Dans une correspondance adressée au Chef de l’Etat, abondamment commentée à l’époque, le journaliste Adama Gaye, dont le parcours mérite respect, donnait déjà le ton de la gouvernance de Macky Sall, en des termes crus : «… A ce stade de votre gestion du Sénégal, vous méritez, au plus, une note passable, n’en déplaisent à vos laudateurs intéressés. Ils seront les derniers à vous dire que les actes que vous avez posés jusqu’ici s’inscrivent en faux contre les grandes attentes du peuple sénégalais.
Demain, comme pour Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade, quand les carottes seront définitivement cuites, ces manieurs de brosse à reluire, iront tranquillement dans les cafés connus de Dakar pour faire votre procès. Pour l’heure, ils vous cachent ce que certains, de plus en plus nombreux, n’hésitent pas à écrire, sans détour : à savoir que vous n’êtes ni l’homme de la situation, ni à la hauteur de la mission. Il suffit d’écouter les discussions interactives à travers les médias ou de lire les commentaires sur la toile…».
Ces propos d’Adama Gaye, aux allures d’un réquisitoire résonnent encore dans la mémoire des sénégalais. Faut-il établir un lien entre le diagnostic du journaliste et la fébrilité du pouvoir vis-à-vis de la presse en général et particulièrement de la presse en ligne ? Si nous nous gardons de tirer une telle conclusion, nous laissons à chaque citoyen, le soin de se faire son propre jugement.
Notre réflexion aura comme point de départ le classement du Sénégal en matière de liberté de la presse, rendu public par Reporters sans frontières, au titre de l’année 2014. Dans le rapport de cette ONG, le Sénégal occupe la 62éme contre la 59éme en 2013 (il n’y est pas fait mention des facteurs explicatifs). Certes, le recul observé pour le Sénégal de 3 places par rapport à 2013, n’est pas en soi dramatique, mais il constitue un indicateur à un instant T, de la situation de la presse. Suffisant pour déclencher une cote d’alerte.
Incontestablement, avec l’avènement du régime de Macky Sall, le sentiment qui prédomine est celui d’un recul des libertés, notamment s’agissant de la presse.
La récente sortie de l’APPEL (Association des Editeurs et des Professionnels de la Presse en Ligne) faisant état d’intimations répétées contre des journalistes dans l’exercice de leur métier en est une illustration.
De telles intimidations sont inacceptables, insoutenables, intolérables et ne doivent pas avoir droit de cité au Sénégal. La notion d’intimidation renvoie à une réalité précise quand il s’agit de la presse. Elle est caractérisée lorsque le journaliste est placé dans une situation d’instabilité, d’insécurité psychologique qui l’empêche d’exercer en toute liberté son métier. Elle a pour fonction de déstabiliser et génère une autocensure qui demeure l’objectif recherché. Une forme habile de la censure.
La presse est un maillon essentiel de la démocratie sénégalaise. Elle a le devoir d’informer et de forger l’opinion du citoyen. Elle participe à l’éveil des consciences et à l’exercice de la citoyenneté. Bien entendu, informer n’est ni manipuler, ni calomnier, ni déformer. Mais, il est du ressort de la justice et du corps journalistique astreint aux règles déontologiques régissant le métier, de sanctionner fermement s’il y a lieu les « écarts » constatés au niveau de la corporation, et non au pouvoir politique de tenter de régenter « à tout va » la profession, pour des motifs purement politiques. Il ne saurait y avoir de censure à l’égard de la presse : qu’elle soit directe ou indirecte. Avant de donner des leçons de conduite aux journalistes, certains députés feraient mieux de s’imprégner du sens de leur mission. Au lieu de nous servir la poudre de Perlimpinpin.
Par définition, une presse est libre, indépendante et impartiale. Elle n’est ni pour l’opposition, ni contre le pouvoir, mais est avant tout un contre-pouvoir nécessaire dans une société démocratique.
La presse n’invente pas mais relate des faits, qui, en principe, sont avérés parce que vérifiés et recoupés avant d’être livrés aux citoyens. La presse décrit le Sénégal tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit présenté. On ne saurait lui demander de magnifier un Sénégal dans la voie d’une rupture qui n’existe pour l’instant que sur le papier, loin des réalités concrètes vécues par le peuple.
