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La (re)colonisation Par Les « Colonisés »

La colonisation avait besoin de territoires, elle a bâti des colonies. Le néocolonialisme avait besoin d’agents, il a bâti ses colonisés. Ces derniers se chargent eux-mêmes de s’auto-coloniser et de coloniser leurs peuples à la place du colonisateur de naguère. La recolonisation a trouvé les deux : terres et peuplades. La liberté a perdu la case.

Les colonisés colonisateurs

Si tant est qu’elle a lieu, la bataille contre le néocolonialisme prend les allures d’une lutte des classes dans nos pays. La classe des élites mentalement et culturellement assimilées qui a pris aujourd’hui le pouvoir: les hommes politiques gouvernent et se passent le pouvoir comme un mot de passe pour l’enrichissement illicite et eternel.

Les « hommes aux affaires » et les « hommes d’affaires » mêlés aux « jet-seteurs » (un mot qui sonne fort depuis l’industrie de la mode et du loisir de Hollywood aux Champs Elysées), trouvent leur place auprès des riches propriétaires internationaux, occidentaux, chinois, indiens, et même brésiliens de plus en plus. Leur boulot est celui de revendre à leur peuple une mentalité de l’entreprenariat qui déprécie ses produits et ses ressources pour valoriser ceux du magister ludiet partenaires en affaires, sans oublier la culture de la consommation et du loisir. Des filiales aux télé-novelas, qu’importe si ces dernières viennent d’élites conservateurs et intégristes brahmanistes anti-abrahamiques, c’est que de bonnes affaires, au nom de libération de notre peuple qui devrait ainsi  mettre le pied dans la modernité et rattraper la mélodie endiablée du gala de la globalisation.

La plupart des intellectuels s’honorent de perpétuer et de faire connaitre chez nous l’œuvre gigantesque et intemporelle de leurs maitres à penser, quitte à tenter des alchimies pseudo-humanistes et des adaptations conceptuelles sophistiquées à coups de transplantations épistémologiques et de harakiris gnostiques.

Les artistes eux veulent libérer le peuple tout en faisant, parfois avec une féroce rivalité, la publicité de codes musicaux, vestimentaires et récréatifs exotiques importés d’autres peuples, lui faisant fantasmer d’ailleurs, de tout sauf de lui-même. Un bon « café sans » pour prononcer, grimacer, chater, pleurer, sourire, siroter, se vêtir, se coiffer, bref vivre comme la Rihanna et la Kardashian qui inquiètent pourtant chez elles. Partie du jeu, les bronzés se bronzent, les mentons velus s’épilent, au point que les hommes et les femmes se ressemblent à la télé et au night club. Du « thug-rapping » qui identifie la banlieue de Pikine au ghetto de New York, la jeunesse sous-développée à celle rebelle de Harlem ou de Woolwich. On en perd son sens de la « galsenité », tant pis si parfois le verbe est de Kòcc ou de Ndiaga Mbaye et le galañ celui du ténor Doudou Ndiaye Rose. Hélas, on a cru se balader chez soi, mais ce n’est pas tant le faire que de se pavaner sous les tropiques avec des bottes de Sioux.

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Le retour des colons « chez eux »

La recolonisation aura besoin logiquement des deux: colonies et colonisés. On peut aisément parier qu’elle a déjà commencé. Grâces aux décrets des geôliers au sommet de l’Etat, les colonisés ont bâti des ghettos de riches sur les terres des paysans (Fanaye et Richard-Toll, Kedougou, etc.), sur les embarcadères des pécheurs (bande côtière de la Presqu’ile du Cap-Vert, les Niayes—Sangalkam, Toubab Dialo, Yene, Sebikotane, Km 50, etc.—,la Petite Côte, Casamance côtière, et maintenant l’axe Lompoul-Tare-Gandiol), sur les terrains de jeu des enfants (Sud-Foire, Ouakam, Fann-Hocc, Corniche, etc.). Ils ont vendu le poisson des pécheurs et immobilisé le profit « marchant » des marchands ambulants, sous prétextes que tous deux sont archaïques et ne veulent pas « développer le sous-développement », pour parler comme Andre Gunder Frank. Tant pis, les colonisés du secteur privé local doivent « émerger » avec l’émergence. Sans compter la modification des codes miniers, fonciers, marchés publics, forestiers, et j’en passe, au profit de l’exploitation nébuleuse de notre faune, de notre flore (bois de la Casamance) et des minerais du Nord et du Sud-est du Sénégal dont curieusement l’or ne parvient même pas à nos bijoutiers de la Rue Fleuris et de l’Avenue Bourguiba. Raison pour laquelle nos braves diriyanke et lingeer se crêpent le chignon entre Dubaï et Jiddah, parfois au beau milieu de leur hajj.

Les hommes d’affaires, servant très souvent de prête-noms et d’agents délocalisateurs aux politiques-prédateurs ainsi qu’aux firmes multinationales se chargent, au moyen de contrats éphémères et de stages rémunérés, de faire trimer une main-d’œuvre bon marché formée avec les maigres revenus du contribuable acquis en grande partie grâce à un endettement en son nom et, à vrai dire, à son insu. Justement, les hauts fonctionnaires et cadres—exceptés rares d’entre eux, les rebelles réduits au silence et envoyés au loin dans des consulats enguenillés—revendent les formules téléologiques des institutions internationales, sauf celles africaines. Grace à la consultance et à la privatisation de l’enseignement supérieur, une industrie technocratique se fait florissante comme le prouve à souhait le « truc » sur l’émergence payé cher auprès de brillants esprits spécialistes du progrès, le salut ultime dit-on. Les jet-seteurs, originellement déflatés de l’école, prodigues de la rue, et amuseurs/ses des maisons closes et bars du rythme, occasionnellement lutteurs, hommes de main, intermédiaires, entremetteurs, proxénètes, filous, revenants, refugiés sexuels, etc., ont le noble labeur de renverser l’ordre moral, d’éprouver les saints, de maudire les saltigé, de socialiser les enfants aux tactiques de la visibilité matérielle et aux mœurs de la bourgeoisie d’affaires et de ludismes « bâtardement » enfantée par 52 ans d’échec politique et d’auto-colonisation.

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On veut une porte et une torche à la case

Que ne l’aurions nous pas préférée éclairée de la torche imbibée à la graisse de zébu que firent découvrir les aïeuls du désert aux marchands du Nil ! La case est bien sombre, « sans clé » en plus, dirait Achille Mbembe. C’est bien ma demeure pourtant, celle qu’on m’a bâtie contre mon gré et au nom de ma liberté. Il va falloir renoncer à la liberté, puisque c’est par sa faute qu’on a laissé la case craquelant en argile noir, dans la vallée inondant et marécageuse, ouverte aux démons et aux mauvais esprits, en paille racornie au dessus de ma chevelure ébouriffée par le mauvais sommeil et écrêtée par le dur labeur des champs et des forêts verdoyants, et par la bouffetance modique qui m’en revient par suite du métayer, lequel est pourtant natif du village.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA
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