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Ziguinchor, L’émergence D’une Métropole Sous Régionale : Quels Leviers Pour Le Développement ?

Au moment où l’on célèbre le douzième anniversaire du drame du bateau le Joola et que la Casamance revient dans les esprits, enrobée dans ce douloureux événement, je voudrais partager, à travers ce texte, ma vision pour le développement de cette région au potentiel remarquable. Ma vision est délibérément optimiste. Elle est toute entièrement tournée vers une prospective réaliste de la Casamance qui s’appuie sur des lignes d’évolution dont les contours se dessinent déjà.

Il est communément admis que la Casamance est un territoire naturellement doté de ressources dont la diversité et la complémentarité offrent des opportunités rares de croissance et de développement. La mise en valeur efficace et rationnelle des immenses potentialités dont regorge cette région peut non seulement permettre de créer les conditions de sa transformation économique et sociale, mais aussi servir de catalyseur pour l’amorce de l’émergence au Sénégal et dans la sous-région.

Jusqu’ici, les paradigmes et grilles de lecture qui ont servi à analyser les possibilités de développement économique de la Casamance ont été conçus sous une approche basée quasi essentiellement sur sa dimension nationale. On peut certes comprendre que le contexte sociopolitique qui caractérise la Casamance depuis plus de 30 ans soit peu favorable à une conception du développement qui aille au-delà de l’espace national sénégalais.

Mais la dynamique de paix et de stabilité qui s’enclenche et qui semble irréversible et l’engagement des acteurs nationaux et locaux, y compris les citoyens eux-mêmes, pour la résolution définitive du conflit, donnent des raisons de penser qu’il est maintenant temps de lancer une réflexion rigoureuse, ouverte et inclusive, sur les meilleures options pour le développement économique et social de la Casamance.

Transformer la contrainte de l’enclavement en opportunité d’intégration

Une région qui est bordée par 3 pays, en plus du pays auquel elle appartient, ne peut-être considérée comme enclavée. La déconstruction de cette réalité est une nécessité pour saisir les vraies opportunités de transformation qui s’offrent à la Casamance.

Je voudrais contribuer à réajuster les analyses sur les perspectives de développement de la Casamance, en la saisissant non pas comme une périphérie mais comme un centre. La Casamance est au centre de l’espace sous régional ouest africain et constitue le pivot de la « Sénégambie méridionale ». Ziguinchor, la principale ville de cette région est à moins de 150 km de deux capitales ouest africaines, Banjul et Bissau. Si on considère sa continuité géographique, agro-écologique et socioculturelle, elle s’ouvre aussi sur un corridor vers Kolda et Tambacounda, en direction du Mali. La construction en cours de la route nationale 6 lui ouvrira un horizon infini vers l’Est du pays.

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Les atouts d’une métropole sous régionale

Ziguinchor ne doit pas être vue comme une ville strictement sénégalaise. C’est une métropole sous-régionale en devenir, dont la vocation est de constituer un hub économique et un trait d’union entre la Gambie, le Sénégal et la Guinée Bissau. L’élaboration des projets de développement, surtout dans le cadre du pôle de développement lancé par l’Etat, doit donc tenir compte des dynamiques d’intégration sous régionales en Afrique de l’Ouest ainsi que de toutes les politiques déjà adoptées ou en cours d’élaboration au niveau de la CEDEAO.

Le Sénégal est le plus grand des trois pays qui partagent l’espace de la « Sénégambie méridionale ». Or c’est la Casamance qui est sa région la plus proche des deux autres pays. Grâce à une stratégie de développement équilibrée entre le national et le régional, Ziguinchor peut devenir une citée régionale où Gambiens, Bissau-guinéens et Sénégalais organiseront leurs transactions commerciales et financières.

La région de la Casamance naturelle compte à peu près 1.592.329 habitants selon le dernier recensement, répartis entre Ziguinchor 523 840 habitants, Sédhiou 434 877 habitants et Kolda 633 675 habitants. Lorsqu’on y ajoute la population de la Gambie, 1.791.000 Habitants et de la Guinée Bissau 1. 664.000 habitants, on se retrouve avec un marché de proximité de près de 5.000.000 de personnes.

Faire de Ziguinchor un hub commercial et financier sous régional

Après l’entrée en vigueur du Tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO à partir de 2015, l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest aura le même tarif douanier, ce qui créera un espace commercial unique, avec des prix similaires ou proches sur les marchandises dans tous les pays. En élevant le port de Ziguinchor au niveau des standards internationaux et en construisant des infrastructures routières de qualité vers Banjul et vers Bissau, Ziguinchor pourra asseoir une position de hub commercial, renforcé par la présence d’un système bancaire dense et diversifié.

