La classe politique sénégalaise se révèle, jour après jour, bien en deçà de nos ambitions les plus légitimes. Au fond, et depuis les «indépendances», une élite socialement minoritaire perpétue, sans le génie, les pratiques coloniales d’administration de nos affaires. Au départ de l’administration coloniale, leurs successeurs nationaux se sont laissé piéger par la jouissance des atours du pouvoir et des privilèges qui en découlent.
Au point d’en oublier le but de l’indépendance : faire mieux, et surtout autrement, que le colonisateur dans les domaines économique, social, politique et culturel bref, tous les secteurs de l’activité humaine.
Où en sommes-nous ?
50 ans après, la réalité est là, cruelle… A chacun de se demander si les élites post indépendance ont joué la bonne partition. Pour ma part, c’est définitivement Non.
Je cherche désormais à comprendre pourquoi et comment. Sans passion. Ni parti pris. Car le naufrage est collectif même si les responsabilités sont différenciées.
De mon point de vue, l’on peut partir des rivalités interpersonnelles, sur fond d’égos surdimensionnés manipulables à souhait, qui ont commencé par anéantir la fédération du Mali et casser la première République lors des événements de 1962. Ces deux jalons décisifs de la déclinaison du soleil de notre indépendance expliquent, pour une large part, la panne de perspectives de notre classe politique, confinée depuis lors, dans des enjeux crypto-personnels de gestion et de partage du pouvoir.
Véritablement, aucun effort décisif pour décoloniser le système et libérer les énergies du Peuple sénégalais n’a été fourni par les élites en charge de la destinée de notre ¨Peuple. Bien au contraire.
Tant les programmes scolaires et universitaires que la manière de gérer la vie de la Cité dans tous les domaines sont restés sous l’empreinte et l’emprise du colonisateur français, servi par ses valets locaux qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels, familiaux ou claniques. Le rôle décisif qu’auraient pu jouer nos langues nationales dans l’apprentissage, la diffusion des sciences et techniques est confiné dans la célébration annuelle d’une journée de l’alphabétisation de plus en plus marginale.
Ne parlons pas de notre économie sous tutelle, par la gestion de notre monnaie par la Banque de France et la prégnance des entreprises françaises dans notre tissu économique.
Si l’on y ajoute le choc terrible des sécheresses des années 1970, les plans d’ajustement structurels, la dévaluation du Franc Cfa et le démantèlement progressif de notre embryon de tissu industriel, on comprend notre état de pauvreté avancé.
Pendant ce temps, un jeu politicien, qui frise désormais le ridicule, oppose et alterne des acteurs peu ou pas inspirés. Un mimétisme caricatural des mœurs politiciennes françaises, ainsi que des dérives verbales qui en résultent, sape jour après jour, les fondements socioculturels et religieux de notre Nation.
La gauche sénégalaise qui aura résisté le plus longtemps à l’appel des sirènes a fini par sombrer avec armes et bagages dans ce jeu, ses forfaitures et ses reniements. De sorte que la cause des plus démunis ne trouve plus de défenseurs.
Ah ! Si ! Des organisations et personnalités de la société civile si fréquentables par un ministre français des Affaires étrangères… Il est temps de se demander qui tire les ficelles sinon à qui profite… le crime ?
Car, cela ne peut plus durer…
Tous les sacrifices consentis par les résistants qui ont donné leur sang pour la Liberté du Sénégal, pour cela : nos élites restent fascinées par le modèle du maître et refusent de considérer qu’une autre notion du progrès est possible.
Mais ne voit-on pas que la troisième guerre mondiale est en cours depuis une trentaine d’années ? Oui la troisième guerre mondiale n’est pas militaire ou si peu. Elle est celle des intelligences créatrices qui inventent et innovent sans cesse pour produire des biens et des services qui envahissent le monde.
Les pays dits émergents le sont par la qualité de leurs ressources humaines et le tissu entrepreneurial qui répand leurs talents à travers le monde.
Les nouvelles technologies de l’information sont le vecteur de transport des idées, le lieu de consécration d’une vision du Monde que transportèrent jadis les premiers colons partis d’Europe vers l’Afrique, vers les Amériques… Aujourd’hui le parachèvement de la normalisation des esprits autour du projet esclavagiste d’abord, puis colonial, puis néocolonial et enfin mondialiste achève le cycle d’une quête obsessionnelle de la domination exclusive d’une civilisation sur toutes les autres.
Et nous ? La lutte, la danse, les humoristes à quatre sous, sans inspiration ni vergogne, les «people» de la misère «endollardés de sottise» aurait dit Aimé Césaire, les «stars» bien pâles qu’on exhibe et illusionne bref, tout ce magma «sénégalère» de renoncement à la grandeur, pollue l’esprit d’une jeunesse abandonnée à son sort.
Les universités débordent et n’offrent aucune perspective d’emploi à la majorité des diplômés parvenus à survivre aux conditions désastreuses d’études et de logement. Les formations offertes ne répondent pas du tout aux exigences du marché du travail. Le chômage des diplômés est devenu une réalité banalisée et pratiquement inscrite dans l’ordre normal des choses.
Le corollaire de la désespérance de tous ces jeunes sans emploi, c’est la luxure : prostitution, drogue et mal vivre généralisé d’une jeunesse en perte de sens. Nos rues sont envahies de vendeurs de n’importe quoi qui se rendront compte trop tard que vendre à la sauvette n’est pas un métier. Pendant ce temps, nos élites politiques se perdent dans des bavardages sans lendemains et des alternances désespérantes. Et ne voilà-t-il pas que l’on découvre la cerise sur le gâteau du désastre : une Administration corrompue à des niveaux insoupçonnés se livrerait à des pratiques mafieuses et dangereuses…
Si les politiciens professionnels, toutes tendances confondues, n’entendent pas sourdre la vague de colère qui vient des bas fonds de notre Peuple, alors ils sont devenus autistes et risquent tous d’être emportés par un seul cri du Peuple : Y’en a vraiment marre !!!
Je le dis solennellement : face aux véritables enjeux du développement de notre pays et pour conjurer la montée des périls, il est impératif de siffler la fin de la récréation !
Amadou Tidiane WONE
Ecrivain, Ancien ministre – Ancien ambassadeur
woneamadoutidiane@gmail.com
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