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Vérités Et Silences Coupables Du Rapport De L’ige Sur L’État De La Gouvernance Publique

Vérités Et Silences Coupables Du Rapport De L’ige Sur L’État De La Gouvernance Publique

Le rapport sur l’état de la gouvernance publique au Sénégal que l’IGE vient de présenter, et qui couvre la période du 1er janvier 2008 au 31 juillet 2013, constitue un évènement important qui doit être salué et encouragé. Les faits que révèle ce rapport donnent froid au dos. Ils sont dévastateurs car ils sont aux antipodes des discours déclamés à longueur de journée à travers les médias, les meetings politiques, les rencontres religieuses et les activités sociales de toute sorte. Ils sont en parfaite contradiction avec la posture affichée par de nombreux responsables sénégalais et donnent l’impression que nos élites politiques et administratives ne sont, généralement, mues que par la volonté de s’enrichir à tout prix. Les faits exposés par le rapport renvoient à l’image d’un poisson qui a commencé, s’il ne l’est déjà, à pourrir par la tête. Nous commencerons par rappeler, brièvement, certains de ces faits avant de procéder à l’analyse du rapport.

Un pillage digne d’un gangstérisme économique et financier. 

Une partie d’une cargaison de pétrole brut, reçue à partir du Nigeria, que la Société africaine de raffinage (SAR) avait acquise auprès d’un fournisseur choisi sur instruction de l’ancien Ministre de l’énergie (Samuel Ameth SARR) était, en fait, constituée de plus de 1500 m3 d’eau. La SAR était parfaitement au courant de cette tromperie et, malgré cela, a accepté de payer, au fournisseur (en complicité avec Samuel SARR et l’ancien Directeur général de la SAR), l’intégralité de la facture représentant la totalité de la cargaison. De ce fait, la SAR a perdu, dans cette seule opération, plus de 9 milliards de francs CFA comprenant la valeur de l’eau achetée au prix du pétrole brut à laquelle sont venues s’ajouter d’autres pertes (commerciales, frais d’immobilisation du cargo avant déchargement, intérêts bancaires, etc.), sans égard aux désagréments techniques et autres retards enregistrés dans la production d’énergie.

Ce même ancien Ministre de l’énergie a joué le principal rôle dans une soi-disante acquisition de 40 véhicules de luxe, auprès de l’Arabie Saoudite, destinés au transport des hôtes du sommet de l’OCI en se faisant rembourser, via une société écran dont il est l’administrateur unique, un prétendu préfinancement d’un montant de 3,7 milliards de  francs CFA. Tout cela s’était fait en dehors de l’ANOCI et au total mépris des services compétents de l’État en la matière, à savoir la Direction du matériel et du transit administratif (dMta). C’est une pseudo acquisition car tous les éléments matériels de cette affaire tendent à établir que les 40 voitures de luxe ont été ponctionnées dans lot de véhicules haut de gamme que l’Arabie Saoudite avait gracieusement offerts au Sénégal dans le cadre de l’organisation de l’OCI.

L’ancien Ministre de l’économie maritime, Khoureyssi Thiam a, pour sa part, causé au trésor public sénégalais un manque à gagner et un préjudice financier incontesté de plus de 11,6 milliards de francs CFA. Ce montant constitue le fruit des conditions illégales de délivrance des autorisations de pêche en 2010 et 2011, du non- versement de la redevance avancée et du non-contrôle des captures et des débarquements, lesquels ont des relents de forfaiture, de concussion, de corruption et de fraude.

Concernant les conditions de concession du Terminal à conteneurs du Port autonome de Dakar (PAD) à Dubaï Port World, la procédure s’est effectuée en violation des dispositions du code des marchés publics et a recelé plusieurs défaillances, carences ou fautes qui sont à l’origine du non-respect, par Dubaï Port World, de certains de ses engagements. Cela s’est traduit par des pertes financières importantes évaluées à plus de 28 milliards CFA. Il s’y ajoute, que le Directeur général d’alors, Bara Sady, qui serait auteur de tous ces manquements, s’est permis d’allouer, à chacun des membres du Comité technique qu’il avait mis en place (à sa guise) pour l’attribution de la concession, une indemnité nette d’impôts d’un montant de 25 millions de francs CFA, soit au total, 100 millions.