Le partage du FCFA avec la Guinée Bissau sera aussi un atout au plan commercial. En 2020, si la CEDEAO réussit à respecter l’agenda de l’adoption de la monnaie commune ouest africaine, l’ECO, cette sous région pourra aussi bénéficier d’un même ensemble monétaire et financier qui devrait renforcer ses possibilités de croissance. L’avance technologique du Sénégal par rapport à la Gambie et la Guinée Bissau, surtout dans le domaine des télécommunications, et la qualité des ressources humaines sont les principaux atouts pouvant permettre de faire de cette ville un Hub financier. Les banques Ziguinchoroises comptent déjà parmi leurs clients de nombreux Bissau Guinéens.

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Un centre d’excellence pour l’éducation et la santé

Le développement d’une offre médicale de qualité, qui se baserait sur les qualités de la médecine sénégalaise, peut non seulement être utile à la Gambie et la Guinée Bissau, mais peut aussi permettre de développer plus tard un tourisme médical lorsque le Cap Skirring deviendra une destination mondiale privilégiée. Plutôt que d’aller à Dakar, des Bissau Guinéens qui en ont les moyens pourront profiter des services de cabinets privés ayant les mêmes standards de qualité et d’expertise.

De même, l’orientation de l’offre de formation de l’université de Ziguinchor vers les besoins des trois pays et le développement d’une offre d’enseignement supérieur privé, peut aussi faciliter le séjour d’étudiants Gambiens et Bissau Guinéens. A l’heure actuelle plusieurs dizaines d’étudiants Bissau Guinéens fréquentent les universités publiques et privées de Ziguinchor. L’ouverture d’une faculté de médecine à l’université de Ziguinchor renforcerait aussi l’articulation et la complémentarité entre services d’éducation et de santé.

Le développement de ces deux secteurs aura aussi un impact positif sur le développement de l’habitat et l’urbanisation de la ville. Deux domaines qui ont connu un retard criard par rapport aux autres villes du Sénégal.

Redonner au tourisme toute sa place

La Casamance est une région à vocation touristique. Elle dispose de sites pittoresques, d’un patrimoine culturel riche et diversifié et d’une végétation luxuriante. Le développement du tourisme peut être l’un des meilleurs leviers pour la transformation de la Casamance. La beauté naturelle de la région, la richesse de sa culture et de son artisanat et l’existence d’infrastructures de base doit permette de bâtir une politique touristique réellement porteuse de développement.

Le Cap Skirring a tous les atouts pour être pour le Sénégal ce que BALI est pour l’Indonésie. Il a l’avantage d’être plus proche de l’Europe et de l’Amérique que la plupart des destinations touristiques qui accueillent des millions de visiteurs chaque année. Du Cap Skirring à Ziguinchor, en passant par Kafountine, Abenne, etc, la Casamance offre une panoplie de richesses naturelles et culturelles favorables au développement du tourisme. De plus, avec une bonne intégration, les circuits peuvent inclure la Gambie et la Guinée Bissau, entre autres, dans leurs offres.

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Un pôle de transformation agro-industrielle

Le potentiel de transformation agro-alimentaire est à nulle autre pareille dans l’espace sous régional. Même si de nombreuses filières agricoles (mangues, madd, bouye, bissap, guerté mancagne…) peuvent permettre la création d’une industrie de transformation légère pourvoyeuse de nombreux emplois, les analyses effectuées montrent que la noix d’anacarde apparait de plus en plus comme «l’or vert » de la Casamance. En 2012, plus de 40.000 tonnes de noix de Cajou ont été produits en Casamance, dont près de 90% dans la région de Kolda. Avec la Guinée Bissau et la Gambie, cette sous région atteint une production de près de 200.000 tonnes de noix brutes.

La quasi-totalité est exportée à l’état brut, sans aucune transformation. L’exemple des pays asiatiques montre que de petites unités de transformations locale et de valorisation de noix peut permettre de créer des centaines voire des milliers d’emplois. J’ai vu moi-même ce que les Vietnamiens font avec la noix de Cajou de Casamance qu’ils achètent aux Indiens qui eux-mêmes font la pluie et le beau temps dans la filière. Ils créent des milliers d’emplois et récoltent des milliers de dollars après avoir ajouté de la valeur à nos propres noix.

La production de la Casamance peut s’adosser à celle de la Guinée Bissau pour faire de ce produit un moteur de la transformation économique et sociale de cette sous région. Une unité industrielle complète de transformation d’anacarde ne coute guère plus de 200 millions de CFA. Elle peut offrir plusieurs centaines d’emplois avec une garantie de retour sur investissement incontestable.

 

Cheikh Tidiane DIEYE

Docteur en Etudes du Développement

Directeur du Centre africain pour le commerce,

l’Intégration et le Développement (Enda CACID)

dieye3@hotmail.com

Cheikh Tidiane DIEYE

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