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Macky Sall : Déficit De Stature Présidentielle Et Cynisme Politique

En moins d’une semaine, trois faits ont marqué la communication du Président Macky Sall. Ils sont, en apparence, anodins et isolés. Pour peu que nous soyons attentifs, ces trois faits sont révélateurs du déficit de stature présidentielle de notre Président-politicien (pertinente qualification que nous empruntons au Doyen Mody Niang). Ces faits montrent comment ce Président-politicien contribue à favoriser le cynisme (manque de confiance généralisé) des populations à l’égard de la politique et des politiciens.

La politique politicienne parasite tous les évènements solennels et républicains

Le premier fait est intervenu le vendredi 9 février à Nouakchott. En marge de sa visite officielle de deux jours, le Président-politicien a rencontré la communauté sénégalaise établie en Mauritanie. Ce qui est, en soi, une bonne chose. Comme dans tous les pays où le Président-politicien prend une telle initiative, de nombreux compatriotes répondent présents à son invitation et l’accueillent avec le respect digne à son rang parce qu’il est le Président de la République, donc le Président de tous les sénégalais. Peu importe qu’ils soient militants de l’APR ou simples opposants. Or, lors de cette rencontre avec la communauté sénégalaise en terre mauritanienne, le Président-politicien s’est livré à son jeu favori : la politisation de l’évènement. En effet, il s’est permis de s’attaquer, directement, à son opposition, plus particulièrement à Oumar Sarr, Pape Diop, Thierno Alassane Sall et autres, qui avaient organisé, le même jour à Dakar, une marche de protestation. C’est ainsi qu’il a dit à leur endroit « ils s’agitent, mais bientôt ma doug si guew bii (je vais descendre dans l’arène) et ce sera encore la panique ». Ce qui constitue une double faute, voire maladresse de sa part. D’abord, dans l’assistance à laquelle il s’adressait, se trouvaient des sénégalais et des sénégalaises qui se reconnaissent dans cette opposition qu’il a attaquée à moins que ses collaborateurs aient procédé, au préalable, à un filtrage inacceptable et discriminatoire pour n’admettre dans la salle que les seuls militants de l’APR. Ensuite, il a fauté en traitant, depuis l’étranger, les affaires politiques intérieures sénégalaises. Ce qui est inadmissible pour un Chef d’État responsable et conscient de sa charge présidentielle. Serait-il imaginable, une seule seconde, que le Président Emmanuel Macron s’attaquât à Laurent Wauquiez (Les Républicains) ou même Marine Le Pen (Front National) lors de sa rencontre avec la communauté française en marge de sa visite officielle au Sénégal ? Bien sûr que non !

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Le second fait est intervenu le mardi 13 février lors de la cérémonie de remise de financements destinés aux femmes évoluant dans la pêche. Ces braves femmes, qui sont des opératrices économiques, sont supposées appartenir à tout le spectre du champ politique sénégalais (du pouvoir à l’opposition) à moins que, une fois de plus, qu’elles ne soient filtrées préalablement en admettant dans la salle que celles encartées APR. Lors de cette cérémonie, le Président-politicien n’a pu s’empêcher, une nouvelle fois, de s’attaquer aux leaders de l’opposition en ces termes : « ils sont réduits à néant. Guissou maleene Mbao. Xana niou deme xarlène guinaw alou kagne ». Quelle atteinte à la fonction présidentielle ! Un Président de la République responsable n’aurait pu, en aucun cas, se départir de l’empreinte solennelle de cette cérémonie. Il serait limité, par exemple, à expliquer notamment les mesures prises et/ou envisagées par l’État pour renforcer les capacités des femmes entrepreneures, faciliter leur accès au crédit, dynamiser le secteur de la pêche, etc.

Le troisième et dernier fait a eu lieu le jeudi 15 février. Chose gravissime, le Président-politicien a profité de la conférence de presse conjointe qu’il tenait avec son homologue George Weah pour répondre à Idrissa Seck relativement à la question de ce dernier sur l’accord récemment signé avec la Mauritanie. Apporter la réplique à un opposant sur des questions domestiques, devant un homologue étranger dans le cadre d’une conférence de presse tenue lors de sa visite officielle, relèverait d’une atteinte au protocole d’État et, subséquemment, renseigne sur le déficit de stature présidentielle de son auteur.

