S’il existe dans notre arsenal juridique et constitutionnel une disposition qui consacre une piètre santé, jusqu’à rendre kystique notre jeune démocratie, c’est bien l’article 38 de la Constitution du 22 janvier 2001.
« La charge de Président de la République est incompatible avec l’appartenance à toute assemblée élective, Assemblée nationale ou Assemblées locales. Le Président de la République ne peut exercer aucune fonction publique ou privée rémunérée.
Toutefois, il a la faculté d’exercer des fonctions dans un parti politique ou d’être membre d’associations académiques ou à caractère scientifique ou culturelle ».
Telle est la substance de cet article, dont la présence dans le dispositif se justifie par la croyance atavique du Constituant, que la confusion entre les qualités de chef d’état et de chef de parti permet de se maintenir au pouvoir. Mais permet aussi à l’appareil politique qui l’a porté à la station suprême, d’esquiver le calamiteux sort d’un bois mort.
Ce qui pose inéluctablement un problème de gouvernabilité de notre démocratie, en plus de consacrer une désacralisation de la fonction présidentielle.
Ainsi est paraphé le retour et la perpétuation de toutes les perverses pratiques présidentialistes du parti unique et du parti Etat, faites d’hyper-présidentialisme, de pirouettes, de népotisme, de clientélisme,de patrimonialisation et de conflits d’intérêt des soiffards etc. Pratiques dont les tentacules, jadis quasi généralisées en Afrique subsaharienne ont tant fait souffrir l’évolution de nos sociétés politiques, plongées dans de sempiternels chemins miteux, ténébreux et bourbeux.
Impie, cet article incitateur à la « débauche politique » a démontré dans le passé, toute sa perversité par le détournement d’objectif, l’instrumentalisation de l’administration et des organes de l’Etat, la domestication de l’Assemblée Nationale. Tous mobilisés pour le triomphe du seul parti, de sa coalition et de son patron.
Cette compatibilité est lit d’hypertrophie de la charge présidentielle. Folkloriste de notre quotidien politique, elle affaiblit notre démocratie et constitue le terreau fertile à la République des copains. Un pied dans le parti, un pied dans l’Etat, le « caput regni » ne trouve plus suffisamment le temps herculéen qui lui est nécessaire pour dégager les grandes orientations, face aux souffrances de ses pauvres gouvernés. Archéologues agrégés, à force de rechercher la queue du diable.
Alors que la fonction de Chef d’Etat incarne l’unité nationale, la fonction de chef de parti constitue le symbole de l’homogénéité d’un seul groupe et réduit la géographie de la légitimité du chef de l’Etat aux différentes contrées dans lesquelles son parti est majoritaire, ou aurait réussi à emporter. D’où la contradiction sévère et la nature déconsolidante, pour une démocratie miraculée à l’analyse de l’article 42 de la même Charte fondamentale, qui énonce fièrement que « le Président de la République incarne l’unité nationale ». Sachant qu’« Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus ». Il ne faut pas distinguer la ou la loi ne distingue pas », précise le principe de droit latin.
Il serait anachronique de maintenir une telle faiblesse institutionnelle, qui banalise et fragilise la fonction présidentielle. Cela est d’autant plus inacceptable, si l’on sait que ces partis sont des associations privées aux termes de l’article 04 de la même Constitution, de la loi 81-17 du 06 mai 1981, relative aux partis politiques et aux articles 812 et suivants du Code des Obligations Civiles et Commerciales (C.O.C.C). Même s’ils ont par ailleurs et prétendument une mission de service public.
Son abrogation est un impératif, pour sauver le respect de l’Etat qu’incarne son propre chef ; le Président de la République.
Par ailleurs, il serait illusoire de vouloir arracher et jeter aux flammes l’obsolète et controversé délit d’offense au Chef de l’Etat, « crime de lèse majesté », prévu et puni par les articles 254 et 248 du code pénal, tout en ayant les yeux hermétiquement fermés sur cette confusion de qualités. En outre, que dire de la qualification juridique des « ripostes » qui proviendraient des adversaires politiques du chef de l’Etat aux éventuelles attaques de ce dernier, à l’occasion d’une manifestation de son propre parti ? Est ce un délit d’offense ou simplement un exercice juste et équitable de leur liberté d’expression(droit de réponse), garantie par les Traités Internationaux, par l’article 10 de la Constitution et par la loi 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale?
En effet si l’exécutif doit être séparé du législatif et du judiciaire selon le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, il serait incompréhensible que « L’individu présidentiel », incarnation de cet exécutif et garant des institutions ne soit pas distant de l’œil fauve des associations privées. Groupes pouvant s’ériger en véritables lobbys, s’arc-boutant sur leurs hideuses prébendes.
Par conséquent « Une infidélité du commissaire de notre peuple », voir son « devoir d’ingratitude » envers son parti et ses alliés est indispensable, pour que notre démocratie ne soit pas chimère. Il faut au premier des Sénégalais, l’observation de la distance critique et émotionnelle d’un bon père de famille, pour une bonne effectivité de l’« exception sénégalaise ».
Notre pays doit saisir sa seconde alternance, pour construire avec rigueur et détermination des institutions solides. Pour tracer la ligne de frontière entre son temps politique et son temps économique. Entre le jardin de la paresse et le champ du labeur. Enfin, réaffirmer sa ferme volonté d’accéder à la modernité, selon les principes du jeu loyal d’une majorité qui gouverne et d’une opposition responsable, évoluant dans le
respect strict des mécanismes démocratiques.
Pathé BA
Juriste-Chercheur en Science Politique (UCAD).