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La Décentralisation : Carence Et Prospérité !

La Décentralisation : Carence Et Prospérité !

A l’approche des élections locales où tout naturellement la population sénégalaise fera le choix de ses conseillers municipaux, ruraux et régionaux ; il nous paraît important de réfléchir encore sur le régime juridique des collectivités locales et de pouvoir surtout émettre une opinion sur le débat en cours ayant trait au mode d’élection du maire et à l’acte III de la décentralisation.

De 1872 à nos jours, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, avec la réforme de 1972 et celle de 1996 qui ont complètement bouleversé le paysage institutionnel et contribué à l’émergence des collectivités locales dotées de personnalité morale et d’autonomie financière.Elles assurent également le respect de l’unité nationale, de l’intégrité du territoire et disposent de conseils élus au suffrage universel et des organes (délibératifs et exécutifs).

Le processus de la décentralisation est ainsi encadré par les différents textes législatifs et réglementaires ; notamment la loi coloniale du 05 Avril 1884 instituant les quatre communes de plein exercice(Dakar, Gorée, Rufisque, Saint- Louis), la loi 66-74 du 30 juin 1966 relative au premier code sénégalais de l’administration communale, la loi 72-64 du 22 juillet 1972 portant création des régions et des communautés rurales,la loi 90-37 du 08 octobre 1990 restituant la gestion aux présidents de communauté rurale et la loi 96-06 du 22 mars 1996 portant code des collectivités locales. Il y a également la mise en vigueur des décrets et arrêtés.

Cependant, il faudrait relever que la notion de décentralisation était totalement ignorée de notre constitution,les collectivités locales n’avaient aucun statut dans la constitution de 1963. Ce n’est qu’à partir du 01 juin 1994 qu’il a été introduit, pour la première fois,une modification constitutionnelle ; notamment un ajout du titre XI consacré aux collectivités locales et de l’article 90 indiquant : « les collectivités locales de la République sont la région, la commune et la communauté rurale ».L’actuelle constitution adoptée depuis le 22 janvier 2001 a ainsi maintenu les mêmes dispositions et remplacé seulement l’article 90 par le 102 précisant :« les collectivités locales s’administrent par des conseils élus ».

L’analyse de tout ce corpus constitué, renvoie globalement à la problématique de la décentralisation et cela permet de constater les lenteurs du législateur à suivre le rythme de fonctionnement des collectivités locales. Par exemple, après la création de la commune de Gorée en 1872, il a fallu attendre cent(100) ans pour que soient créés en 1972 les communautés rurales. Il en est de même pour le code de l’administration communale de 1966 qui est devenue trente(30) ans après le code des collectivités locales (loi n°96-06 du 22 mars 1996).

S’il est vrai que le principe fondamental de la décentralisation est de rapprocher l’Etat des citoyens puis d’assurer le bien-être social,on devrait alors s’interroger sur les expériences capitalisées en matière de gestion des affaires locales ; ainsi que sur les effets induits. Combien de fois, a-t-on entendu, la complainte des populations dont les localités manquent de tout (eau, électricité, école, voirie, santé, gestion des ordures et habitation spontanée) ? Pourquoi notre pays, qui a fait plus d’un siècle de pratique de décentralisation,n’offre-t-il pas toujours de résultats satisfaisants capables d’impulser le développement local ?

Toutes les collectivités locales créées sous l’ère coloniale et après les indépendances, nagent encore dans des difficultés. En effet, on se rend compte dans la pratique des textes que les problèmes demeurent toujours entiers.

La controverse sur le transfert des compétences

Jusqu’à une certaine époque de l’histoire de notre pays, on parlait de la clause générale de compétence et l’intervention des communes était guidée par une interprétation d’un bout de phrase émanant du code de l’administration communale, je cite : « le Conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ». Et ceci,était donc vague et imprécis, c’est pourquoi il fallait après donner plus de clarté à l’action des collectivités locales et voter une nouvelle loi sur le transfert des compétences (voir la loi n°96-07 du 22 mars 1996).

Cette loi consacre ainsi le transfert dans les neufs(9) domaines de compétences dont l’environnement et la gestion des ressources naturelles,la santé – la population et l’action sociale, la jeunesse et le sport, la culture, l’éducation– l’alphabétisation- la promotion des langues nationales et la formation professionnelle, la planification, l’aménagement du territoire, l’urbanisme et l’habitat.

Elle prévoit également le principe de la compensation financière concomitante aux charges des compétences transférées, la mise en œuvre d’un fonds de dotation de la décentralisation alimenté à 3,5% de la TVA perçue sur le budget de l’Etat et la définition des critères de répartition du fonds de dotation aux régions, aux communes et communautés rurales, après, bien entendu, avis du conseil national de développement des collectivités locales (voir la loi n°2007-07 du 12 février 2007).

