C’est avec beaucoup d’amertume et un cœur meurtri que j’ai suivi les journaux qui ont relaté en détails les circonstances de la mort des neuf enfants de la médina. L’incendie les a surpris et ne leur a laissé aucune chance. Paix à leur âme. C’est également avec tristesse que j’ai suivi la ruée des politiciens vers les lieux de l’accident. Le président et ses ministres tels des extraterrestres venus de la planète Mars, se sont tous présentés à l’endroit du drame. Ils donnaient l’impression d’être, très touchés par les pertes humaines et surpris de l’existence d’endroits aussi exigus où précarité et insalubrité cohabitaient sans déranger personne. Ces barons de la république jouaient-ils encore une fois une pièce de théâtre? Étaient-ils simplement déconnectés de la réalité des Sénégalais pour afficher tant d’ignorance et faire des déclarations aussi choquantes et inappropriées face à la situation?
Le peuple sénégalais commence à s’habituer aux sorties rocambolesques mais peu efficientes du président Macky Sall qui disait déjà pendant la campagne électorale «ce ne sont pas des promesses, mais des engagements» en parlant d’amélioration des conditions de vie des Sénégalais, en particulier, la diminution de la cherté de la vie. Le remplacement de Wade par Macky semble jusqu’à présent se résumer simplement à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Sorti de l’école du Wadisme, le président a malheureusement du mal à réciter une leçon autre que celle qu’il a apprise. Les sorties musclées, les déclarations spectaculaires sont des marques indélébiles du PDS que l’APR a fièrement héritées. Elles rappellent les supercheries pleinement camouflées qu’utilisait Wade et qui avaient menées le peuple complètement en bateau. Avec ce nouveau régime, tout porte à croire que nous ne sommes pas encore sortis du trou cauchemardesque dans lequel Wade nous a laissé. Très enclin à beaucoup de bla-bla et peu d’action, le gouvernement a du mal à joindre l’acte à la parole.
J’ai suivi avec beaucoup de stupéfaction les différentes réactions, d’abord celle du ministre chargé de la bonne gouvernance ensuite celle du premier ministre et enfin le tour du président de la République. Ils ont condamné avec fermeté non pas la négligence et le manque de sécurité ayant conduit à la catastrophe, mais ont tout bonnement attaqué les maîtres coraniques et les responsables des enfants de la rue. Leurs déclarations lapidaires et fracassantes semblent plus fondées sur l’émotion que sur la raison. En tout cas, elles cachent mal leur incompréhension du phénomène des enfants de la rue. Latif parle d’autopsie, d’enquête et profère des menaces de punition tandis que Macky Sall déclare la fermeture des «daaras» et la fin ou en tout cas, l’interdiction de la mendicité des enfants. En adoptant de telles attitudes, ils risquent de commettre, comme ils en ont l’habitude, l’erreur de vouloir «vendre la peau de l’ours avant de l’avoir abattu». Autrement dit, le résultat ne peut être qu’incertain pour quelqu’un qui pense résoudre un dilemme sans le comprendre, bien le circonscrire et adopter une bonne démarche.
Macky Sall ne devrait pas être si amnésique au point d’oublier qu’en 2005 une loi interdisant la mendicité avait été votée et elle est toujours de rigueur. Pourtant le phénomène est encore là. Nos dirigeants prennent souvent des mesures conjoncturelles basées sur des considérations complètement déconnectées de la réalité des Sénégalais. C’est pourquoi leurs applications sont souvent difficiles, voire même impossibles. Ce problème est plus profond et plus sérieux qu’il ne le paraît, il faut donc un plan sérieusement pensé pour le régler définitivement. Il ne peut être résolu sur des coups de tête à la suite d’un accident regrettable. Encore une fois, ces décisions hâtives et irréfléchies s’apparentent plus à des tactiques politiciennes visant simplement à tromper la vigilance des Sénégalais. Le peuple en a marre et comprend bien que ce qu’ils font n’est que de l’amateurisme dont le seul but est de lui jeter la poudre aux yeux.
Les écoles coraniques sont aujourd’hui indexées, mais force est de comprendre qu’elles ne sont pas les seules instances à envoyer des enfants dans la rue. À y voir de plus prêt et en connaissance de cause, le fonds du problème est la pauvreté et l’absence de soutien de l’état aux familles infortunées. Aucun parent, ni maitre coranique n’envoie un enfant mendier à cœur joie. Mais pour certains, la mendicité est un moyen de survie, une voie inévitable pour joindre les deux bouts. Ils le font presque tous par contrainte.
Au Sénégal, la répartition des richesses est très illégale et inégale. Rappelons que pour quelques années passées au gouvernement de l’ex-régime, la fortune du président actuel s’élève presque à une dizaine de milliards. Dans le pays, il n y a pas de sécurité sociale. Les pauvres sont laissés au compte de la débrouillardise quotidienne. Les disparités sociales contraignent les plus démunis à n’avoir d’autre recours que la mendicité pour survivre. Imaginez un peu la situation de cet enfant, dont les parents sont handicapés visuels ou moteurs, et dont l’existence est complètement ignorée par les programmes de l’état. Il est obligé de se débattre avec les moyens du bord dont le plus accessible est de faire la manche. Les pays développés ont ces mêmes problèmes sociaux, mais à la place de passer leur temps à parler, ils ont développé des programmes d’assistance sociale. Certains cas sont entièrement pris en charge par l’état. Pendant ce temps, on assiste au Sénégal à des spectacles parfois ignobles et inhumains au vu et au su de toutes les autorités. Pensez un instant à la marche des élèves aveugles de Thiès qui réclamaient juste leur droit de prise en charge et l’intervention musclée de la police face à ces handicapés sans défense. La scène nous incitait à croire que l’état veut les contraindre à retourner tendre la main dans la rue. Sans prise en charge, comment freiner le défilé des enfants en haillons dans nos rues? Il faut être sérieux.
Au Sénégal, le manque de sérieux des dirigeants est criard et le peuple ne peut plus continuer à supporter des injustices de toutes sortes et des comportements motivés uniquement par des querelles de positionnement politique. Le peuple veut des réponses à ses questions.
Beaucoup d’organismes œuvrent dans la lutte contre le travail des enfants et nous n’avons jamais vu le gouvernement manifester un quelconque désir de soutien en leur endroit. Oustas Alioune Sall le mentionnait récemment. Il entretient un empire d’enfants sans aucune aide de l’état. D’autres organismes existent, mais ils déplorent presque tous cette indifférence des autorités publiques.
Et les voilà, comme réveillés en surprise dans leur rêve par l’évènement macabre du 4 Mars 2013, ils débarquent sur les lieux pour crier comme des chiens enragés qu’ils ne veulent plus voir d’enfants mendier. C’est avec regret que je vais leur dire que le problème continuera tant et aussi longtemps que des mesures d’accompagnement idoines ne seront prises pour prendre en charge ces mômes. On ne gouverne pas en prenant des décisions hâtives basées uniquement sur un évènement ponctuel. Toutes les décisions doivent s’inscrire dans un programme bien muri. La loi d’interdiction existe déjà, mais son application effective ne pourra se faire de façon isolée. Elle devra faire partie intégrante d’une série de mesures visant à aider les parents et les maitres coraniques à mieux supporter le coût de la vie.
Babacar BA
(ex-talibé), auteur du livre : Leurres et lueurs de l’émigration
Gatineau – Canada