Je ne suis pas un journaliste. La liberté de la presse constitue un droit et une valeur dont le respect est fondamental dans une démocratie. Je suis profondément attaché à son respect et je serai toujours prêt à le défendre pour qu’il puisse s’exercer dans toute sa plénitude. Mon coup de gueule n’a pas pour prétention de remettre en cause cette liberté de la presse. Il trouve ses racines dans le malaise qui m’habite en constatant avec impuissance, quotidiennement, que des hommes et des femmes se réclamant du noble et respectable métier de journaliste, commettent des actes attentatoires à notre fragile démocratie sous le sceau de la liberté de la presse. Ainsi, on voit, tous les jours, certains organes de presse et certains journalistes s’ériger en procureurs pour accuser, injustement et sans aucune preuve, d’honnêtes citoyens. On découvre chaque matin que certains organes de presse et certains journalistes sont devenus des bras armés d’intérêts occultes pour régler des comptes à des adversaires ou compétiteurs. On se rend compte, sur la base de plaintes déposées en justice, que certains organes de presse et certains journalistes sont, en fait, de vrais maîtres-chanteurs en tentant d’obtenir des avantages indus. On est effaré, voire sidéré de constater que certains organes de presse et certains journalistes ont abandonné les bonnes habitudes, celles de relater ou d’analyser rigoureusement des faits en se transformant en météologues politiques pour décrire des situations qui n’existent pas ou n’existeront que dans leur tête (politique fiction). Last but not least. Je précise que tous les journalistes, fort heureusement, ne sont pas dans ce même lot. D’où l’utilisation de l’adjectif « certains » pour montrer que mon propos est uniquement destiné aux brebis galeuses de ce noble métier. La profession journalistique compte parmi ses membres des personnes compétentes, rigoureuses et profondément attachées au respect des règles de déontologie et d’éthique qui régissent l’exercice de leur métier. Ces personnes bénéficient, de ma part, du respect et de la reconnaissance.
La vitalité d’une démocratie et la consolidation d’un État de droit reposent, en grande partie, sur la diffusion d’informations de qualité. La diffusion d’informations crédibles, rigoureuses, complètes et conformes aux faits et aux événements confère ainsi aux medias une capacité d’éducation et de mobilisation des populations sur des thèmes et enjeux de développement importants. Ce rôle des médias prend toute son importance dans des pays comme le Sénégal où notre démocratie et notre État de droit sont toujours en construction. Ce à quoi on assiste, depuis quelques temps, est déplorable, voire inquiétant. Sans être exhaustif, les manquements et graves violations auxquels certains organes de presse et certains journalistes se livrent, régulièrement, se résument à :
- une confusion volontaire des genres journalistiques : la manière dont les informations sont présentées au public est généralement floue à dessein. Il est difficile aux lecteurs non avertis de faire la différence, par exemple, entre une nouvelle (faits et événements significatifs relevant de l’intérêt public), une analyse (approfondissement et explications de faits déjà connus du public), un éditorial (une tribune d’opinions réservée à l’éditeur) et une chronique (traitement libre d’un sujet d’information). Bref, dans nombre de cas, on ne parvient pas à distinguer ce qui relève du journalisme d’information ou du journalisme d’opinion. Cette confusion est voulue, car permettant de manipuler l’opinion en essayant de lui faire prendre des vessies pour des lanternes ;
- un choix des manchettes et titres dicté par le sensationnalisme : s’il est vrai qu’il relève de la prérogative de l’éditeur, ce choix pose souvent de graves problèmes. En effet, beaucoup de citoyens qui n’ont pas les moyens d’acheter des journaux se contentent d’une lecture furtive des titres du jour pour se forger une opinion. Pire, certaines revues de presse sonores, auxquelles se fient une grande partie de la population, se limitent à une reprise des titres du jour sur ton sensationnel avec un enrobage de commentaires tendancieux ;
- une multiplication des situations de conflits d’intérêts : il existe des signes évidents attestant de l’existence de liaisons pernicieuses et d’intérêts entre certains organes de presse ainsi que certains journalistes et quelques segments des pouvoirs politiques, financiers ou économiques. Ces liens incestueux permettent, surtout, à quelques hommes politiques ou hommes d’affaires, d’orienter et d’influencer, selon leurs intérêts personnels, la collecte, le traitement et la diffusion des informations. C’est ainsi qu’il est devenu banal de constater que certains journalistes, inféodés à des groupes d’intérêts taisent ou rapportent, avec un évident parti pris, des faits ou évènements qu’ils déforment ou qu’ils « assaisonnent » selon leur degré d’allégeance. Le traitement équilibré de l’information se limite, pour ces organes de presse et journalistes, à une simple profession de foi pouvant servir à l’occasion pour se disculper après l’accomplissement d’un forfait ;
- un manque de respect flagrant aux règles d’éthique : certains organes de presse et certains journalistes ne se préoccupent plus d’identifier et de vérifier leurs sources. Le corolaire de ces façons de faire est la prolifération d’informations diffusées sans que leur crédibilité et leur fiabilité ne soient établies. Cela cause, régulièrement, des atteintes à l’honorabilité et à la dignité de citoyennes et de citoyens qui n’ont pas beaucoup de choses à se reprocher ou qui sont étrangers(ères) aux situations relatées. Pire, la diffusion d’informations non vérifiées et non fondées a détruit beaucoup de relations (amicales, maritales, sociales, professionnelles, etc.) ;
- une entrave délibérée à l’accès des médias à l’encontre des « mal-pensants » : s’il est vrai qu’aucune personne ne peut se prévaloir d’un droit quelconque à accéder aux tribunes des médias écrits, radiophoniques, télévisuels ou en ligne, il est du devoir des organes de presse et des journalistes de faciliter, voire de favoriser l’accès à ces médias. Malheureusement, force est de constater que certains organes de presse et certains journalistes bloquent, systématiquement, leur accès à toutes les personnes identifiées comme étant susceptibles de démontrer la non véracité ou le manque de fondements des informations qu’ils fournissent. Or, l’un des devoirs des organes de presse et des journalistes est, justement, d’encourager la libre circulation des idées et l’expression d’opinions différentes.
Je ne voudrais pas paraître comme un moralisateur. Je ne le suis pas et je n’ai pas la prétention de l’être. Je veux tout simplement que les organes de presse et les journalistes de mon pays soient conscients du rôle, combien primordial, qui est le leur dans l’édification d’une société démocratique, plurielle, juste et tolérante. Je sais, aussi, que je ne suis pas le seul sénégalais à vivre et à déplorer ce malaise ambiant qui entoure la pratique journalistique au Sénégal. Je fais partie de la majorité silencieuse, donc des millions de sénégalais qui souffrent de cette situation porteuse de nombreux dangers pour notre cher pays et las d’être pris en otages. Aux organes de presse et aux journalistes véreux, je crie ma colère à leur encontre avec véhémence sans aucune peur de subir leurs capacités de nuisance, car je ne cherche rien et je n’aspire à rien. Allah est le meilleur Témoin.
Ibrahima Sadikh NDour
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