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Toutefois, il faut noter que cette loi sur le transfert des compétences fait maintenant 17 années de pratique et les collectivités locales peinent toujours à exercer correctement leurs missions. Entre le pouvoir central et les élus locaux,on se rejette mutuellement les responsabilités des contre-performances !

Pour les collectivités locales, elles évoquent l’insuffisance des ressources équivalentes aux charges des compétences transférées. Quant à l’Etat, il clame, avec persistance, avoir donné des moyens conséquents et renvoie à la référence des dispositions contenues respectivement dans les articles 54 de la loi 96-07 du 22 mars 1996, 60 de la loi 2007-07 du 12 fév. 2007 et à l’application de l’arrêté n°12248 du 15 octobre 1988 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du compte d’affectation spéciale « Fonds d’équipement des collectivités locales » ; ainsi qu’à la circulaire n°01738 MINT/DCL du 21 mars 1997 relative à l’utilisation du fonds de dotation suivant les compétences attribuées aux collectivités locales.

Les décrets n°96-1130 à 1139 du 27 décembre 1996 portant application de la loi sur le transfert de compétence aux régions, aux communes et aux communautés rurales, sont donc complémentaires. Ils relèvent dans leurs contenus certaines difficultés liées à la mauvaise interprétation. Par exemple, si on prend l’éducation et la formation professionnelle,tous les trois (3) ordres de collectivités locales (régions, communes et communautés rurales) font pratiquement la même chose, ils rivalisent d’ardeur dans la prise en charge des élèves, l’octroi des aides aux étudiants et la gestion des établissements scolaires publics. Malheureusement, cela est non seulement mal organisé mais aussi il ne donne pas de grands effets.

Pourtant, les décrets précités restent très clairs, en ce qu’ils déterminent le champ d’action pour chaque ordre de collectivité selon les compétences attribuées ! On peut même assimiler l’application de ces compétences transférées à un tronc commun dont les communes et communautés rurales ont les mêmes matières, différentes de celles de la région.

Les contradictions entre la ville et l’arrondissement

La loi n°96-09 du 22 mars 1996 consacre l’avènement de la commune d’arrondissement et ses rapports avec la ville, mais elle permet aussi de constater certaines incohérences. Et, on ne comprend toujours pas sur la réforme de 1996 que des besoins sociaux de base continuent à être gérés par la ville, alors que les communes d’arrondissement sont réputées être plus proches de la population.

On devrait cependant admettre qu’il n’y a pas de relation hiérarchique entre la ville et l’arrondissement, les deux(2) institutions sont à égales dignités et sont dotées de personnalités morales et d’autonomies financières.

C’est donc une hérésie de laisser entre les mains de la ville, qui n’a même pas de territoire, l’autorité de prendre certaines décisions et de faire des interventions directes dans le périmètre communal de l’arrondissement ; comme c’est le cas relativement avec la collecte des ordures où la ville donne des agréments aux concessionnaires, définit les tracés pour le passage des camions de ramassage dans les quartiers, alors que le maire de la commune d’arrondissement n’est généralement pas consulté ou impliqué.

C’est pareil pour la gestion des fonds de dotation, la loi exige le versement d’un montant annuel fixé par arrêté préfectoral, de la ville à la commune d’arrondissement, mais elle ne détermine pas un échéancier.C’est pourquoi, certains maires de ville en abusent parfois et s’en servent comme un instrument de chantage ou une règle du bâton et de la carotte vis-à-vis des communes d’arrondissement.

Seulement, il y a un hiatus et la loi viole complétement le principe de l’égalité !Elle confère un statut autonome aux communes d’arrondissement et les rend en même temps tributaires de la ville ! Comment, explique-t-on,par exemple, que sur les fonds de dotation, la ville perçoit son dû par le biais du Ministère en charge des collectivités locales e taprès avis du CNDCL (conseil national du développement des collectivités locales) ; et que, les communes d’arrondissement restent piteusement suspendues à la décision de la mairie de ville ?

L’ambiguïté de la nomenclature budgétaire

Au premier regard du document de budget d’une institution locale (commune, communauté rurale, région), on s’aperçoit que c’est pratiquement la même nomenclature, il y a des similitudes aussi bien dans la contexture que dans la mise en forme. Le modèle est donc standard pour tous les ordres de collectivités locales. C’est un système de classification permettant de codifier en chiffre et en lettre l’ensemble des informations budgétaires.

