Il est indéniable et absolument vrai, que l’objectif principal et le but essentiel visé par la décentralisation, c’est parfaitement, de rapprocher l’administration le plus près possible de ses administrés. Et cela va sans dire, qu’elle doit aussi bien entendu être au service des citoyens, pour la satisfaction de leurs besoins administratifs et autres bien compris. Ce qui dicte dès lors à l’Etat, d’ériger les collectivités locales sur des bases saines, objectives, rationnelles et économiquement viables, pour répondre aux attentes légitimes des populations, en tous genres. Au Sénégal, malheureusement, tel n’est pas le cas jusque-là. Bien au contraire, ici, l’érection d’une collectivité locale n’obéit en général, qu’à satisfaire plus, à des revendications politiciennes ou démagogiques, plutôt que de satisfaire les besoins administratifs indispensables et les nécessités économiques, sociales et culturelles des populations concernées. A l’état actuel des choses au Sénégal, nous avons le regret de constater effectivement le nombre pléthorique de nos collectivités locales tous genres confondus, dont certaines sont pratiquement des coquilles vides, dépourvues de ressources économiques et humaines suffisantes, justifiant valablement leur érection.
L’acte 3 de la décentralisation aurait dû en principe et objectivement, procéder avant tout, à une évaluation exhaustive de l’existant, et à un réexamen du bien fondé du maintien de cette pléthore de collectivités locales, dont certaines sont manifestement peu viables, si nous en jugeons par l’état des lieux et leur fonctionnement réel en ce moment à bien des égards. Assurément et en toute souveraineté, l’Etat devrait revoir à la lumière de leur vécu réel, leur baisse en vue d’une fusion prochaine entre elles, pour plus de viabilité des nouvelles. Mais, le PSE et l’acte 3 ont-t-ils même pris en compte et conscience cet état de fait, qui est une réalité incontestable et qui devrait être aussi incontournable?
Cette réforme de l’acte 3 de la décentralisation, considérée par le Pouvoir comme la cheville ouvrière de son Plan Sénégal Emergent (PSE), aurait mieux et plus gagné en performance et efficacité, si l’Etat avait le courage nécessaire, d’évaluer d’abord et d’oser dire non à certains cas complaisants, pour l’intérêt général et le développement harmonieux des localités visées. L’acte 3 devrait, avant l’entame de sa mise en œuvre, procéder à une évaluation exhaustive sérieuse de l’état des lieux, des présentes collectivités. Et à la suite de cet exercice, sur la base du résultat fiable obtenu sans complaisance, l’Etat verrait objectivement et sans aucun doute, l’absence criarde de viabilité et de fiabilité de certaines d’entre elles. Ainsi, fort et instruit par les enseignements et l’expérience tirés du vécu de la décentralisation depuis lors, l’Etat devrait procéder à la fusion rationnelle, judicieusement étudiée de certaines d’entre elles. Une fusion, bien entendu, profitable aux populations, et qui se fera nécessairement par le resserrement ou recentrage des entités actuelles. Précisément, de nouvelles collectivités locales ayant des potentialités économiques complémentaires pour un meilleur développement, des affinités et autres facteurs structurels favorables à un regroupement plus consistant, pour plus de viabilité économique, sociale et culturelle.
Nous avons noté que depuis le test de la première décentralisation en 1972, l’Etat n’a jamais procédé à une évaluation structurelle sérieuse et exhaustive des collectivités locales, en vue de corriger certaines anomalies et autres imperfections relevées dans la pratique et le parcours, pour plus d’efficacité dans leur fonctionnement. En fait, tous les pouvoirs qui se sont succédé à la tête de l’Etat, ont plutôt foncé tête baissée sur l’existent, sans aucune révision de taille préalable dans un sens quelconque, faisant ainsi, incontestablement, du pilotage à vue dans la réforme de l’administration territoriale. Et ceci, malgré toutes les anomalies et imperfections manifestement constatées dans leur fonctionnement, visiblement chaotiques. La preuve qui étaye cette affirmation est matérialisée par cette prolifération des collectivités locales, érigées de manière inconsidérée, par complaisance et sans mesures d’accompagnement pour garantir leur viabilité, comme le dicte en la matière, la loi. Cette disposition de la loi a été violée allègrement par tous les pouvoirs jusque-là, pour des raisons politiciennes et démagogiques particulièrement.