Le terreau d’un cynisme politique

Convoquer la politique à tout bout de champ, même lors des évènements solennels et républicains, est une gangrène à laquelle le Sénégal est confronté depuis plusieurs années. C’est le fait des différents politiciens qui se sont succédé au pouvoir depuis plus d’une décennie. Macky Sall y a sa part de responsabilité. Nous avons l’impression qu’il ne s’adonne qu’à la politique politicienne matin, midi et soir.

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La manie outrancière de Macky Sall à vouloir tout politiser ne devrait étonner personne, car il ne connaît et il n’a fait que la politique dans une part importante de sa vie active. Il n’était ni prêt, ni le plus indiqué à exercer la fonction de Président de la République. D’ailleurs, nombreux sont les sénégalais qui pensent que son élection, en 2012, a été un accident de parcours.

En effet, un rapide examen de sa trajectoire professionnelle permet de se rendre compte que le seul emploi qu’il a occupé dans sa vie est celui d’ingénieur à Petrosen en qualité de Chef de la Division base de données. En dehors de cela, tous les autres postes qu’il a occupés sont des fonctions : DG Petrosen, Ministre de l’industrie et des mines, Ministre de l’Intérieur, Premier-ministre et Président de l’Assemblée nationale. Un emploi et une fonction sont différents, tant dans leur portée conceptuelle que celle de leurs implications. L’expertise technique et le savoir-faire s’acquièrent dans un ou plusieurs emplois, car permettant d’avoir la main à la pâte : on fait tout par soi-même et pour soi-même. On apprend, on se corrige et on se bonifie dans le temps. Au contraire d’un emploi, lorsqu’on exerce une fonction, on est entouré de collaborateurs, qui réfléchissent, écrivent et agissent pour vous. Vous ne faites que donner des orientations et des instructions, signer, arbitrer, faire de la représentation, mobiliser etc. Dans ces conditions, on acquiert moins de technicité en termes de savoir-faire, d’anticipation sur d’éventuels problèmes (vision) et de capacités à les résoudre. C’est cela qui nous arrive avec Macky Sall au pouvoir. Dans ces conditions, ce qu’il sait faire à merveille c’est la politique, surtout politicienne : transhumance, achat de consciences, déstabilisation des partis alliés, soumission de la pseudo-opposition, anéantissement de l’opposition significative et harcèlement de leurs leaders, etc.

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Faire de la politique politicienne, en tout lieu et en toutes circonstances, a fini par provoquer des changements profonds dans notre société. Le fonctionnement du Sénégal ne repose plus sur certaines valeurs fondatrices comme le travail, la vertu de l’effort et la méritocratie. L’école publique assure de moins en moins son rôle d’ascenseur social en permettant aux citoyens issus de conditions sociales modestes de pouvoir se hisser au sommet des responsabilités grâce à leurs talents et mérites. Tout le monde se jette dans la mare politique, car en dehors de celle-ci, point de réussite sociale ! La politique est noble dans son acception originelle. Les femmes et les hommes qui aspirent à nous gouverner doivent avoir un vécu professionnel riche et significatif comme bagage minimal avant de solliciter nos suffrages. Le redressement économique et financier spectaculaire de la Côte d’Ivoire avec Alassane Ouattara est là pour le prouver (même si nous avons à redire sur son rôle de défenseur des intérêts français). L’autre exemple nous vient du Président ghanéen Nana Akufo-Addo qui en train d’infléchir les politiques de son pays dans le bon sens en peu de temps. C’est pourquoi nous terminons sur une note d’espoir, à l’orée des présentielles de 2019, lorsque nous voyons des compatriotes aux parcours professionnels remarquables investir le champ politique comme Amsatou Sow Sidibé, Abdoul Mbaye, Mamadou Diallo, Ousmane Sonko, Mohamed Sall Sao et bien autres que j’aurais pu citer.

 

Ibrahima Sadikh NDour

ibasadikh@gmail.com

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