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Le document est ainsi caractérisé par l’arrêté n° 10830 M.E.F.P/M.INT du 01 décembre 1993 relatif à la nomenclature budgétaire des collectivités locales, il remplace un autre arrêté interministériel n° 3430 MINT/MFAE du 25 mars 1971 fixant seulement la nomenclature du budget des communes.

La remarque est que cet arrêté relatif à la nomenclature budgétaire prête à équivoque ; il est rendu public depuis décembre 1993, c’est-à-dire 3 ans avant la création des communes d’arrondissement et de la loi sur le transfert des compétences en 1996.

On n’a vu nulle part dans une législation que les actes réglementaires puissent être créés avant la partie législative ! Les décrets et les arrêtés assurent la réglementation dans l’application des lois ! C’est dire que dans le cas précis, on a mis la charrue avant les bœufs. Cela complique davantage la situation et crée en même temps un flou dans le fonctionnement des collectivités locales. Il y a même un décalage entre les textes législatifs et ceux réglementaires, notamment les lois respectives 96-07 du 22 mars 1996, 96-09 du 22 mars 1996 et l’arrêté n°10830 M.E.F.P/M.INT du 01 décembre 1993.

Il n’est pas donc raisonnable que toutes les collectivités locales (communes d’arrondissement, communes de ville, communautés rurales, régions), se référent encore à la même nomenclature budgétaire, alors que les missions différent d’une institution à une autre !

De même, il n’est pas compréhensible que des efforts soient faits pour améliorer la nomenclature du budget de l’Etat central, avec la modification du décret n°64-273 du 31 mars 1964 et la prise de nouveaux décrets respectifs n°2001-857 du 7 novembre 2001 et n°2004-1320 du 30 septembre 2004. Alors que, celle des collectivités locales reste encore anachronique !

Le danger de l’élection du Maire au suffrage universel direct

Les lois électorales de notre pays sont généralement consensuelles,elles garantissent la liberté de choix des citoyens et le principe de l’équilibre des pouvoirs (présidentiel, législatif et local). Les rapports entre ces différents pouvoirs, sont rythmés par les activités « exécution – contrôle ». Par exemple, le président de la république incarne le pouvoir exécutif, mais il y a le pouvoir législatif qui assure le contrôle de ses actions. Ces deux pouvoirs tirent leur légitimité du peuple et leur légalité de l’élection au suffrage universel direct.

Pour les élections locales, c’est à peu près la même vision. Il y a le système de représentation collégiale dont les assemblées locales sont élues au suffrage universel direct (conseil municipal, conseil rural et conseil régional) ; et puis,elles procèdent, à leur sein, à l’élection de l’organe exécutif (le maire, le président de la communauté rurale, le président du conseil régional) et assurent leurs contrôles.

Maintenant si le maire est élu au suffrage universel direct, les données vont complétement changer et il aura la même base de légitimité et de légalité que le président de la république. Et, logiquement, ce dernier, ne devrait plus être en mesure de le révoquer ou de le suspendre s’il commet une faute de gestion (voir art.141CCL). Egalement, il ne pourrait plus faire exercer le contrôle de légalité (voir art.334CCL) par ses représentants (gouverneur, préfet et sous-préfet).

S’agissant de la politique de la nation définie par le président de la république et des orientations du ministère en charge les collectivités locales, le maire pourrait alors faire prévaloir sa légitimité pour ne pas y accorder un attachement ou y prêter une attention !

Même, on se pose des questions sur ce qu’il adviendrait, en cas de démission ou de décès du maire. Faudrait-il, convoquer le collège électoral pour de nouvelles consultations ? Et, si cela doit être le cas, est-il possible d’organiser chaque jour, chaque année, des élections pour faire remplacer un maire et pourvoir un poste vacant ? Que va devenir le conseil municipal ? Pourra-t-il continuer à exercer ses fonctions de contrôle et d’être l’organe de délibération de la commune ?

Les interrogations sont encore nombreuses et les arguments défendus par les partisans de l’idée favorable à l’élection du maire au suffrage universel direct peu convaincants. Peut-être, on aurait compris qu’ils nous parlent de l’insuffisance des moyens empêchant au maire de travailler.

Encore que, le code des collectivités reste clair, il dénombre 14 points comportant tous des attributions dévolues au maire (voir art.116 CCL).

Il est étonnant que des députés déposent une proposition de loi dans ce sens ! Ils devraient d’abord voir la manière dont le président de l’Assemblée nationale est choisi. N’est- ce pasqu’il est élu au suffrage universel indirect par ses collègues ?

