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De Quoi La Transhumance Est-elle Le Nom

Outrance. Angélisme. Déracinement. Et suivisme. C’est à tout cela que renvoient les cris d’orfraie et les anathèmes moralisateurs qui s’élèvent périodiquement dans ce pays contre la praxis politique et sociale qui a pour doux nom « la transhumance ». Intellectuels, plumitifs et commentateurs de grand-places se retrouvent à partager le même dégout ostentatoire pour la ‘‘transhumance’’, dans un unanimisme douteux qui suffit à disqualifier cette position de confort de la pensée qui ne pense pas.

Le moralisme n’est pas la morale. La transhumance ne nous ramène pas à la bestialité, ni au degré zéro de la politique. Débauchage n’est pas débauche. De même, la transhumance n’est pas de la prostitution politique, à laquelle ont vite fait de l’assimiler les esprits simples. Au demeurant, la prostitution est une activité légale et réglementée au Sénégal. Réprouver l’exercice des péripatéticiennes peut donner bonne conscience à peu de frais à la prude vox populi, mais la combattre publiquement relèvera toujours de la diffamation, de l’offense, de l’injure publique et de la délation envers les travailleuses du plus vieux métier du monde, délits condamnables devant les tribunaux au terme de la loi sénégalaise actuelle. Jusqu’à nouvel ordre.

Bien au contraire, une simple analyse sociétale nous renseigne à souhait que la ‘‘transhumance’’ est la forme la plus achevée de la civilité politique et la forme la plus pacifiée de gestion du pouvoir dans l’espace public sénégalais. La superstructure importée qui s’appelle « l’Etat » n’a pas réussi à démanteler les ressorts culturels qui imposent ce power-sharing à la sénégalaise, pour respecter les équilibres communautaristes collectifs d’un Sénégal qui n’est pas une nation homogénéisé d’individus sans attaches irréfragables autre que le libre arbitre, au sens occidental du terme. Mais plutôt une juxtaposition de communautés sociales et religieuses pour lesquelles il faut trouver un modus vivendi, qui reposera toujours sur la concertation. Le fameux « dissoo » qui conduit au ‘‘jappo’’.

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Le pouvoir politique suprême, au sens sénégalais du terme, impose tout naturellement un portage du projet présidentiel par les notabilités légitimées par une base sociale dans leurs terroirs et fiefs respectifs. Les donneurs de leçons à la petite semaine nous opposent les valeurs de jom et de kolëré, comme fondatrices de la société qui est la nôtre. Cela est bien vrai. Les « transhumants » manqueraient donc à ces honorables valeurs champêtres ? A ceux qui le disent, il leur faut savoir que les dires de Wolof Ndiaye, qui font autorité dans ce pays même chez les lakk-kats, sont encore plus révélateurs du moi profond et de la psyché collective des matelots de la pirogue Sénégal. Qu’ils méditent sur ces deux maximes du pays de Kocc Barma: « Njarign lo fèkké », « Magg du fècc ci yalna dè訠».

Le sens de la responsabilité et l’intérêt bien compris de leurs mandataires, qui sont leurs premiers devoirs, imposent que ceux qui peuvent se prévaloir d’une base sociale, participent à la gestion concertée du pouvoir, en deviennent les relais dans le tissu social et soient associés à la redistribution des ressources publiques et des prérogatives de représentation qui en sont le corollaire.

Les seuls resquilleurs condamnables sont les transhumants qui ne représentent que leur personne et les flibustiers qui veulent emporter dans un autre camp un mandat électif acquis sous une bannière politique différente.

Les Sénégalais ont accédé à la démocratie sans avoir guillotiné leur Damel et autres Bourba. Ils ne se sont pas assis à sa dextre et à sa senestre, pour ensuite se proclamer de gauche ou de droite. Nous perpétuons un mode associatif de participation au pouvoir. Quand tout change dans l’espace politique, il ne faut pas que tout mute dans le corps social. La ‘‘transhumance’’ assure la paix sociale et la stabilité des institutions : il faut que tout change pour que rien ne change.

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Dans la maison Sénégal, les murs ne changent pas. Seule la toiture est renouvelée après la forte pluie d’hivernage qui s’appelle alternance. Les bourrasques démocratiques ont emporté par deux fois la toiture, en 2000 et en 2012. Elles ne suffiront pas à ébranler les murs, encore moins les fondations. Et c’est bien ainsi. Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent qui change de direction?

La plupart des « transhumants » ne sont par des girouettes, ce sont des poteaux indicateurs. Il est acquis que les idéologies politiques gauche-droite sont mortes depuis la chute du mur de Berlin? Ces idéologies d’importation n’ont jamais été opératoires dans un pays ou même le plus acharné des gauchistes, fût-t-il son éminence Amath Dansokho ou feu Majhmout Diop du PAI, n’a osé reprendre publiquement l’adage marxiste selon lequel « la religion est l’opium du peuple ». Ces gauchistes s’honorent même de l’excellence de leurs relations avec le clergé et la classe maraboutique. Du côté des libéraux, aucun d’entre eux ne prône plus un spoil-system à l’américaine, où les perdants d’hier deviennent les parias réprouvés d’aujourd’hui et de demain, obligés à une période de soudure politique de cinq ou dix ans.

Parlant des marabouts et de l’église, ils font presque tous prévaloir leur bénédiction et leur soutien automatique au Président de la République choisi par la majorité, quel qu’il soit. Personne ne songe à leur en porter reproche. La mansuétude et le « manndu » accordés à ces kilifa diné doit aussi être de mise pour les kilifa ada que sont beaucoup de personnalités politiques porteuses de voix et de destins, qualifiées abusivement de transhumants. Chaque famille, chaque alliance de familles, chaque communauté d’alliance a son khalifat. Héréditaire ou consensuel. Ce qui dure et perdure est assurément une valeur sûre. Les transhumants historiques que sont Lamine Gueye, Amadou Makhtar Mbow, Assane Seck ont donné à l’ouverture politique à la sénégalaise ses lettres de noblesse.

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Par sa permanence dans le champ politique sénégalais depuis le départ du colonisateur, des fusions de parti senghoriennes à Macky Sall en passant par les ères Diouf et Wade, la transhumance a fini de faire la preuve qu’il est un mode original et originel de système politique sénégalais.

 

Ousseynou Nar Gueye

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