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Dans le cas de l’Hôtel King Fahd Palace (ex-Méridien Président), son exploitation a été confiée, de gré à gré, à la société hôtelière africaine (sHa), propriété de Amadou Racine Sy, dans des conditions non conformes à la réglementation sur les contrats et aux bonnes pratiques d’une gouvernance publique vertueuse. En effet, les clauses du contrat sont jugées léonines et inédites : 50 % du revenu brut d’exploitation (RBE) sont octroyés à Monsieur Sy en sus d’une rémunération mensuelle de 7 millions de francs CFA.

Pour ce qui est du FESMAN, Abdou Aziz Sow et Sindiély Wade, c’est un simple particulier qui a été constitué comptable public au mépris des textes qui régissent l’administration et les finances publiques. Ainsi, cette personne s’est vu déposer dans le compte bancaire de sa société la somme de quinze (15) milliards de francs CFA pour qu’il puisse procéder, au nom de l’État, à des paiements.

Le rapport nous apprend aussi, le gaspillage, le népotisme, les situations de conflits d’intérêts et les malversations financières qui ont prévalu à l’ARTP. Il nous renseigne aussi sur les conditions nébuleuses et déprédatrices, qui ont entouré la signature de la convention de concession entre la Société MTL infrastructures et services SA (Moustapha Yacine Gueye) et l’État du Sénégal. Enfin, au détour d’un commentaire, le rapport nous apprend que les états financiers de la SENELEC étaient maquillés pour faire apparaitre un solde positif du bilan, alors que l’entreprise était au bord de la faillite.

Les limites du rapport

Qui dit reddition des comptes, parle de réalisations positives, mais aussi des revers, difficultés, voire points négatifs enregistrés. Le rapport ne présente que les bons coups de l’IGE. Nous n’y avons trouvé nulle évocation des verdicts, rendus en 2009 et 2011 (années couvertes par le rapport) par la justice, concernant à ce qui était appelée « l’affaire des chantiers de Thiès ». En effet, la commission d’instruction de la Haute Cour de justice a rendu, en mai 2009, une décision de non-lieu concernant tous les chefs d’inculpation pour lesquels l’ancien Premier ministre Idrissa Seck était poursuivi. La justice a récidivé à travers une décision de relaxe rendue, en mai 2011, par le tribunal correctionnel de Dakar au profit de Bara Tall, Directeur général de Jean Lefebvre Sénégal (JLS) et de ses trois co-prévenus toujours dans « l’affaire des chantiers de Thiès ». Est-il besoin de rappeler que toutes les poursuites enclenchées dans le cadre de « l’affaire des chantiers de Thiès » l’ont été sur la base des rapports de vérification établis par l’IGE ? Le fait qu’on soit arrivé à ce fiasco judiciaire, synonyme d’un camouflet pour l’IGE, rend plus que pertinente la question de savoir s’il arrive que l’IGE soit instrumentalisée par le Président de la République, de qui elle relève directement, à des fins purement politiques? Quelle que soit la réponse apportée à cette question, les conséquences pourraient être désastreuses pour ce prestigieux corps de contrôle.

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Si la réponse était non, cela voudrait dire que les agents de l’IGE bénéficient d’une totale indépendance dans l’accomplissement de leurs missions. Dans ce cas, les décisions de non-lieu accordées à messieurs Idrissa Seck et Bara Tall pourraient être une résultante de la faiblesse des accusations, c’est-à-dire la preuve de la légèreté des constatations faites par les agents de l’IGE, du caractère non probant des résultats d’expertises qu’ils ont utilisés dans leurs rapports, voire de leur incompétence. Nous ne leur ferons pas cette injure, car plusieurs des agents de l’IGE se sont révélés comme étant les meilleurs de leurs générations respectives et sont doublés d’une probité irréprochable. Le camouflet subi par l’IGE pourrait, alors, s’expliquer par le manque d’indépendance de certains magistrats sénégalais, lesquels laisseraient nos responsables politiques, en l’occurrence le Chef de l’État, instruire à charge et à décharge à leur place et de décider des verdicts rendus ou à rendre. Cela serait très grave si tel était le cas.

