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Affaire Bethio : Le Soufisme, Accusé N°1

Le sort de Bara Sow et Ababacar Diagne ne constituent pas réellement une surprise pour les sénégalais. Ce qui leur est arrivé était certes redouté mais pas surprenant. Ce sont plutôt des réponses à leurs nombreuses interrogations que nos compatriotes cherchent. Comment en est on arrivé là ?

Au-delà de l’analyse purement juridique, il y a une autre qui, si elle est bien comprise, aidera les uns et les autres à « comprendre » cette affaire religio-judiciaire. Les autorités judiciaires étant seuls habilités à désigner des auteurs et des complices, en somme des coupables, nous nous limiterons à de simples commentaires sur certains chefs d’inculpation.

Tout d’abord, il y a lieu de préciser que « la responsabilité pénale d’un marabout du fait de ses talibés majeurs » dont parle un avocat, n’existe pas dans le droit positif. Par ailleurs, même s’il veut faire référence à la responsabilité du fait d’autrui, celle-ci ne s’applique pas au cas d’espèce puisque son client est poursuivi pour complicité de meurtre. En effet, le responsable du fait d’autrui est un individu qui n’est ni auteur ni complice de l’infraction mais qui est tenu pour responsable d’une infraction qu’il n’a pas personnellement commise. Il serait intéressant de faire remarquer que depuis Loysel qui affirmait qu’« en crime, point de garant », le débat sur le principe de responsabilité pénale du fait d’autrui n’est pas totalement vidé.

Par contre, le complice est celui qui a participé d’une certaine manière à la commission d’une infraction. Il est un acteur de second plan à côté d’un fait principal et d’un auteur principal.

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L’article 46 du Code pénal qualifie de complices « ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action ou donné des instructions pour la commettre. » Dans le cas d’espèce, on est tenté de penser que c’est la complicité par instigation, à savoir par provocation ou par instruction, qui a été retenue. Pour la complicité par provocation, il est souvent tenu compte du lien qui existe entre l’auteur et le complice. Il est ainsi retenu si le cas considéré démontre l’existence d’une ascendance psychologique du complice sur l’auteur. Par ailleurs, certains disent que les auteurs principaux sont allés au-delà d’éventuelles instructions. En droit pénal, cela renvoie au dol éventuel qui consiste à considérer les conséquences possibles ou probables de l’acte dont on est l’instigateur si l’auteur va au-delà des instructions.

En tout état de cause, le complice échappe à la répression à défaut de l’élément intentionnel, c’est-à-dire s’il n’avait pas réellement connaissance de l’infraction, ou s’il a donné des instructions de bonne foi sans maitriser la situation, ou encore s’il ignore que les agissements de l’auteur sont pénalement réprimés.

Néanmoins, comme susdit, si on se limite à la simple façade, on ne saura pas ce qui se trouve dans la maison. Les victimes de Keur Samba Laobé (ou Medinatoul Salam) sont avant tout des victimes du soufisme.

En effet, dans le soufisme, la « vie spirituelle » impose aux talibés des règles qui annihilent toute raison, par conséquent tous les actes de ce dernier relèvent de la déraison. Les plus chanceux se complaisent dans des gymnastiques intello-spirituelles incessantes et inutiles.

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Parmi les règles, il y a certains qui relèvent de la conduite interne et d’autres de la conduite externe. C’est ainsi que tout talibé doit se soumettre à la volonté du marabout et lui obéir à tout, il ne doit pas élever d’objections à la façon dont le marabout instruit et contrôle ses talibés. L’imam Ibn Hajar Al-Haythami nous apprend à ce propos, dans « al-Adathiyya Al-Fatawa » (p. 55) que, « Quiconque ouvre la porte de critique contre les (marabouts) et leur comportement avec leurs (talibés) et leurs actions sera puni et sera isolé de recevoir la connaissance spirituelle. Quiconque dit à son (marabout) « Pourquoi ?’ Ne réussira jamais. » Aussi, le talibé doit aimer son marabout avec un amour extraordinaire et doit être complètement d’accord avec lui sur tout.

Ces règles sont quelques unes parmi tant d’autres qui tuent en l’individu ce qui fait de lui un être humain, c’est-à-dire la raison. Alors, comment peut il saisir ce noble coran que Dieu destine aux doués de raison qu’Il interpelle à longueur du Livre saint ? Comment pourrait t-il quitter le « asfala saafilin », à savoir le niveau le plus bas mentionné à la sourate 95 verset 5.

Bara Sow et Ababacar Diagne sont des victimes du soufisme pour n’avoir pas su esquiver un fanatisme passif fatal. Les meurtriers sont aussi des victimes pour n’avoir pas résister à ce même fanatisme actif dévastateur.

Les personnes qui se trouvent dans la situation décrite font légion dans notre pays. On les trouve dans toutes les familles, dans tous les foyers. Et là ou il n’y a plus de raison, il faut s’attendre à tout.

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Au-delà de cette affaire religio-judiciaire, on comprendra aisément qu’un pays qui se dise profondément religieux soit le théâtre de pratiques aux antipodes de la religion ; cela, parce que le soufisme peut s’accommoder de ces pratiques qui ne choquent pas. C’est ainsi qu’on verra un lutteur bardé de gris, avec comme seul habit un cache sexe, improviser une prière vers n’importe quelle direction et de voir les compatriotes reconnaitre en ce monsieur un « grand croyant » ; que le charlatanisme, le paganisme et la voyance et le syncrétisme religieux sont les choses les mieux partagées. C‘est ainsi qu’on verra des lutteurs, chanteurs et danseuses obscènes ainsi que des gens de peu de vertus se rattacher publiquement à des marabouts sans que cela ne gêne personne ; que les cérémonies religieuses sont le prétexte de l’ostentation, de concours déguisé de maquillage, de charme et de haute couture si ce n’est à une séance pour tambouriner…etc

En définitive, l’auteur principal du double meurtre (ou assassinat ?) de Keur Samba Laobé est aussi invisible qu’il est partout présent. Il agit en contraignant ou en ôtant la raison. La contrainte et la démence sont d’ailleurs des causes de non imputabilité qui entrainent l’irresponsabilité pénale totale et donc, l’impunité.

 

Doudou SENGHOR

Juriste

doudousenghor@gmail.com

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