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Intervention Au Débat Sur Le Système Islamique Sénégalais Face à La Radicalisation

Le professeur Bakary Samb a introduit ce sujet à Montréal en décrivant le système sénégalais. Comme on pouvait s’y attendre, l’islam confrérique, les mouvements réformistes, la cohabitation pacifique avec les non musulmans et la cohésion sociale entre autres sont des caractéristiques évidentes. Il n’a pas manqué de souligner les mouvements ou individus qui ont eu à se frotter au radicalisme, à la limite de basculer dans la violence. Enfin, il n’a pas manqué d’aborder le sujet du paternalisme arabe, thème qui lui tient a cœur.

J’ai eu l’occasion de contribuer au débat qui a suivi, voici en substance le fond de ma pensée, entre interrogations et réflexions.

Interrogations sur la radicalisation

Premièrement, La radicalisation, est-ce une chose négative ? Wahtassimoo bi habli lla hi jamihane… Accrochez vous à cette corde d’Allah… ». Si quelqu’un décide de s’accrocher à cette corde d’Allah, avec toute la force de son âme, il n’y a pas de mal à cela. Il y a problème seulement lorsque cette charge d’émotion (le fanatisme) qu’est la passion rime maintenant avec violence, ignorance et intolérance à la différence. Les premiers ennemis de l’islam, ce sont les musulmans ignorants, faut –il le rappeler. Selon le professeur Bakary Samb, il faut avoir l’intelligence de son temps ; il faut savoir historiciser les versets.

Deuxièmement, la violence de l’extrémisme islamique ne s’inspire t-elle pas (à tord ou a raison), des fondements de l’islam ? J’entends par là d’abord les versets coraniques qui ordonnent le combat, la guerre sainte, la tuerie, selon l’interprétation que l’on fait de khital ou jihad ;

Ensuite les guerres menées au nom de l’islam pas seulement par des terroristes, mais surtout par le prophète (PSL) et ses compagnons ainsi que l’application de la loi du talion dans certaines sphères islamiques. Les chercheurs se sont ils suffisamment intéressés aux effets que cela peut avoir dans la conception (pour ne pas dire perception) d’un certain islam qui se veut radical ?

S’agit-il de riposte, offensive ou attaque préventive (stratégique) ? Heureusement que le prophète (PSL) avait l’habitude de dire, à la fin de chaque opération militaire : nous avons terminé la petite guerre, attaquons la grande guerre, celle que chacun mène contre sa propre âme.

Sur la modélisation du système islamique sénégalais

Serigne Babacar Sy disait ceci : quand il s’agit de l’époque ancienne, les arabes ont les meilleurs aïeux ; mais quand il s’agit de l’époque contemporaine, nous avons les meilleurs aïeux.

Serigne Cheikh Tidiane Almaktoum disait ceci : les musulmans sénégalais n’ont pas besoin de tramer un complot. Tout ce dont ils ont besoin c’est la paix et la liberté de dire oui ou non quant il le faut. Et il a martelé par ailleurs « je tiens tellement a ma liberté ».

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Par ailleurs, je ne partage l’idée selon laquelle si le Sénégal est épargné de la violence, de la guerre, de l’extrémisme et des coups d’Etat, c’est simplement du au fait que nos valeureux saints protecteurs reposent sur nos terres. Le professeur Bakary Samb a bien fait d’ailleurs de souligner qu’à Bagdad repose Abdoul khadre Jeylani, et qu’en Arabie Saoudite repose Le prophète (PSL), ce qui n’a pas empêché les tensions.

Le Sénégal n’a pas certes une tradition de violence, mais nous avons une histoire de violence religieuse et politique.

Sur le plan religieux, Cheikh Elhadj Oumar Foutiyou, l’un des plus grands précurseurs de l’islam au Sénégal et en Afrique, a fait la guerre sainte. Sur le plan politique, le terme tirailleurs sénégalais, est le concept clé pour caricaturer la participation active du Sénégal à la seconde guerre mondiale.

Et je passe sous silence les nombreuses résistances politico religieuses opposées à la colonisation à une époque pas très lointaine, et très récemment encore, les nombreuses manifestations politiques ou citoyennes avec mort d’hommes.

A mon humble avis, c’est Allah qui nous a épargnés, tout simplement. Comment ? Sur quelles bases ? Allez lui demander. Mais une chose est sûre : les germes d’une radicalisation qui ont éclaté dans d’autres pays notamment au Mali, existent déjà au Sénégal.

Inna Senegal Wa Mali, Kanataa Ratkhane. Fafatakhnaa Huma. Faut-il le rappeler, le Sénégal et le Mali étaient une seule entité, l’empire du Mali, que nous avons éclaté (à tord d’ailleurs). Pour le professeur Samb, pour le reste, c’est juste une question de circonstances, car tous les ingrédients sont déjà réunis.

