité de leur maître, elle appelle à l’aide. Quelle aide ? Qui peut l’aider ? Il est impensable d’accuser un marabout d’abus sexuels. Et si les disciples veulent la tuer pour qu’elle se taise à jamais, c’est parce qu’ils savent qu’ils seront récompensés par le Seigneur. Un marabout sénégalais est au-dessus des lois humaines et celles de Dieu ne le condamnent pas. Impunité dans les deux mondes.

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Dieu répète sans cesse qu’Il n’y a pas d’autres dieux que Lui et prévient qu’Il peut pardonner tous les péchés excepté l’associationnisme (shirk). « Dieu vous met en garde contre Lui-même » (Coran III, 28). Mais chez nous, un Cheikh, qui a prédit que tous les Sénégalais seront ses taalibe, déclare publiquement que telle personne est Dieu et nul n’ose le démentir. Quand deux affirmations se contredisent, l’une au moins est un mensonge. Dieu ne ment pas et nous croyons que le marabout aussi ne ment pas. Face à ce dilemme, nous nous disons que le marabout est dans le baatin qui lui fait savoir que ce que Dieu a dit n’est pas ce que Dieu a voulu dire.

Moussa, le prophète, n’était pas assez élevé pour voir Dieu. Il ne pouvait que L’entendre. Nous, Sénégalais, sommes avec Dieu de sa naissance à sa mise dans un mausolée, Lui parlons, mangeons avec Lui, Le voyons malade… D’aucuns expliquent que quand on dit que tel marabout est Dieu, cela ne signifie pas qu’il est le Dieu qui a créé la vie et la mort, le ciel et la terre et tout ce qu’il y a entre les deux, mais il est quand même dieu sinon on ne l’aurait pas dit. Il ne nous reste plus qu’à comprendre qu’au moment où le Coran descendait, Allah était Unique, mais depuis l’arrivée de nos marabouts, il y a d’autres dieux.

Tel grand marabout a beau déclarer qu’il n’est qu’un esclave de Dieu et un serviteur du Prophète (Psl), nous préférons ne pas entendre ces paroles pour continuer à clamer qu’il est Dieu ou alors la première des créatures, la boue avec laquelle Adam a été façonné.

Dieu nous dit de n’adorer que Lui et de ne placer notre confiance qu’en Lui. Nous trouvons plus avantageux d’adorer nos marabouts et de leur faire confiance.

Dieu a prescrit la prière et le jeûne. Tous les musulmans, y compris le Prophète (Psl), doivent s’y soumettre sauf les disciples de certains marabouts sénégalais. Wooplow ! Dieu nous a accordé des faveurs qui nous confèrent le droit de ne pas suivre Ses ordres, des faveurs qui nous permettent de Le contredire et de Lui créer des égaux.

D’après l’Islam, si un musulman déclare avoir vu la lune, nous devons commencer ou rompre le jeûne. Nous n’avons que faire de cela. Seul compte ce que dit notre marabout. Sont-ils des milliers de musulmans à avoir vu la lune, si notre marabout refuse de les écouter, c’est lui que nous devons suivre. Même si nous voyons la lune de nos propres yeux, nous nous convainquons que c’est la queue de Satan.

Nous fuyons le mendiant qui n’a besoin que de 500 francs pour manger et nous allons offrir 20 000 francs au marabout. L’aumône que Dieu nous recommande ne vaut pas les adiya. Quand nous donnons aux pauvres (miskiin), nous ne marquons qu’un point, mais quand nous remettons une partie de nos maigres ressources aux marabouts pour qu’ils renforcent leurs collections de femmes, de voitures et de villas, nous marquons au moins dix points.

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L’Islam dit que le Prophète (Psl) est le seul musulman à qui il est permis d’avoir plus de quatre épouses. Dans le baatin à la sénégalaise, nos marabouts ont les mêmes droits que l’envoyé d’Allah. En vérité, nous les plaçons au-dessus de ce dernier. Vous pouvez caricaturer, calomnier ou injurier le Prophète (Psl), cela ne nous dérange pas trop, mais si vous parlez des dérives de nos marabouts, nous devons vous châtier car nul n’a le droit de leur trouver des défauts.

Un marabout boit de l’alcool sous nos yeux ébahis, on nous fait croire que c’est nous qui voyons de l’alcool, mais ça se transforme en lait dès que ça entre dans sa bouche.

Un marabout fait tout le contraire de ce que Dieu, les prophètes et les saints nous recommandent, nous nous prosternons quand même devant lui en lui disant que c’est sur lui que nous comptons pour être sauvés. Mucc ci lan ? Ci mbugalu Yálla ? Dieu dit que s’Il veut qu’un mal nous atteigne, nul autre que Lui ne peut l’écarter. D’accord, mais cela ne concerne que ceux qui n’ont pas de marabout. Dieu ne peut pas vouloir qu’un mal nous atteigne parce qu’Il sait qui est notre marabout.

