Parlant de Macky Sall, président de la République, pour le dénigrer, Abdoulaye Wade soutient sous les rires de l’auditoire qu’il est un descendant d’esclaves. « On serait dans d’autres situations, je l’aurai vendu en tant qu’esclave », poursuit-il. Pas seulement les illettrés, pas seulement les ménagères, même le réputé promoteur de la démocratie et de l’égalité fait pattes de velours le temps de s’imposer louable et majestueux plus que tout. Jusque dans les commentaires des internautes sénégalais, les lâches insinuations sur les castes et patronymes, révèlent l’ampleur des préjugés bien ancrés.
Des couples se séparent, des amitiés se fissurent, des citoyens se haïssent sans que cela ne fasse l’objet d’aucune dénonciation ferme et décisive de religieux et d’assimilés républicains boutefeux de leur État. Le système tripartite des “géér”, “ñeeño” et “jaam” sous-tendent tous les rapports sociaux et professionnels. Mais là encore, le génie particulier des sénégalais parvient à maquiller les susceptibilités suspectes en goûts et en avis.
Les sénégalais s’opposent et se mesurent très souvent sur le terreau des castes pour s’accoquiner, s’offenser et se mépriser. L’attitude d’hostilité systématique représente aussi bien dans le racisme que dans le système des castes un procédé déraisonnable de rejet. Pour s’aimer, pour se marier, même pour élire, le lignage familial entre en jeu telles une maladie honteuse ou une plus-value, c’est selon. La stratification sociale entre castes distinctes ne blanchit-elle pas le racisme contre noirs et noirauds, bourreaux entre eux et victimes d’ailleurs.
Cette sournoise différenciation en notre sein nous disqualifie de toute prétention égalitariste entre les races à l’échelle du globe. Ça fait mal de se voir opposer incompétence, impotence, infériorité tout court en raison de sa seule couleur de peau. Il fait encore plus mal de subir l’ostracisme de ses pairs au nom d’une structuration sociale héritée de l’imaginaire mutilée des règnes de razzia, de rapine et de rouerie.
Si la famille sénégalaise accepte qu’un de ses membres se marie avec une personne de race blanche et refuse avec la dernière énergie qu’il se lie avec une personne de caste différente, c’est qu’en clair elle autorise la suprématie de l’une sur l’autre. Toutes les castes du Sénégal s’y pratiquent, et du coup, elles s’envisagent solidairement inférieures par effet de ce synchronisme loquace. N’est ce pas étonnant que le pouvoir d’achat ou la seule notoriété arrive souvent à reléguer au second plan toute considération de caste pour temporairement rejoindre celle de pouvoir d’achat ? C’est dire donc que cela ne tient plus à grand-chose si ce n’est à s’inventer une splendeur aussi futile que fausse.
Abdoulaye Wade s’est laissé rattraper par un mal endémique de « sénégalité » connues mais contenues. L’idéologie du sang est bel et bien présente et déterminante à tous les niveaux d’affirmation et de réussite sociale. La République et encore moins l’instruction des classes populaires ne sont parvenues à l’abolir. De la structure familiale à l’appareil d’État, l’attention aux castes s’interfère dans les fonctionnements et dans les organisations. Néanmoins, les nouveaux groupements de classe (économie) supplantent peu à peu les groupements de statuts (castes). Ceci autorise à croire que le critère de mérite, talent individuel, viendra à bout de l’idée collective de l’individu, corolaire du principe aléatoire de “nawlé”.
Birame Waltako Ndiaye
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