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« Concurrence Déloyale » : Laissons Les Chinois Tranquilles Et Regardons-nous En Face

Depuis un certain temps, on entend des commerçants sénégalais crier qu’il faut expulser les Chinois, sous prétexte qu’ils leur font une « concurrence déloyale », au lieu de se demander pourquoi ces Asiatiques font de meilleures affaires. C’est mieux de chercher à corriger ses tares que d’accuser autrui du mal qu’on se fait soi-même. Examinons nos plaies et soignons-les. Les Chinois n’y sont pour rien. Pendant des décennies, les Libanais et les Mauritaniens ont dominé notre commerce, et personne ne parlait d’expulsion. On n’y pensait même pas.

Le Sénégal est le pays des contrastes hallucinants. La bonté et la méchanceté y circulent dans le même canal. L’amour des uns n’y a d’égal que la haine des autres. L’hypocrisie y est drapée d’une fausse sincérité assortie de belles paroles mensongères et de serments grandiloquents. Ce n’est pas un pays où le sang coule à flot, mais les crimes se font autrement. Derrière les sourires, il y a la malice. Sous la blancheur des dents, du sang est tapi, comme on dit. Les cœurs les plus crasseux ont l’art de se parer d’une pureté artificielle. Les Sénégalais aiment leur pays et en sont fiers, mais avancer la main dans la main leur est impossible. Chacun veut se hisser au-dessus des autres. Le « Djolofman » lambda ne souhaite pas et ne supporte pas la réussite de son compatriote. « Ce que je convoite, mais ne peux pas avoir, mon voisin ne doit pas l’avoir non plus. » Ce qu’on n’arrive pas à obtenir, on préfère le détruire ou aider l’étranger à le prendre plutôt que de le voir dans les mains du collègue, du voisin ou même du frère. Blancs, Jaunes et Rouges, si vous voulez faire fortune sans beaucoup d’efforts, j’ai un bon tuyau : rendez-vous au Sénégal ou dans un autre pays d’Afrique noire, la mentalité semblant innée à la race, et prétendez que vous pouvez jeter des sorts, appauvrir des gens, les rendre fous à mâcher leurs haillons ou même les faire mourir.

Chez nous, les langues de vipère qui ne font que dire du mal d’autrui, raffolent des mauvaises nouvelles. Et quand elles ne sont pas assez mauvaises, on les déforme et on en rajoute à outrance. Le but est de ridiculiser l’autre, de le rabaisser, le blesser, lui donner envie d’ouvrir la terre et de s’y cacher. Chacun essaie de se mettre en valeur, voulant montrer qu’il est le plus important, le plus riche, que ses habits sont les plus valeureux, que sa montre ou ses chaussures sont de qualité supérieure. Même les plus démunis achètent parfois des signes extérieurs de richesse plutôt que de la nourriture. Les cruelles moqueries, le manque de respect et la méchanceté sont des poignards qui lacèrent le cœur bien plus que la famine, la maladie ou toute autre calamité. Les Africains qui font des affaires à l’étranger préfèrent souvent travailler avec des gens d’une autre race ou ont des partenaires étrangers, amis, femmes ou époux pour gérer le business.

Et lorsqu’un des nôtres réussit à amasser assez d’argent pour créer une entreprise familiale, car tous ne sont heureusement pas comme je viens de le décrire, il suffit qu’il meure pour que chacun réclame sa part d’héritage à gaspiller, et c’est la fin de l’entreprise. Le génial Ndiaga Mbaye a chanté : « Dès qu’on rentre de ton enterrement, les tout-petits se mettent à pleurer pendant que les plus grands se disputent tes biens. » Nul ne pense à l’intérêt de la famille qui fut ta préoccupation.

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Les Chinois ont tout simplement compris notre mentalité. Il suffit de faire un tour du côté de Barbés ou Château Rouge, à Paris, pour se rendre à l’évidence. Il y a un grand nombre de boutiques où ne sont vendus que des produits d’Afrique noire. On y trouve de tout et à n’importe quelle saison. De l’huile de palme, du manioc, du gombo, vraiment de tout. Ces boutiques sont achalandées et la clientèle est noire. Derrière les comptoirs, des Chinois encaissent l’argent. Ne cherchez pas les mots en français, dites « naajo », « bisaap », « yeet », « diaxatu », « laalo », « netetu », « kecax », « coof » ou que je sais-je encore, et le Chinois vous le sort. Reconnaissons qu’il y a là un incontestable sens des affaires. L’Africain qui est « au pays » vend son produit à vil prix, et son frère qui est à Paris le rachète des dizaines de fois plus cher. Et qui en profite ? L’intermédiaire.

