Malgré son corollaire de violence, de dopage, de montages financiers parfois particuliers, la lutte sénégalaise, en tant que sport «national», mérite bien évidemment son terrain de jeu. A cet effet, la décision du gouvernement de construire une arène nationale d’une capacité de vingt mille (20.000) places doit être bien accueillie. On peut aussi comprendre la volonté du Président de la République d’ajouter une telle infrastructure sur la liste de ses réalisations, à l’heure du bilan en 2017.
Il est néanmoins légitime de questionner l’opportunité de construire cette arène nationale sur le site du Technopole, compte tenu de son importance écologique pour la région de Dakar. D’ailleurs beaucoup de voix se sont déjà faites entendre publiquement sur cette question. Pour rappel, le projet du Technopole a été créé par la loi nº 96-36 du 31 décembre 1996, pour accueillir des centres de recherche et d’enseignement ainsi que des entreprises développant l’innovation technologique. Cette loi a été modifiée par la loi nº2004-10 du 6 février 2004 mais la destination a été changée lors du Conseil des ministres du 03 mars 2011. C’est à cette date qu’avait d’abord été décidée l’édification de l’arène nationale de lutte sur ledit site.
La région de Dakar concentre près du quart de la population du pays et compte tenu de sa dynamique actuelle (près de 2,5% de croissance annuelle), en 2025, l’urbanisation continue de la région constituera une menace sur tous les espaces naturels comme les forêts classées de Mbao et de Sébikotane. Rappelons qu’en 1980, l’habitat représentait 9,93 % de la surface totale de la région, les zones d’activités couvraient 3,5 %, les espaces verts 8,4 %, tandis que les espaces boisés agricoles inondables et vacants occupaient 80,6 % de cette superficie. La forte démographie justifie certes l’expression de besoins croissant d’espace d’habitation et d’activités socio-économiques et qui doivent être satisfaits, mais dans une mesure qui ne met en péril ni la vie des populations ni ne détériore leur cadre de vie.
Les Niayes, un écosystème particulier
L’écosystème particulier des Niayes (à la fois zone de captage des eaux de pluies et de régénération naturelle, lieu de refuge de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau, de reptiles, de poissons et autres mammifères) joue un rôle de véritable poumon vert et d’exutoire du trop-plein d’eau à chaque hivernage. Ces espaces ont de nombreuses fonctions et services (atténuation en partie des effets de la chaleur ambiante en créant un microclimat, mais aussi pour le bien-être social et psychologique des habitats de la région). Pourtant, en 2002, l’intérêt de ces espaces dans l’amélioration du cadre de vie et du développement socio-économique du pays semblait avoir été reconnu par l’Etat avec la mise en place de l’ambitieux Programme d’action pour la sauvegarde et le développement urbain des Niayes (PASDUNE) qui avait entre autres objectifs, de lutter contre l’absence de gestion durable des zones vertes dans la région de Dakar. Malheureusement, le PASDUNE fut une initiative mort-née. Quant au Plan d’aménagement et de sauvegarde du littoral (PDAS) élaboré pour relancer le PASDUNE, à ce jour, aucun décret d’application n’est venu légitimer sa mise en œuvre. Ce site, à l’image de la Niaye des Maristes,du parc zoologique de Hann et de la forêt classée de Mbao, zone non aedificandie, donc inconstructible, est condamnée par ce projet de construction de l’arène nationale de lutte.
Le choix de ce site est d’autant plus incompréhensible que l’Etat, depuis les inondations mémorables d’août 2005, notamment à Pikine et Guédiawaye, qui avaient motivé la mise en œuvre du Plan Jaxaay, s’était engagé à lutter de manière efficace contre les inondations dans la région de Dakar.
Choix politicien
Avec le choix de ce site, les pouvoirs publics ne sont-ils pas en train de condamner la région en créant les conditions propices à des inondations encore plus exceptionnelles ? Ignorent-ils que nous sommes dans un contexte de conversion climatique avec le retour des années pluvieuses, et la remontée du niveau de la mer avec le réchauffement climatique ? Quelle est alors la pertinence du plan décennal (2012-2022) de 760 milliards FCFA prévu pour trouver les solutions adéquates pour limiter l’impact des inondations à défaut de les éradiquer entièrement ?
Nos décideurs politiques ne savent-ils pas le rôle majeur que jouent les espaces verts dans l’amélioration du cadre de vie des citadins, notamment dans l’amélioration de la qualité de l’air ou l’infiltration des eaux de ruissellement comme en atteste l’existence de grandes étendues d’eau ou boisées au cœur des grandes villes du monde (Central Park à New York, Parc Lafontaine à Montréal, Hyde Park à Londres, les Parcs de Vincennes et de la Courneuve à Paris, Vondelpark à Amsterdam, Zoo Lake à Johannesburg, Uhuru Park à Nairobi, etc.) ? Des idées et projets faisant du « Technopole » un cadre de vie et d’activités adaptées existent et doivent être soutenus. En effet, au moment où les constructions de tous ordres et le bétonnage du domaine public maritime (DPM) empêchent l’accès à la mer, la réalisation d’un parc de loisirs, avec des activités économiques prenant en compte la spécificité de ce site est une alternative crédible.
Si cette décision de construire l’arène nationale sur le site du Technopole devait être confirmée et exécutée, alors il s’agira d’un choix politicien opportuniste et « court-termiste », lit de futures catastrophes qui coûteront très cher à notre pays.
C’est dans cette perspective que nous demandons à tous ceux qui ambitionnent de faire de Dakar une ville moderne avec un cadre de vie agréable de dire NON à l’édification de l’arène nationale sur le site du Technopole.
Il est encore temps !
Dr Alioune Badiane, Directeur des Projets, ONU-Habitat, Nairobi
Dr. Djibril Diop, Géographe, Environnementaliste, Urbaniste, Montréal
Charles Diémé, Environnementaliste, Amsterdam
Momar Mbengue, Juriste-fiscaliste, Bamako
Abdou Khadre Lô, Directeur de Primum Africa Consulting, Dakar
Alé Badara Sy, Urbaniste, Club de Réflexion sur l’Urbain, Daka