Comme le journaliste Adama Gaye ; l’avocat, Maître Adama Gueye et l’écrivain Boubacar Boris Diop sont les rares à oser dire tout haut ce que beaucoup de sénégalais pensent tout bas, à savoir que la rupture annoncée est invisible. Par ailleurs, le citoyen sénégalais n’est pas un simple consommateur passif, mais un individu libre, mature, parfaitement en mesure d’analyser, de sérier et de décrypter les informations mises à sa disposition.
La presse sénégalaise a fortement contribué au processus qui a conduit Abdou Diouf à reconnaître sa défaite en 2000. Elle a également contraint Abdoulaye Wade à admettre très tôt qu’il a été vaincu en 2012 (les résultats fournis minute par minute donnaient une nette avance à son concurrent, le mettant devant le fait accompli).
N’eut été la presse, les multiples affaires qui entachent la gouvernance de Macky Sall seraient inconnus du grand public et passeraient vraisemblablement dans la rubrique des histoires fictives (l’indemnisation présumée (à moitié avouée) de M’baye N’Diaye et Moustapha Cissé Lo, la multiplication des marchés de gré à gré, la médiation pénale qui n’est rien d’autre qu’un contournement de la loi puisqu’elle ne s’applique pas aux détournement de deniers publics, les actes de mauvaise gestion, etc……..). La preuve que la bonne gouvernance est à quai.
Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la presse en ligne a acquis ses lettres de noblesse, et est devenue un acteur incontournable du monde de l’information. N’importe quel sénégalais se trouvant à l’autre bout de la planète peut être informé en temps réel de la situation qui prévaut au pays, et intervenir, s’il le souhaite, en donnant son point de vue sur un sujet bien déterminé. La presse en ligne constitue donc un puissant levier dans la promotion de l’égalité entre tous les citoyens sénégalais, en termes d’accès à l’information et de participation démocratique pour la bonne marche de la Cité.
Elle fait désormais partie du patrimoine commun des sénégalais à préserver. Les difficultés auxquelles la presse en ligne est confrontée ne doivent laisser aucun sénégalais indifférent. Les sénégalais, en particulier ceux de la diaspora doivent savoir que ceux qui procèdent à la collecte de l’information, à son recoupement et à sa mise en ligne (gratuite) au bénéfice du public prennent certains risques et méritent d’être soutenus.
Les professionnels de l’univers des médias ne sont pas isolés du reste du monde. Comme tous les acteurs économiques, ils doivent faire face à des obligations fiscales et des charges salariales dans un environnement économique en crise. Le tout, dans un contexte où le lecteur a désormais la possibilité d’accéder à différents supports d’information, sans bourse délier. Garantir l’indépendance de la presse, notamment d’un point de vue financier, est le meilleur moyen d’assurer au citoyen l’accès à une information libre, objective et transparente. C’est pourquoi nous suggérons les pistes suivantes :
* La mise sur pied des états généraux de la presse, avec un état des lieux de la profession, notamment pour séparer la bonne graine de l’ivraie,
* L’adoption du code de la presse par les députés et la délimitation précise du périmètre relevant « des délits de presse », une clarification nécessaire pour permettre aux journalistes d’exercer sereinement leur métier,
* L’étude de nouveaux modes de financement de la presse : nous proposons qu’un pourcentage fixe des ressources collectées avec les frais de visas en vigueur pour l’entrée au Sénégal soit alloué la presse, dont une partie pourrait servir à la création d’un système de formation continue pour les journalistes,
* L’attribution à chaque organe de presse d’un montant déterminé, selon des principes d’équité, de non-discrimination, et de transparence,
* L’instauration d’une journée de la presse, avec un appel aux dons à tous les sénégalais de l’intérieur et surtout ceux de la diaspora (à chacun de donner selon ses moyens ; de 1 € à X € …), dans le but d’éviter de placer la presse dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de tout pouvoir,
* La redéfinition des grilles de la RTS et la réaffirmation de ses missions de service public, car malgré tous les régimes successifs, celle-ci n’a jamais su se départir d’une ligne partisane (l’information doit être neutre, équilibrée ; et la promotion des agents, relever du mérite).
En définitive, la liberté de la presse est une affaire de chaque citoyen, car à travers elle, chaque individu préserve une partie de sa liberté, essentielle dans une démocratie : le droit de regard sur la gestion de la Cité. La démocratie est un bien trop précieux pour être laissée entre les mains d’un seul pouvoir.
Seybani SOUGOU
sougouparis@yahoo.fr