Je n’ai rien contre les Chinois. J’ai même de l’admiration pour leur doigté… C’est très rare de voir ces Asiatiques embaucher des gens d’une autre race, et quand ils le font c’est dans un but commercial bien calculé. Ils travaillent la main dans la main, se marient entre eux et ne se regroupent qu’entre eux. Pourtant dans ces boutiques, il y a des Africains qui travaillent, mais savez-vous en quoi consiste leur boulot ? Eh bien ! Ils surveillent leurs frères pour que ceux-ci ne volent pas les produits, et ils le font avec zèle, naturellement. Mais le comble, c’est qu’on trouve non loin de là, près de la station métropolitaine, de misérables Sénégalais devant leurs étalages, des tissus étalés par terre. Ils vendent des lunettes, des montres et d’autres pacotilles dont personne ne veut. L’idée ne leur vient pas de réunir leurs sous et faire comme les Chinois. Devant ce poignant spectacle, même les hommes politiques qui appellent à la xénophobie et au racisme, auraient un pincement au cœur, à moins qu’ils ne disent : « Ces Noirs sont vraiment des cons ! Qu’ils crèvent donc ! » Cela ne se voit pas seulement à Paris. Il paraît que même à New York où il y a une importante communauté de nos compatriotes, il faut aller chez le Chinois pour acheter des produits sénégalais.

Les Sénégalais sont partout dans le monde, mais c’est difficile de trouver un restaurant sénégalais dans les grandes villes européennes et souvent ce n’est qu’une gargote malpropre, alors que les restaurants et snack-bars chinois poussent comme des champignons et marchent à merveille. Bientôt, les Chinois vendront du ceebu jën aux émigrés sénégalais et le feront découvrir aux Blancs.

Entre nous, les relations sont malsaines. Quand ton « frère » vient vers toi, c’est pour chercher le moyen de t’arnaquer. S’il t’emprunte quelque chose, il te racontera plein d’histoires, mais ne te rendra rien, ne te payera rien. Il n’en aura même pas honte. Pour lui, l’idiot dans l’histoire, c’est toi. Mais des crapules, on en trouve dans tous les pays du monde. Je sais qu’on ne peut pas dire : « les Sénégalais sont comme ci, les Français sont comme ça, les Espagnols sont comme cela. » Je parle seulement de généralités ou de particularités reconnues qui caractérisent un peuple. Certes, notre hospitalité est fort réputée, mais derrière elle se cache souvent la mesquinerie d’êtres sans scrupule qui se croient malins et prennent leur malhonnêteté pour de l’intelligence. Bien des touristes s’en sont aperçus tardivement.

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La magouille et la corruption sont partout. D’aucuns blâment les Chinois, les accusant de corrompre nos fonctionnaires pour avoir les papiers leur permettant de rester chez nous. Je doute de la véracité de ces accusations, mais si elles s’avèrent fondées, les coupables n’ont pas les yeux bridés. Quand Les Chinois auront des organisations criminelles, on pourra dire : « Oui, il faut qu’ils partent. » Pour l’instant ils ne font que travailler honnêtement et « aider » les plus démunis à acquérir certains biens. Prenons juste garde à ce qu’ils ne nous vendent pas des produits nocifs et qu’ils respectent nos lois. Ils sont des « Bambeyois », l’adage disant : « njëgug Bambey, na tuut te teew. » Si vous voulez acheter quelque chose qui coûte cent francs, le commerçant sénégalais risque de commencer par vous dire mille-deux cents, s’il voit que vous n’avez aucune idée du prix, le Chinois, cent-cinquante. Un peu de franchise ne tue pas. Quelqu’un qui avait une boutique à Sandaga disait pour justifier cette pratique que l’Islam condamne d’ailleurs : « Tout commerçant qui va au marché cherche quelqu’un à tromper. » D’autres disent : « Xaalis kenn du ko ligeey, dañ koy lijënti. » Avec une telle mentalité, nos pauvres compatriotes sont bien contents que les Chinois soient là. Ceux qui trouvent cette concurrence déloyale n’ont qu’à baisser leurs prix ou s’organiser pour trouver d’autres fournisseurs. Et qu’ils creusent d’abord la tombe de leur gourmandise ! Mieux vaut vendre mille objets à trois cents francs l’unité que dix à cinq cents francs. Comment se fait-il que ce soient les Chinois qui, depuis une vingtaine d’années, vendent nos denrées alimentaires à nos émigrés ? Ils ont du flair et savent détecter les bons créneaux, au lieu de chercher la facilité en augmentant abusivement les prix..