Parti de 7 régions en 1972, Le Sénégal en est aujourd’hui à 14, pour l’instant. La même logique est poursuivie, avec l’érection encore de nouveaux départements, ce qui porte leur nombre de 35 à 45. Dans le même ordre, des Communes de plein exercice, des Communes rurales, etc., ont été également nouvellement créées. Là aussi, la plupart d’entre-elles sontdépourvues du minimum nécessaire pour leur fonctionnement normal en tant qu’entité administrative et économique. En tout état de cause, le constat que l’on peut faire aisément, c’est que, cette décentralisation aveugle et irrationnelle appauvrit davantage certaines collectivités à cause de leur éclatement, et les prive de fait, du peu de ressources indispensables dont elles disposaient. Par voie de conséquence, l’Etat, en créant de nouvelles collectivités locales, est tenu de leur affecter du personnel adéquat spécifique et tous les services traditionnels réguliers de représentation de l’Etat central. Malheureusement, le principe qui voudrait qu’à chaque création de poste de charges, de prévoir les répondants en recettes, pour couvrir les charges, n’est pas respecté au Sénégal et même généralement en Afrique. Ainsi, au lieu de réduire les collectivités pléthoriques par fusion entre elles, de concentrer le peu de ressources disponibles pour plus de consistance, de minorer les charges partout où cela est possible, non ! L’Etat multiplie au contraire les dépenses par la création d’autres entités, et éparpille les ressources, déjà insuffisantes entre elles.
De facto, l’Etat crée certes des collectivités locales pour répondre aux besoins d’une réforme administrative et territoriale nécessaire, mais, en ne prenant pas en compte les conséquences des charges qui en découlent, il se trouve alors dans l’incapacité de leur fournir les moyens matériels nécessaires et ressources financières essentielles, pour assurer leur développement harmonieux. Il est incompréhensible pour beaucoup de Sénégalais, que l’Etat, malgré sa souveraineté soit contraint dans la conduite de sa réforme de l’administration territoriale, de se fixer une règle immuable, considérée en définitive, comme la Bible ou Le Coran. Ainsi, dans le cadre de la décentralisation, l’Etat, en créant des régions à la va-vite, se voit obliger de doter à chacune d’elle 3 départements, même si les conditions ne sont pas remplies pour en être ainsi. A cela s’ajoute, la création des Arrondissements, des Communes et communautés rurales, dont le nombre est fixé arbitrairement d’avance, sur des bases politiciennes et sans rapport avec la réalité du contexte économique du pays. Evidemment, toutes ces collectivités exigent la dotation obligatoire de services statutaires et de personnel administratif suffisant pour leur fonctionnement.
Bien entendu, toute cette bureaucratie qui n’apporte aucun impact positif dans le développement, nécessite plutôt des moyens énormes, tant matériels qu’humains. Ce qui pèse alourdit davantage le train de vie de l’Etat, qui est déjà devenu insupportable et hors de portée, dans les circonstances actuelles de nos propres ressources, régénérées par l’économie nationale. Certaines collectivités peinent même à payer régulièrement le salaire de leur personnel. Et, ce n’est pas le ministre des collectivités locales qui nous démentira, car, il reconnait ouvertement, que le personnel de celles-ci est bien pléthorique. Mais ce qu’il a omis de dire, c’est que les raisons évidentes de cette pléthore de personnel sont dues à l’augmentation injustifiée des collectivités et un recrutement du personnel sur des bases strictement politiciennes et complaisantes.