Des millions de gens dont les plus hautes autorités vont s’agenouiller devant les marabouts, et, qui veut diriger le pays, informe d’abord les khalifes généraux pour avoir leur bénédiction. C’est la preuve que le salut est là car si autant de monde y croit, ce n’est pas pour rien. Il y a même des étrangers, des tubaab et autres qui leur font acte d’allégeance et versent leur adiya.

Qui n’a jamais donné de l’argent à son marabout ? Avoir un marabout, c’est aussi partager avec lui ce qu’on gagne à la sueur de son front ou autrement, l’argent n’ayant pas d’odeur. Un marabout n’est pas né pour travailler, c’est nous qui devons travailler pour lui. C’est ainsi qu’il récolte les fruits du labeur de son grand-père. Nul n’y peut rien. Mais combien peuvent dire que c’est leur marabout qui leur a appris le Coran, les hadiths et autres ? Très peu. Un marabout moderne n’a souvent ni l’obligation ni le temps d’enseigner. On en connait même un qui avoue n’avoir jamais lu le Livre Saint (en arabe) parce qu’il en est incapable, mais s’en glorifie en se comparant au Prophète (Psl) qui était illettré. Ignore-t-il que celui à qui il se compare est la meilleure des créatures ? Par ailleurs, le sceau des prophètes (Psl) connaissait par cœur le Coran qui lui était directement transmis par l’archange Djibril. Mieux, sa nature était le Coran. Et il ne pouvait ni lire ni écrire en français. Est-ce que notre Cheikh peut en dire autant ?

Au Sénégal, le disciple confie sa personne au marabout et croit qu’il va lui assurer le bonheur ici-bas et dans l’au-delà. A chaque rencontre, le disciple sort des billets de banque et le marabout formule des prières car Dieu entend mieux les prières des marabouts. Les nôtres ont du mal à atteindre Ses oreilles. Mais quand nous serons morts, des anges dérouleront un tapis rouge pour nous accueillir et nous trouverons notre marabout et Dieu assis côte à côte, chacun sur son trône.

Si des marabouts ont participé à l’inauguration du « monument » d’Abdoulaye Wade, c’est parce que l’essentiel n’est pas de savoir si Dieu condamne ou pas cette statue, mais de savoir combien de faveurs leur accordera le pape du Sopi.

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Un marabout possède des terres sur lesquelles l’Etat n’a aucun droit parce qu’elles sont dans une ville fondée par son grand-père, il y a un siècle de cela. Un paysan cultive son champ dans le village fondé par ses aïeuls depuis trois ou cinq siècles, ses terres appartiennent à l’Etat, c’est-à-dire au président de la République qui peut à tout moment les distribuer à ses ministres et courtisans.

Ceux qui dénoncent les biens du peuple que nos gouvernants octroient aux marabouts n’ont pas compris que c’est pour que chaque citoyen soit rétribué quelle que soit sa religion. Les marabouts n’ont pas besoin de notre argent. Ils l’acceptent juste pour nous rapprocher de Dieu. De plus, ils sont généreux, nos marabouts. Ils nous gavent de nourriture, égorgeant à chaque fête confrérique des centaines d’ovins, de bovins, de chameaux et de la volaille à n’en plus finir. De succulents et copieux mets que nous, pauvres taalibe, ne dégustons point ailleurs.

Nos marabouts ont deux pouvoirs : la prière et la foule. On estime, à tort, la population du Sénégal à moins de 14 millions d’habitants. Un Cheikh, qui n’est même pas khalife général, révèle qu’il a, à lui seul, plus de 10 millions de disciples dont quatre millions d’électeurs. Cela prouve que les recensements sont erronés car tous les autres marabouts réunis doivent en avoir au moins le triple, sans compter les non-taalibe et les non-musulmans. La Chine populaire n’a qu’à bien se tenir.

Maintenant que des marabouts descendent dans l’arène politique pour prendre eux-mêmes le pouvoir, un avenir radieux nous tend les bras. Même quand un marabout joue de la musique, on entend dire que ce sont des anges qui l’inspirent et guident ses doigts sur son piano. (Le tam-tam, la kora, le xalam et le balafon ne sont sans doute pas assez nobles pour accompagner des mélodies divines.) Donc, avec des dirigeants assistés par des anges, le Sénégal sera la première puissance mondiale, la terre promise où le lait et le miel couleront à flots. En attendant, certains marabouts se plaignent de ne pas avoir de taalibe parmi les ministres. Légitime revendication. La parité homme-femme, c’est bien beau, mais il faut d’abord instaurer la parité taalibe- non taalibe. Chaque marabout doit avoir un quota de disciples dans le gouvernement.

Si le Sénégal est un pays béni où il n’y a pas de guerre, pas de coup d’Etat, pas de tremblement de terre, pas d’éruption volcanique, pas de famine, un pays où tout le monde se porte bien, un pays où il n’y a que des gens bien qui ne font que du bien, c’est grâce aux prières de nos marabouts. Dieu nous a placés au-dessus de tous les peuples. Il nous a même gratifiés d’un dignitaire politico-religieux qu’il suffit de voir pour aller au paradis. Ëskëy !

 

Bathie Ngoye THIAM

Bathie Ngoye THIAM

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