Si la réponse était oui, c’est-à-dire que l’IGE peut être instrumentalisée à des fins politiques, alors, toutes nos illusions sur un corps que nous croyons être le gardien d’une gouvernance orthodoxe seraient tombées à l’eau. Nous pourrions supposer que c’est pour éviter de répondre à cette épineuse question (possibilité ou non d’instrumentaliser l’IGE) que le rapport n’a pipé mot sur les verdicts rendus dans le cadre de « l’affaire des chantiers de Thiès ». Dans tous les cas, il est aisé de constater que l’image et la crédibilité de l’IGE a été sérieusement écornée par « l’affaire des chantiers de Thiès ».

Une autre limite du rapport tient au fait que l’IGE ne décèle que deux principales causes à la mal gouvernance financière constatée : l’ingérence des autorités politiques dans la gestion des finances publiques (les pressions exercées ou qu’auraient exercées les autorités politiques sur les responsables des structures, entreprises ou organismes audités, vérifiés ou enquêtés) et la politisation de la haute administration publique (qui est constituée, pour la plupart, de cadres qui militent au sein du parti au pouvoir et prompts à utiliser les deniers publics à des fins partisanes). Cela est vrai. Cependant, il nous semble étonnant que le rapport de l’IGE ait omis de dire, clairement, que la première cause de ces prévarications financières est l’absence d’un système judiciaire fort, indépendant et impitoyable sur les sanctions. En effet, l’absence ou la mollesse des sanctions ont fini de favoriser l’émergence d’une atmosphère généralisée d’impunité. Il suffit, seulement, d’être du bon côté.

Une des causes non moins importante de la mal gouvernance financière que l’IGE s’est gardée de dire est liée au fait que le Président de la République soit le destinataire exclusif de tous ses rapports de vérification et que celui-ci n’est nullement tenu de leur donner une suite. Cela se traduit par une marge d’appréciation et de décision qui lui permet de protéger qui il veut quelque soit la gravité des infractions commises. Si les responsables de l’IGE étaient allés jusqu’au bout de la réforme ayant introduit le poste de Vérificateur général, ils auraient décidé que ce dernier soit nommé par l’Assemblée nationale sur proposition du Chef de l’État et, par conséquent, l’IGE ne rendrait compte qu’aux parlementaires afin de leur permettre d’effectuer, efficacement, le contrôle de l’action gouvernementale. C’est cela la pratique courante dans les pays où la transparence et la bonne gouvernance sont une réalité.

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Une autre limite du rapport découle d’une impression de règlement de comptes avec l’ancien Ministre des Finances Abdoulaye Diop no 1. En effet, à maints égards, les rédacteurs du rapport ont semblé personnaliser leurs accusations en visant directement le « Ministre des Finances » à qui ils reprochent d’être le responsable des dépenses hors budget, le complice d’une gestion opaque et malsaine du FESMAN, etc. Ces accusations sont graves et la cohérence aurait recommandé à l’IGE, non pas de suggérer au Président de la République de faire auditionner l’incriminé, mais de le démettre immédiatement et de le traduire devant les tribunaux pour forfaiture, crimes économiques en association, etc. compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés.

Enfin, la dernière limite que nous soulevons dans cette analyse est relative à l’utilisation de la technique de calcul du « retour sur investissement » pour démontrer la «valeur ajoutée» de l’IGE à la promotion de la bonne gouvernance (annexe 1, page 180). Outre le fait que le recours à cette technique est impropre voire impertinente dans le cas d’espèce, le tableau intègre, indument, les sommes recouvrées ou à recouvrer imputables à des années non couvertes par le champ temporel couvert par le rapport (2008 – 2013), c’est-à dire les années 2005 et 2007. Cela obère, très sensiblement, les résultats présentés.

Au total, la publication de ce rapport est une excellence chose. Celui-ci constitue une mine d’informations sur la manière dont l’économie et les entreprises publiques sénégalaises sont gérées. Le seul regret est qu’il semble être le rapport-bilan du Vérificateur général sortant pour démontrer «ses» résultats à la tête de l’institution et non un instrument de reddition des comptes.

 

Cheikh Faye

NDLR : Les faits présentés dans le rapport l’ont été de manière dépersonnalisée. C’est nous qui mettons les noms des responsables incriminés pour mieux situer les lecteurs.

Cheikh FAYE

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