Il y a 12 ans, lors des élections locales de 2002, l’actuel Président de la République, Ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique à l’époque avait défrayé la chronique, en décidant, urbi et orbi, de voter dans son fief, à Fatick, sans pièce d’identité. Foulant au pied les dispositions du code électoral. Cet acte impensable pour un homme d’Etat avait heurté la conscience de nombreux républicains. Mais, il nous renseigne, en partie, sur l’état d’esprit de Macky Sall ou du moins sur une certaine conception de l’usage de la force dans le champ politique.
L’épisode du tuyau de Keur Momar Sarr montrant les images d’un Président débarquant en hélicoptère, paradant en tenue militaire pour faire face « au dysfonctionnement d’un tuyau » à l’origine de la pénurie d’eau dans la capitale et ses environs conforte cette curieuse impression d’un homme qui attribue à la force une puissance inouïe pour résoudre des problèmes dont les réponses relèvent exclusivement du domaine de la planification et de l’expertise technique.
La mise en œuvre à pas forcés de l’acte III de la décentralisation ; le déploiement démesuré des forces de l’ordre à Saint Louis et à Podor avant la proclamation de résultats électoraux ; le recours à la justice (Cour d’appel de Saint Louis) pour jouer les prolongations et modifier le sens du scrutin dans les deux localités précitées; la répression sauvage et brutale des étudiants en quête de meilleures conditions de vie et d’étude (l’exigence du paiement des bourses) prouvent que l’usage excessif de la force demeure l’un des signes distinctifs de la gouvernance de Macky Sall.
Le recours permanent au « Je » de la part du Chef de l’Etat (« je prendrais ce qui m’arrange s’agissant des conclusions de la Commission nationale de réforme des institutions », « je décide de la date du référendum pour la réduction du mandat présidentiel », « je transmets certains dossiers de l’IGE à la justice en fonction de mes convenances personnelles », etc…) traduit une forme d’autoritarisme révolue en ce XXIème siècle. Une posture indigne d’une démocratie comme le Sénégal en 2014. Il faut le marteler : Macky Sall n’est ni Dieu, ni son prophète, encore moins un Empereur.
Lorsque les citoyens sénégalais lui confiaient les rênes de leur pays en 2012, Macky Sall ne disposait d’aucun pouvoir sur la police, sur l’armée, encore moins sur la gendarmerie, mais possédait la seule arme autorisée dans une démocratie : le droit de dérouler son programme « le Yonnu Yokkute » et la capacité de convaincre librement, sans aucune entrave, les électeurs sénégalais de la pertinence de ses propositions.
C’est grâce à la vitalité des institutions sénégalaises et au jeu démocratique non faussé que Macky Sall a pu accéder au pouvoir, malgré tous les moyens politiques, économiques, sociaux et toutes les forces publiques à la disposition de Wade. Le Président de la République serait donc bien inspiré de consolider et de fortifier la démocratie sénégalaise qui lui a permis de créer un parti politique, d’obtenir légalement un récépissé, de bénéficier d’une large couverture de la presse (surtout de la presse en ligne) que ses partisans sont en train de pourfendre aujourd’hui, de sillonner le Sénégal en toute liberté, de dénoncer le pouvoir de Wade partout dans le monde, de concourir au suffrage universel, et d’accéder grâce à la volonté populaire à la magistrature suprême. S’il y a bien quelqu’un qui doit tout à la démocratie sénégalaise, c’est Macky Sall.
