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Main Basse Sur Le Maigre Trésor Des Municipalités

Main Basse Sur Le Maigre Trésor Des Municipalités

Depuis quelques semaines, tout observateur attentif a remarqué les positionnements et déclarations de candidature de plusieurs hommes politiques en direction des élections locales de 2014. Les collectivités locales ne suscitent qu’un intérêt occasionnel chez les populations et la société civile qui délaissent ainsi un important maillon du développement national aux mains de politiciens professionnels qui en font des instruments et des sources d’enrichissements personnels.

Parmi les raisons qui avaient motivé le renforcement de la politique de décentralisation, en 1996 avec la régionalisation, figuraient le rapprochement des décisions à la base et l’accélération du développement du pays en procédant à un découpage rationnel du territoire et en facilitant la disponibilité de moyens. C’est ainsi que certaines compétences de l’État sont transférées aux collectivités locales notamment dans les domaines de la gestion du territoire (urbanisme, aménagement du territoire, environnement, domaines, planification) et de l’action sociale (santé, éducation, culture, jeunesse, etc.). Même s’il y a des limites et des insuffisances notées dans le transfert de ces compétences ainsi que celui des ressources qui devait l’accompagner, il n’en demeure pas moins que les collectivités locales sénégalaises ont reçu des moyens relativement importants qui, hélas, ne servent pas toujours le développement des populations et des localités. En effet, les financements exécutés, directement ou indirectement, par les collectivités locales sont composées de 35 % de ressources propres, de 25 % des transferts de l’Etat (à travers le Fonds de dotation de la décentralisation pour les dépenses fonctionnement, le Fonds d’équipement des collectivités locales pour les dépenses d’investissement et le Fonds d’appui à l’éclairage public pour aider au paiement des factures de la SÉNÉLEC) et de 40 % de l’aide extérieure. La Direction de la Coopération économique et financière (DCEF) indiquait, en 2003, que les collectivités locales avaient reçu et dépensé plus de 70 milliards de francs CFA (25 milliards de ressources propres, 18 milliards de transferts reçus de l’État et 27,5 milliards issus des projets et programmes d’appui à la décentralisation). Cela est énorme ! Tout laisse croire que ce volume financier a considérablement augmenté lorsqu’on sait que, pour la seule ville de Dakar, le compte administratif de 2009 (budget réellement exécuté) fait état de recettes réalisées supérieures à 26 milliards de francs CFA, soit plus que les budgets de plusieurs ministères réunis. Pourtant, les populations continuent toujours de s’adresser aux ministères et à l’Administration centrale pour la résolution de leurs problèmes de proximité dont la compétence relève pourtant de leurs élus locaux. Ces derniers, heureusement pas tous, réduisent leurs fonctions à l’achat de véhicules (pour eux), au paiement d’indemnités et au remboursement de frais (à leur profit), à l’octroi de subventions scolaires ou d’aides sociales (au bénéfice de leur clientèle politique) et à d’occasionnelles cérémonies de remises de dons (pour leurs administrés) avec un renfort tapageur de publicité.

Une gestion politicienne au détriment de la résolution des problèmes des populations

Plusieurs facteurs ont favorisé et continuent de favoriser la gestion clientéliste des collectivités locales au lieu d’en faire des instruments au service du développement des populations. L’organisation Aide et Transparence a en identifié quelques uns notamment le manque d’informations des populations et de la société civile, les insuffisances ou limites du cadre juridique de la décentralisation et la prédominance des considérations politiques. Cette organisation note que les insuffisances ou limites du cadre juridique de la décentralisation découlent de « dispositions qui peuvent favoriser chez les élus locaux des pratiques de détournement et de corruption ». C’est ainsi que les prérogatives des présidents des conseils ruraux ou municipaux, par exemple, font que ces derniers « demeurent les ordonnateurs du budget et les seuls responsables dans son exécution devant les autorités. De ce fait, non seulement ils exécutent le budget à leur guise, sans qu’aucun contrôle des élus ne puisse s’exercer sur eux en ce moment, mais bénéficient, aussi, le plus souvent de la protection et de la couverture des autorités gouvernementales, du fait de leur appartenance au parti au pouvoir ». C’est ainsi que la Cour des comptes a eu à épingler plusieurs responsables de collectivités locales suite à des missions de vérification. Parmi les nombreuses anomalies relevées, figurent les paiements de « participations aux frais de scolarité » sans base légale au profit d’élèves des établissements privés de l’enseignement général ou de l’enseignement professionnel, l’absence d’organigrammes qui favoriserait des recrutements massifs de personnel le plus souvent sans fonction précise, le paiement de frais de mission et de titres de voyage à l’étranger sans aucune pièce justificative, le recrutement d’un secrétaire municipal qui ne possède que le niveau de la troisième secondaire sans avoir obtenu le Diplôme de Fin d’Etudes Moyennes (DFEM) alors que cette fonction est dévolue aux fonctionnaires de la hiérarchie A ou B ou de niveau équivalent, etc.

Reddition des comptes : le talon d’Achille des collectivités locales

Dans son rapport public de 2006, la Cour des comptes mentionnait, à la date du 31 décembre 2006, que seules 164 collectivités locales sur les 441 que comptait le Sénégal lui avaient soumis leurs comptes financiers pour contrôle conformément à la réglementation en vigueur. Pire, notait la Cour des comptes, presque tous les comptes financiers transmis n’étaient pas en état d’être jugés parce que lui étant parvenus sans toutes les pièces justificatives de recettes et de dépenses et sans les pièces générales (budget primitif et budget supplémentaire, décisions de modifications budgétaires, etc.).

Certes, des améliorations notables sont enregistrées depuis les dernières élections locales de 2009, lesquelles ont vu de nouvelles personnes portées à la tête de plusieurs municipalités. C’est le cas de quelques membres de la société civile qui s’étaient fait élire en utilisant les récépissés de petits partis politiques dûment enregistrés auprès du Ministère de l’intérieur, mais inconnus du grand public pour présenter leurs listes. Ce vent de changement apparaît, subrepticement, à la Ville de Dakar, par exemple, où beaucoup d’efforts ont été réalisés au cours de ces dernières années au plan de la transparence (le budget ainsi que diverses informations financières sont accessibles à tous à travers le site web de la mairie). En dépit de ces efforts, beaucoup de choses restent à faire. Il en va ainsi, par exemple, de l’utilisation du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères où, note la Cour des comptes, « il n’est pas rare de rencontrer des rues dépourvues de poubelles publiques. De plus, le rythme de ramassage a été largement insuffisant dans certaines localités où la population a été obligée de pallier ces défaillances et de recourir aux services de charretiers ».

Dans un article sur la Décentralisation et le développement local au Sénégal, Alain Piveteau fait remarquer que « l’instrumentalisation de la décentralisation par la classe politique nationale entame la possibilité d’accroître l’imputabilité politique des décisions publiques à l’échelle locale » et que la compétition pour la maîtrise des budgets locaux est plutôt dictée par le fait que ces derniers sont considérés comme une « ressource électorale potentielle ». Il est temps d’opérer les ruptures nécessaires à la base pour que les collectivités locales renouent avec leurs missions de développement. Pour cela, les candidats aux élections locales de 2014 ne devraient pas perdre de vue que la décentralisation est un instrument au service du développement local et non une station de pouvoirs qui ouvre la porte à l’enrichissement personnel.

 

Cheikh Faye

Montréal

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