Je suis croyant et mouride. Mon père fut même représentant d’un khalife général. Et mon grand-père était très proche des marabouts.
J’aborde un sujet sensible, mais je crois que nous devons en parler. Si nous voulons avancer, disons-nous la vérité. Ceux qui croient en nos saints, jurent ou parlent en leurs noms, doivent suivre leurs pas. Les orateurs de rues disent que Serigne Touba n’avait pas de poches dans ses vêtements et ne touchait même pas l’argent. Vrai ou faux, je n’en sais rien, mais cela montre qu’il n’accordait pas beaucoup d’importance aux biens de ce bas monde. Est-ce que tous ses descendants en font autant ? Ce que j’ai vu me fait dire : « Non, pas tous. »
Alioune Mbaye Nder a beau chanter « Limousine du dara », force est de reconnaître que c’est bien quelque chose dans un pays comme le nôtre. Vous imaginez-vous Serigne Bamba ou El Hadj Malick acheter une telle bagnole, même si les temps ont changé ? Notre artiste n’a pas convaincu les détracteurs. Loin de moi, cependant, l’idée d’insinuer qu’on n’est pas un bon marabout uniquement parce qu’on a des voitures de luxe ou de jolies maisons. Ne dit-on pas que Seydina Ousmane fut très riche ? Seul Dieu sait qui est qui. C’est Lui qui connaît le contenu des cœurs.
Lors d’un Magal de Touba, j’ai été témoin de choses qui m’ont néanmoins laissé perplexe. J’étais dans la maison d’un de ceux qu’on appelle les « petits marabouts ». Il était assis dans son fauteuil et fourrait dans ses poches l’argent que les disciples lui donnaient. Il avait de grandes poches bourrées de billets de banque. Quand ces derniers tombaient par terre, les poches étant pleines, il se levait, allait dans une de ses chambres, puis, revenait quelques minutes plus tard, les poches vides pour les remplir de nouveau. De temps en temps il faisait une prière de quelques secondes et postillonnait dans l’air. Ceux qui étaient devant s’en allaient et d’autres prenaient leurs places pour donner leurs « adiya ». Pourquoi pas ? Mais je voyais qu’il veillait bien aux sous qui entraient dans ses poches. J’avoue que j’ignore à quoi cet argent est destiné, ce qui m’oblige à être « maandu », bien que sceptique… Je sais que beaucoup de marabouts ne considèrent pas l’argent qu’ils reçoivent comme le leur. Ils en gardent à peine de quoi se nourrir. Tout est pensé pour l’amour du Créateur. Ils construisent des mosquées, aident ceux qui sont dans le besoin, dépensent selon les recommandations du prophète (SAW).
Le comble eut lieu quand des émigrés d’Italie ou d’Espagne, je ne sais plus, débarquèrent avec des enveloppes. Ils furent reçus à part. Je fus, à ma grande surprise, invité à les rejoindre. Soit, on me prenait pour l’un d’eux ou le marabout, grâce à son pouvoir mystique, savait que j’allais écrire ce texte. Vous voyez ce que je veux dire ? L’argent fut compté devant moi. Plusieurs millions de nos francs. Le marabout nous reçut dans un salon pour nous bénir et nous remercier. J’en eus presque les larmes aux yeux quand, sortant du salon, je vis dans la cour des dizaines et des dizaines de paysans et ouvriers, à genoux, attendant que le marabout vienne prier pour eux. Ces gens-là n’ont pas des millions à offrir, mais sont, pour la plupart, remplis de foi, et sont prêts à donner leur vie. Pourquoi ne les reçoit-on pas dans des salons ?
Ce que je raconte, je l’ai vu de mes propres yeux. A un « marabout » qui regarde d’abord combien d’argent je lui donne, je ne peux pas dire : « jebël naa la sama bopp aduna ak alaaxira. » Etre « taalibe » ne signifie pas être dupe.
Il y a certes des petits-fils, voire arrière-petits-fils de marabouts qui sont pieux et respectables ou qui ont fait des études, sont des ingénieurs, médecins, notaires et gagnent bien leur vie grâce à leur travail tout en suivant la voie de l’Islam. Ce qu’ils reçoivent comme « adiya », ils le remettent à qui de droit. Mais j’en ai connu d’autres qui fument du yamba et il paraît qu’il y en a qui boivent de l’alcool ou se livrent à des activités pas très « catholiques ». N’empêche, ils vont voir les « taalibe » pour leur demander des « adiya ». Comment voulez-vous que je leur en octroie des « adiya » ? Je préfère aider mes parents avec le peu de biens que Dieu m’accorde. Je ne donne pas de leçons, n’étant que « taalibe », mais les disciples doivent savoir qui sont les vrais maîtres. Qu’ils nous apprennent à connaître Dieu et non leur à donner de l’argent !
Nos hommes politiques, dans leur grande majorité, bien que conscients de ce phénomène, le soutiennent au lieu de le combattre ou de nous éveiller. J’apprécie le fait que Wade reste « taalibe », bien que Président de tous les Sénégalais, mais bon, il ne faut pas en rajouter. S’il fait quelque chose pour Dieu, qu’il sache que notre Seigneur n’a nul besoin de télévision pour voir nos actions. Et les bonnes actions exhibées perdent leur valeur. Le lendemain de son élection, il se rendit à Touba, événement dont nous avons tous entendu parler. C’est bien beau de le voir agenouillé devant son guide spirituel ou son « yaakaar », mais en quoi cela nous concerne-t-il ? A sa place, je me serais enfermé dans mon salon ou dans une mosquée, tout seul, loin des caméras, pour prier et remercier Dieu. La foi n’a rien à voir avec le show-biz. On se souvient de toute la « publicité » faite sur le pèlerinage de Wade à la Mecque. Il aurait pu effectuer cela avant d’être notre chef d’Etat ou alors avec un peu plus de discrétion. Ne mélangeons pas politique et religion. La foi sincère demande de l’humilité. Un tintamarre n’est pas nécessaire, quand le musulman dit : « La ilaha ilalah. »
Il m’est arrivé de voir Abdou Diouf à Touba et de me rendre compte le lendemain que la visite n’avait pas été médiatisée.
Je signale, au passage, que je ne suis membre d’aucun parti politique, pas même celui des « Doomu Soxna », n’étant que le fils d’une femme ordinaire. Je suis « mouride » certes, mais aucun marabout ne me dira pour qui voter, et je préfère donner mon « adiya » aux mendiants plutôt qu’à certains faux saints.
Bathie Ngoye Thiam
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