Ainsi, au lieu de s’atteler vers la création de grandes régions par complémentarité en ressources diverses, pour avoir des collectivités locales économiquement viables, cohérentes et qui se suffisent d’elles-mêmes, non, l’Etat opte pour leur fractionnement en de micros entités incapables de se développer durablement et de manière autonome. En vérité, la décentralisation version sénégalaise est pratiquement, synonyme d’une balkanisation du pays en des entités peu viables à bien des égards. Il est bien dit pourtant, à l’impossible nul n’est tenu, par conséquent, il est tout indiqué en matière de bonne gouvernance pour un Etat responsable, de s’assumer et d’oser dire la vérité à son peuple, quand il faut et dans son intérêt.
Mais comment comprendre, le Sénégal, avec une population approximativement de 13 millions d’habitants seulement, puisse compter 14 régions, dont certaines, ont certes un vaste territoire, mais d’une faible densité en population, désertiques ou alors avec peu de ressources naturelles? Lorsque dans le même temps, un pays comme la France, avec ses 66 millions d’habitants ne compte actuellement que 22 régions, mais a décidé de passer à 13 seulement en 2016, pour des raisons de viabilité économique, mais aussi, pour disposer de régions consistantes en potentialités économiques et sociales pour leur développement homogène. Il nous semble, du moins c’est l’impression qui se dégage alors, que nos Etats ne singent la France, que dans ses réformes les plus négatives.
On peut se demander franchement, pourquoi nos gouvernants ne se servent pas du vécu en général, qui est dans une large mesure, une bonne école d’expérience pour édifier et éclairer, non seulement les individus, mais aussi les Etats, dans leur prise de bonnes décisions pour le futur ? Mais enfin, quand est-ce que nos gouvernants comprendront-ils ce qui va de soi, pour s’évaluer constamment et tirer les leçons de leurs pratiques quotidiennes pour demain?
Les conséquences, d’une gouvernance mécanique, rudimentaire, informelle et faite de pilotage à vue, ne conduisent au bout du compte qu’à l’instauration d’un Etat bureaucratique, vorace en dépenses improductives, qui ne font que grever considérablement les charges de l’Etat au fil du temps. En continuant de multiplier infiniment l’érection des collectivités locales sur des bases subjectives, politiciennes et complaisantes, l’Etat multiplie dans le même temps ses charges financières, sans en contre partie, qu’elles régénèrent des retombées économiques conséquentes capables de couvrir ses charges élastiques. En effet, avec l’entretien d’un personnel administratif si pléthorique, affecté au service des nombreuses collectivités locales peu viables, et ne s’occupant uniquement qu’à des tâches administratives stériles, l’acte 3 de la décentralisation et le PSE sont irrémédiablement voués à l’échec, comme leurs prédécesseurs.
En conclusion, l’Etat du Sénégal doit courageusement prendre ses responsabilités et réviser les présentes collectivités locales, par leur rationalisation conséquente. Il pourrait mieux satisfaire les besoins des populations, en refondant judicieusement par fusion les collectivités actuelles en de grandes entités avec des potentialités économiques certaines. Puis, leur doter d’équipements techniques nécessaires performants, de moyens modernes et suffisants, à la place d’un personnel pléthorique inapte, inefficace et peu performant, donc au rendement nul. Avec de telles collectivités à leur juste mesure, l’Etat pourrait joindre et servir les populations partout où elles se trouveraient. L’Etat pourrait réduire ainsi, dans le même temps, la bureaucratie inefficace, source des blocages, des goulots d’étranglement dans le service public de l’Etat. Enfin, ce sera l’occasion pour l’Etat d’introduire les NTIC pour éliminer ou à défaut réduire au moins la corruption et les passe-droits au niveau des collectivités locales et dans les services publics en général.
Enfin, tous ces impacts négatifs relevés sont la résultante du fonctionnement d’un Etat fortement bureaucratique, qui s’arcboute sur les méthodes archaïques de l’administration néocoloniale désuète et qui refuse de rompre avec les méthodes du passé libéral et l’informel depuis l’avènement du 25 mars 2012.
Mandiaye Gaye
Gaye_mandiaye@hotmail.com