Pourquoi donc, se focalisent-ils, uniquement sur le changement du mode d’élection du maire, pour ensuite, laisser au statut quo les présidents respectifs de larégion et de la communauté rurale ?On ne peut pas vouloir une chose et son contraire ! Dés lors, il est incompréhensible que l’on cherche à saper l’harmonie des lois régissant la structure des collectivités locales !

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Le droit des collectivités locales relève du droit administratif, il étudie l’ensemble des règles qui gouvernent l’organisation de l’administration locale et la composition des organes locaux. La constitution sénégalaise, en a consacré une part, elle détermine le principe du régime électoral et indique à son article 102 : « les collectivités locales s’administrent par des conseils élus ».

Cette disposition est éloquente, puisqu’elle renseigne sur les options définies par la loi fondamentale concernant le scrutin plurinominal et le modèle de gouvernance locale. Dans le système classique, le suffrage universel indirect est corrélatif de la démocratie représentative et de l’expression de la liberté de choix des dirigeants aux organes exécutifs.

Acte III de la décentralisation

Les enjeux de l’acte III de la décentralisation, ne doivent pas seulement se limiter à la communalisation intégrale età la refondation territoriale. Il faudrait également que la réflexion soit approfondie par rapport à l’évaluation des actes politico-juridiques de la réforme de 1996.

La commune ne peut être viable que si elle regorge d’un potentiel économique et détient des ressources humaines de qualité. Or, le découpage administratif (décret 96-745 du 30 août 1996) était plus politique qu’économique. C’est pourquoi,certaines communes d’arrondissement en pâtissent encore ; elles sont dépourvues de toutes infrastructures économiques et peinent à satisfaire les besoins de la population.

L’acte III devrait corriger tout cela et repenser à ce découpage dans certaines localités. Par exemple, à Rufisque, l’expérience montre que les 3 communes d’arrondissement créées depuis 1996 n’ont pas donné les résultats escomptés. Or, si on veut promouvoir le développement local dans cette ville, il faudrait nécessairement ramener ce découpage à deux grandes communes d’arrondissement qui permettront au moins d’avoir des entités économiques fonctionnelles.

Sans une bonne législation, il n’y a point de réussite pour la décentralisation. Les textes de loi et des règlements, doivent être ajustés et adaptés au processus du développement local et à l’évolution des collectivités locales.

Sur les 372 articles que compte le code des collectivités locales, on y trouve des dispositions qui n’ont jamais été appliquées. C’est le cas, par exemple, des articles 339 et 364 qui exigent respectivement la présentation de deux rapports annuels à l’Assemblée nationale dont l’un par le gouvernement sur le contrôle de légalité exercé l’année précédente concernant les actes des collectivités locales, l’autre par le ministère de tutelle sur la déconcentration et les mesures de répartition des pouvoirs entre les autorités centrales et les représentants de l’Etat auprès des collectivités locales.

Il y a également l’article 366 CCL se rapportant au CNDCL (conseil national de développement des collectivités locales) et qui doit se réunir une fois par an sous la présidence du chef de l’Etat pour faire le bilan sur l’évolution des collectivités locales et proposer de nouvelles orientations.

Malheureusement, tout cela n’a jamais été respecté ! La faiblesse de la décentralisation n’est pas seulement l’insuffisance des ressources, mais il y a aussi la non application de certaines dispositions des lois, ainsi que le problème d’harmonie entre les textes législatifs et réglementaires !

Et, même, sur la refondation territoriale, on oublie qu’il y a un comité interministériel d’aménagement du territoire institué par décret et consulté pour toutes les modifications territoriales (voir art.368 CCL). Ce comité interministériel est placé sous la présidence du premier ministre, mais il ne s’est jamais réuni et le décret d’application (96-1131 du 27 décembre 1996) n’a jamais été pratiqué !

L’acte III de la décentralisation devrait réfléchir sur tout cela et prendre en charge la problématique, notamment le toilettage des textes etle renforcement des fondements juridiques. Dans certains pays comme la France et le Maroc, la dimension juridique reste déterminante et guide l’action des collectivités locales. Même s’il faut reconnaître qu’il y a des progrès importants dans la législation sénégalaise, on devrait encore faire des efforts pour privilégier la notion de spécificité locale dans l’offre des compétences et l’approche juridique.

L’adaptation de la nomenclature budgétaire suivant le respect des limites de compétences etdes particularités locales pourrait davantage clarifier le travail des collectivités. Les relations entre la ville et les communes d’arrondissement devraient être revisitées et les initiatives déconsolidantespourraient dénaturer l’esprit même de la décentralisation.

 

Alioune Souaré

Ancien député

Conseiller municipal à la ville de Rufisque

Et à la commune d’arrondissement de Rufisque-Ouest.

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