Il est surprenant de constater que les menaces et non les solutions figurent en bonne place dans la majeure partie des interventions du Président. Car, si la force devait régir l’espace politique, non seulement la première alternance n’aurait pas eu lieu en 2000, mais qui plus est, Macky Sall ne serait jamais Président de la République en 2012. Qui sait ? Peut-être même qu’à cet instant, il aurait été victime d’une « arrestation arbitraire sur la base d’un dossier fallacieux», ses partisans criant au complot, et sollicitant au nom de la démocratie les représentations diplomatiques et les organisations des droits de l’homme pour exiger sa libération ? S’il ne s’agit de réécrire l’histoire, Il y a lieu de souligner qu’il n’appartient donc pas au Président de la République d’user de la force publique pour réprimer, bâillonner ou restreindre les libertés des sénégalais. Les citoyens sénégalais ont parfaitement le droit de critiquer l’action et les orientations du Président de la République, de s’interroger sur le montant, l’origine, et le caractère licite de son patrimoine, de juger la pertinence de ses choix, et de remettre en cause le bien-fondé de ses décisions. Il s’agit là de droits inaliénables garantis par la Constitution.
Dans une démocratie normale, les forces de l’ordre n’ont pas pour mission d’interférer de manière directe ou indirecte dans le jeu politique, mais doivent être cantonnées à leurs missions traditionnelles de maintien de l’ordre et de protection des citoyens. Leur rôle ne consiste pas à venir à la rescousse ou suppléer les carences d’un régime par des interventions systématiques ou inappropriées, ce qui est souvent le cas dans les pays africains, surtout pour les régimes ébranlés par une vague d’impopularité, incapables de prendre en charge les aspirations de leurs populations. En démocratie, le débat libre, le pluralisme, la liberté d’appréciation et de dénonciation, la multiplicité des choix, la pertinence des programmes doivent l’emporter sur la force.
Il y a quelque chose de particulièrement choquant avec le régime de Macky Sall: la tentation permanente d’étouffer tout esprit critique et la volonté de détenir le monopole de la vérité. Ce qui s’apparente à une espèce de paranoïa, avec une fâcheuse tendance à déceler des ennemis partout. Quand un pouvoir est convaincu que l’opinion populaire adhère à sa politique, il est maître de son agenda et affiche une parfaite sérénité face aux critiques.
Au point où on en est, s’il n’est pas exclu que demain des milliers de sénégalais grossissent les rangs des prisonniers pour « délit d’offense » au chef de l’état, ce qui équivaut, de fait, à une censure, il sera, en revanche impossible d’emprisonner la conscience des 14 millions de sénégalais. Dans un contexte où les « grands défenseurs » des libertés individuelles et collectives sous Wade se terrent dans un mutisme assourdissant. Par opportunisme ou par complicité « passive ou active ».
Les nombreuses menaces et intimidations dont sont victimes certains journalistes, une partie de la société civile ou de simples citoyens ordinaires ont fini d’instaurer un « climat de terreur » au pays de Léopold Sédar Senghor, jadis réputé en Afrique et dans le monde pour sa maturité démocratique et la stabilité de ses institutions. Au moment où les interdictions à manifester se multiplient au Sénégal, au Burkina Faso (un contre-exemple sous Compaoré), une grande marche de protestation de l’opposition contre une tentative de modification de la Constitution a été autorisée le 23 août 2014 par un régime dont les dérives autocratiques sont connues de tous. Comme un ultime pied de nez à la démocratie sénégalaise.
Le 25 mars 2012, Macky Sall a été élu pour répondre aux attentes formulées par le peuple sénégalais, et non pour mettre en place un « appareil policier » de répression, de musellement des citoyens dans une logique de conservation du pouvoir. Il urge que le Président se ressaisisse, car en 2017 il sera jugé avant tout par les sénégalais sur ses engagements (réformes institutionnelles), sur sa gouvernance sobre et vertueuse (nécessaire reddition des comptes, lutte implacable contre la mauvais actes de gestion, la corruption sous toutes ses formes, et les détournements de deniers publics) et sur son bilan économique et social. Le moins que l’on puisse dire, à mi-mandat, c’est que la rupture promise est à l’envers. En 2017, la seule force qui vaille en démocratie, celle des électeurs s’imposera: avec le pouvoir de le reconduire ou d’envoyer Macky Sall dans l’opposition. En 2017, « Force restera au peuple ».
Seybani SOUGOU
sougouparis@yahoo.fr