Intellectuel ? Drôle de statut !… Fluctuant. Dérisoire et fragile. On ne le choisit pas : c’est lui qui vous prend. Ce peut être, par exemple, ce passeur d’infos qui, au long du magistère de Me Abdoulaye Wade, ne rata la moindre occasion de le fustiger et fusiller, de trouver la République «en lambeaux» et qui, aujourd’hui, porteur de maroquin comme on peut l’être d’eau, semble bien à l’aise dans la vareuse que J.-P. Chevènement (et il savait bien ce qu’il disait !) avait dégotée sur-mesure pour tout haut-commis d’Etat. A défaut de faire dans la langue de bois, «un ministre, il ferme sa gueule», disait-il. Ou il se casse.
Mais, puisqu’ici nous sommes encore vierges de culture de la démission, il faut imaginer et même s’assurer, qu’au Sud du Sahara, pour les précédents et qui fassent jurisprudence, ce n’est point demain la veille. Et les intellectuels, alors ? Ce sont autant de derviches-hurleurs, de situationnistes, au cœur de bruits et fureurs dans la Cité et ne loupant la moindre opportunité pour se faire remarquer. Car, demain, «quand viendra le temps de partage» de ce gâteau géant qu’est devenue la République, il faudra bien être servi ou se servir avec et parmi «les premières cuillères». C’est l’idéal, n’est-ce pas ? Du moins, en nos contrées !
«Penchants marrons»
Faits de chair, de sang et d’os, les exemplaires sont à foison qui nous contraignent et forcent à devoir vomir à toutes les fois que l’on entend, utilisé à toutes les sauces, ce vocable qui, à lui seul, pourrait être le sujet et l’objet, pour bien nous faire oublier cette fumisterie que furent et demeurent les «assises nationales» et qui, au vrai, n’auront été qu’un sublime alibi de gens qui voulaient juste s’occuper, meubler leurs esseulements, «en attendant», à défaut du «vote des bêtes sauvages», que «Wade dégage». C’était, je crois, le tube de saison avec des stars qui, depuis bientôt une année, ont échangé leurs rages et rancœurs, leurs pierres au poing et leurs fichus, contre des postures que d’aucuns, et à raison, pourraient assimiler à autant d’impostures.
C’est, du moins, ce qu’affirme une frange monstre de la population. Et nous serions des légions et légions à oser espérer et à croire qu’on ne nous y prendra plus et qu’il faudra, à très court terme et en termes très courts, non pas seulement susciter, voire inventer, d’autres Alioune Tine et Penda Mbow, d’autres Abdou Latif Coulibaly et Jacques Habib Sy, d’autres Me El hadj Diouf et Amadou Moctar Mbow, d’autres Bamba Dièye se faisant enchaîner aux grilles du Parlement et d’autres Moustapha Niasse, à la face du monde, prêt à larguer sa pierre contre les vitres de l’Assemblée nationale, d’autres Dansokho et Bathily et d’autres Amsatou Sow Sidibé, d’autres Abdou Aziz Diop et autant d’autres «agités» et agitateurs toujours dans le sens des vents et des histoires qui leur seraient surtout personnellement profitables.
(Re)susciter donc d’autres icônes ? Eh oui ! Mais, cette fois, de réels trublions et tribuns, ni (de) gauches ni tortueux, dont les cahiers de charges mentaux seront vraiment en conformité avec les droites attentes de n’importe quel citoyen d’en bas. De la même manière que nous sommes d’incomptables «bataillons blindés» convaincus de l’urgence d’initier au plus vite les «assises» du compagnonnage politique (le Président Macky Sall, en son for intérieur et par instinct de conservation, pour sûr, est preneur !…), il ne serait pas mauvais, il s’avère même hygiénique, moralement s’entend ! que s’établisse la ligne rouge qui distinguerait les intellectuels et les lettrés simples tout juste. Mamoussé Diagne, Ken Bugul, Mamadou Diouf, Mame Less Camara, Mody Niang, Kilifa et Gaston, Mouhamadou Mbodj et Boubacar Boris Diop qu’on ne peut ni soupçonner ni taxer d’être ou d’avoir des penchants «marrons» le matin et «gris» le soir, certainement, pensent comme moi en ce point. Dieu le leur rendra, inch’Allah et la plèbe après Sa Toute-Puissance ! Il n’est pas nécessaire d’avoir des dons de voyance pour s’en assurer : ce sont autant de «Phares» qui luisent depuis toujours et tous les jours par leur constance et leur foi aux principes et préceptes qui donnent du sens à une vie et font qu’en nos imaginaires, ils sont, à perpétuité, somptueusement, installés.
Intellectuels, à l’ère de Macky Sall, (me) demande-t-on ? La réponse coule de source, pardi ! Il (lui) faut plus que jamais être hors des rangs et en des doutes permanents sur «les touts et les riens» et sur les noises dans la Cité dont parlaient respectivement Vladimir Jankélévitch et Michel Serres. Il (lui) faut comme jamais pleinement jouer ses partitions de très «mauvaise conscience», comme nous l’enseignait Saint-John Perse. Ainsi, l’engagement de l’intellectuel serait, chez nous, d’autant plus impérieux qu’il trouve dans les invites impératives de «rupture» et de «dissidence», les essentiels éléments constitutifs de son être et de son devenir : les libertés que requiert la créativité, une meilleure connaissance de son moi, l’expression d’une identité (culturelle et cultuelle) spécifique, la déontologie, l’éthique et toutes les possibilités d’épanouissement dans un monde en pleines mutations et en prises directes avec la modernité et ses aliénantes tentations.
«L’intellectuel contre-pouvoir»
Terre d’«enracinement» tout autant d’«ouverture», d’appropriation de soi et de rencontres pour prendre date avec soi et de dialogues fécondants avec «l’autre», le Sénégal, depuis le 25 mars 2012, retient l’attention de la communauté internationale tout entière. Et ce fait est à mettre, en premier, au crédit de la jeunesse aussi bien des vrais «sociétaires civils» qui, parant tous les pièges dressés sur leurs chemins, ont su user de stratagèmes, de fougue et d’assez de détermination pour changer de présent et, ainsi, désordonner trop de désordres invivables. C’est encore avouer que de tels citoyens sont, comme en toutes les latitudes de la terre, les commis en charge de convertir nos urgences en autant de réalités conformes à nos attentes et humeurs.
Ils sont tout autant les agents de recouvrement, de protection et de promotion des valeurs qui donnent du sens à notre existence et nous garent de tous aléas et de toutes les «barbaries humaines». En se positionnant «contre-pouvoir» de et dans la République et la Nation, l’intellectuel se met en situation d’assumer davantage de rôles : celui de plume et/ou de pinceau, de micro et/ou de mégaphone délurés, mais surtout lucides, celui de la participation et celui de la mise en réalité de toutes les espérances que, depuis la thèse – toujours non contredite, hélas – attestant que «l’Afrique noire est mal partie», nous n’avons de cesse de vivre et de vivre en nous rongeant, de manière affreuse et tout à fait ruineuse, et les hardes et les sangs.
Elie-Charles Moreau