Serigne Cheikh Tidiane Sy ne le disait il pas : « lorsque toutes les usurpations se rassemblent, lorsque toutes les frustrations se réunissent, il n’y a plus rien à faire, il faut que dieu frappe. » Et le professeur Samb d’ajouter : « Il ne faut pas que nous dormions sur nos lauriers. »

Dormir sur nos lauriers, pour moi c’est brandir deux arguments : le premier c’est celui de la cohésion sociale et de la cohabitation pacifique entre différentes forces ethnico religieuses, système que nous érigeons en modèle sans pour autant aller au bout de la conceptualisation. Le second argument est celui de la psychologie des sénégalais, de type « Yalla Bakhna » dont la solution à toute souffrance est de dire Dieu va arranger les choses. Mais cette époque est bien révolue, où les peuples du monde sombraient dans l’attentisme et c’est aussi valable pour le Sénégal. Le coran l’a dit. Allah ne changera pas les choses pour un peuple tant que lui-même ne se dresse pas debout pour les changer.

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Les confréries, force et faiblesse de l’islam sénégalais

Pour conclure, je souligne que lorsque l’on parle de système islamique sénégalais, il faut être capable d’identifier c’est quoi ses forces et ses faiblesses : la faiblesse, c’est l’absence de contrôle, comme le note le professeur Samb. J’ajouterais que c’est surtout la dispersion. En guise d’exemple je nomme un fait. A l’heure où, cette grande conférence est donnée dans la ville montréalaise pour parler de l’islam au Sénégal, les musulmans sénégalais n’étaient pas réunis. Les Tidjanes avaient une séance mensuelle à laquelle ils tenaient, les mourides avaient une séance hebdomadaire à laquelle ils tenaient. A l’exception de quelques uns, le public à la conférence était majoritairement composé de ceux que moi j’appelle, avec un certain sens de l’humour, les non alignées, moi y compris. Du coup, le professeur est allé satisfaire les Tidjanes chez eux avant de se rendre tardivement à sa conférence organisée par l’Association des sénégalais, puis à la fin, est allé voir les mourides pour répondre à leur invitation. Croyez le ou non, c’est cela le modèle de cohésion que nous avons réussi à exporter au canada. On peut le percevoir comme une force, en y ajoutant le fait d’avoir des leaders qui ont su à un moment donné de l’histoire, anticiper sur leur temps avec une vision futuriste pour nous préserver.

Sur le paternalisme arabe

Enfin, je termine par le point sur lequel je ne partage pas la position du professeur Samb. Voici sa théorie.

L’islam est divers et il y a des particularités dans cette globalité. L’image utilisée est de dire que l’islam est un train de la civilisation qui est passé par l’Afrique et que cette dernière était devenue source de référence en islam surtout le cas de Tombouctou, au Mali ou bien du Sénégal où l’islam fait partie le l’héritage du pays. En un mot, l’islam africain a quelque chose à proposer à la communauté.

Il soupçonne un certain paternalisme d’orient, un arabisme sous couvert de l’islam qui voudrait faire de l’islam africain un islam d’une seconde zone. C’est aussi une forme de violence symbolique à laquelle il faut s’opposer.

Voici mon propos : en quoi arabisme est négatif ou opposé à l’Afrique noire ? De plus tous les noirs ne sont pas africains, et tous les africains ne sont pas noirs. Le professeur oublie souvent que l’Afrique est noire mais aussi arabe (je n’aime pas dire blanche).

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En matière de religion, Je réfute le terme de paternalisme arabe du fait que le prophète (PSL) ne le partage pas. La fadla li arabiyine ala ajamiy. Un arabe n’est pas plus valeureux qu’un noir. Quand un arabe me parle de la religion, je ne regarde pas la couleur de sa peau, mais celle de sa pensée, et je lui oppose mes idées et arguments inspirés de mes références locales et de mes aïeux contemporains dont je suis fier. Et je dépassionne le débat. Sans chercher à créer le buzz, la polémique ou la division au sein d’une communauté déjà fragilisée, d’une élite déjà affectée par la rareté de son espèce. C’est cette élite que j’appelle souvent l’école de la Jonction entre l’occident et l’orient.

Comment peut-on d’un cote prôner l’islam sénégalais de cohabitation et de l’autre opposer islam noir et islam arabe ? Je suis en train de dire ceci : deux forces telles que Tarikh Ramadan et Bakary Samb, l’Islam à tout intérêt à ce qu’elles marchent dans la même direction plutôt que l’une contre l’autre. Je suis à la fois Tarikhiste et sambiste et j’en suis fier.

Supposons une seule seconde que Tarikh Ramadan soit une personne arabe qui pense que l’islam est l’apanage des arabes qui doivent civiliser les noirs musulmans en Afrique. Qu’est ce qui nous dit que dans ce même continent, il n’existe pas un noir, musulman, africain qui pense la même chose et agit de la même manière ? Peut-on toujours continuer de parler de paternalisme arabe ? Sur le plan scientifique ce n’est pas suffisamment défendable. Je reproche donc à mon professeur Samb de ne pas identifier clairement ses adversaires. Qui refuse à l’Afrique noire sa place dans l’islam? A-t-on bien théorisé cette place de l’Afrique noire dans l’islam ?

Finalement, je me réjouis de certains jeunes intellectuels sénégalais qui affirment maintenant haut et fort qu’ils ont changé, et qu’ils voient désormais le soufisme et les confréries de bon œil. Selon leur dire, ils mettent leurs agissements passés à l’ egard des confréries sur le compte de la fougue de la jeunesse. Cela signifie aussi qu’il y a un certain travail qui commence à porter ses fruits. Il faut s’en féliciter et le continuer.

 

Mor Ba

Apprenti Ndongo Daara

Montréal

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