Nous, Africains, nous ne nous aimons pas les uns les autres. Il n’y a aucune solidarité, rien que de la jalousie, de l’arnaque, des mensonges et des rivalités sordides. Je ne généralise pas car il y a toujours des exceptions, mais regardez autour de vous. Le mot « iñaan » est bien wolof. Je raconte souvent cette blague selon laquelle, il y avait en enfer, une fosse remplie de feu pour chaque nation. Une pour les Américains, une pour les Israéliens, une pour les Anglais, ainsi de suite. Devant chaque fosse, un ange veillait à ce que les occupants ne sortent pas. Dès qu’il y en avait un qui s’approchait du rebord, il le repoussait dans le gouffre ardent. Mais celui qui devait surveiller les Africains n’était pas à son poste. Dieu s’en aperçut et lui demanda des explications. L’ange répondit : « Ce n’est pas la peine de surveiller les Africains car chaque fois qu’il y en a un qui est sur le point de sortir de la fosse, les autres le tirent par les pieds et l’y font retomber. » Nous sommes doués pour nous entretuer à coups de machette, mais pas pour nous unir et avancer. J’ai vu un jour deux Zaïrois se disputer dans un train de banlieue en France, devant tous les passagers. L’un dit à l’autre, en tirant le col de sa chemise : « Regarde bien ici : Pierre Cardin ! Je ne suis pas comme toi, moi… » Ce fut ma honte de l’année.

Vous savez, seuls les Blancs, pas tous, bien entendu, nous acceptent et semblent parfois nous aimer plus que nous nous aimons les uns les autres. En vingt-six années en Europe, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de voir dans une rue de Cologne, en Allemagne, des enfants dont le père était noir, la mère d’origine chinoise. Cette dernière devait sans doute avoir été adoptée, toute petite, par une famille blanche, d’où une autre mentalité et un autre mode de vie. Les Arabes non plus ne se marient pas souvent avec nous. J’imagine qu’en Inde c’est pareil. En Chine, les étudiants africains qui pensaient qu’il en était autrement, ne comprirent pas ce qui leur arriva. Taxés de démons, ils furent pourchassés et sévèrement tabassés, pour ne pas dire lynchés par la population. Cet indignant événement fit la Une des journaux du reste du monde. Et comme si tout cela ne suffisait pas, nous refusons de nous marier entre nous, pour des « raisons » d’ethnies et de castes, que nous nommons « valeurs culturelles ». Seuls les Toubabs que nous taxons de racistes se mélangent à nous, et ce à tel point qu’on trouve même dans les villages les plus reculés d’Afrique ou d’Occident, des « café au lait » dont le nombre ne cesse de s’élever vertigineusement.

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Laissons nos Chinois tranquilles et travaillons d’arrache-pied, comme eux, avec plus de sérieux et plus de solidarité. Abdoulaye Wade l’a bien dit : « Il n’y a pas de secret ; il faut travailler… » Faîtes le tour des bureaux pour constater le laisser-aller. Les gens ne sont jamais à l’heure et font tout sauf travailler. Devenons « Chinois », nous irons loin. De plus, les Chinois sont discrets. Ils sont en très grand nombre dans beaucoup de pays du monde. A Paris, il y a même un « quartier chinois » où l’on se croirait presque à Pékin. Pourtant, on ne fait jamais allusion à eux quand on parle d’immigration. On ne vise pratiquement que les Noirs et les Arabes, les plus bruyants. Et les racistes ne pointent que ceux-là du doigt. Ce sont eux qu’on voit, souvent menottés, dans des fourgonnettes de police. Je n’ai jamais entendu parler de charters à destination de Pékin, alors que des Chinois en situation irrégulière, il y en a des milliers. Seulement, ils ne dérangent personne, restent entre eux et se font presque invisibles. Même quand ils se livrent au trafic de drogue ou à d’autres magouilles, ils se font rarement « gifler ». Ils ont de la discipline, le sens des affaires, ne gaspillent pas et sont solidaires entre eux. Ce sont des gens bien organisés qui savent travailler. Servons-nous d’eux comme exemple au lieu de vouloir les chasser sans raison plausible. Qu’est devenue notre « teranga » ? Ne les guerroyons pas, faisons comme eux, avant que le centre de Dakar et ceux d’autres villes ne deviennent de petits Pékin. Changeons nos mentalités et TRAVAILLONS !

 

Bathie Ngoye Thiam

Bathie Ngoye THIAM

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