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L’échec Des étudiants Dans Les Universités Publiques Du Sénégal: Est-ce Une Fatalité ?

L’échec Des étudiants Dans Les Universités Publiques Du Sénégal: Est-ce Une Fatalité ?

L’échec des étudiants du premier cycle (1ère et 2ème années) dans les universités publiques, particulièrement l’université de Dakar est un phénomène récurrent et qui a toujours préoccupé à la fois les étudiants eux-mêmes, les autorités universitaires et les pouvoirs publics (PDEF, 2012).

On mesure l’ampleur du drame qui se joue sur la corniche et en autres lieux quand on prend en considération que l’éducation supérieure joue un rôle stratégique dans le développement d’un pays. Nous le savons : ce développement affecte tous les domaines : individuel, organisationnel, culturel, économique et politique … Étant donné le niveau de

développement de nos États (un petit nombre d’individus ont accès à une éducation de qualité; des institutions d’enseignement conçues et dirigées par une élite qui, jusqu’à maintenant, n’a pas su et ou n’a pas pu prendre en charge les aspirations des citoyens, une culture complexée, une économie désaxée et des politiques publiques conçues et

financées de l’extérieur pour une large part), l’éducation supérieure devrait être le levier que le pays peut activer pour relever le défi de son développement.

Dans cet article, nous examinons dans un premier temps l’apport d’une éducation supérieure de qualité aux plans individuel, organisationnel, culturel, économique et politique. Dans un second temps, nous examinons la piètre performance de nos établissements universitaires; en troisième lieu, nous proposons des solutions susceptibles d’améliorer la situation actuelle et future.

1. L’apport d’une éducation supérieure de qualité

Depuis plusieurs décennies, l’éducation supérieure du Sénégal, surtout au niveau du premier cycle est confrontée à des taux d’échec très élevés. Dans certaines facultés, il n’est pas rare de voir moins de 20 % d’étudiants qui réussissent en première année.

Quelle tristesse! Et quels gaspillages sociaux, humains et financiers pour un pays qui a tant besoin de ces ressources pour son développement! Le bât blesse d’autant que plusieurs recherches concordent et mettent en lumière la corrélation qui existe entre le développement d’un pays et la qualité ses ressources humaines. Becker (1993) affirme

que la qualité de la formation du capital humain est la voie royale vers le développement.

Cette formation aurait plus d’impact sur le développement que le total combiné des ressources naturelles, de l’aide étrangère et du commerce international (Myers, 1996; Banque Mondiale, 2009).

Pour Pappas (2008), le fonctionnement optimal d’un pays ainsi que son développement économique sont tributaires du degré de qualification de ses ressources humaines. Hanson, de son côté, (2008), s’appuyant sur les travaux de Linsu Kim (2000), a montré qu’il y a une forte corrélation entre la courbe de l’apprentissage et la courbe du développement; cette corrélation vaut autant pour l’entreprise que pour le pays dans son entièreté. Pour ce chercheur, le niveau de développement technologique et industriel ne dépasse jamais le niveau d’expertise des membres de l’entreprise ou du système éducatif du pays.

D’autres chercheurs se sont intéressés de façon spécifique aux bienfaits de l’enseignement supérieur :

a) Au plan individuel, des attitudes humaines seraient modifiées de manière positive par la création, la transmission et l’acquisition de nouvelles connaissances en psychologie, biologie, sciences religieuses, éthique, histoire, anthropologie

et philosophie entre autres (Viau, 2009). Le libre exercice de l’esprit, ou, si vous préférez, la liberté intellectuelle si caractéristique du monde universitaire, a comme conséquence sociale la diminution des préjugés, des superstitions, des dogmatismes et des immaturités de jugements (Levin, 2003). De même, il existerait une forte corrélation entre l’implantation d’une éducation supérieure de qualité et la diminution de la mortalité infantile, la mortalité maternelle, et le manque criant d’hygiène (Banque mondiale, 1991).

b) Au plan organisationnel, les enseignements et les recherches en sciences sociales et en sciences du comportement modifient sensiblement la qualité des organisations et des harmonies au sein de la société (Morgan, 2002 ; Unesco,

2005; Leclerc, 2008). Il existe une corrélation statistique entre le taux de scolarité universitaire et les indicateurs de bonne gouvernance (Bloom, 2006; Emery, 2011).

c) Au plan culturel, les recherches et les apprentissages de pointe sur les secteurs les plus variés de la culture humaine enrichissent les systèmes de valeurs, les normes, les choix et attitudes collectifs (Dill et Sporn, 1999). En outre, la grande expertise et l’excellence en recherche au sein d’une société contribuent à son prestige ainsi qu’à sa performance dans la lutte pour le développement (McMichael, 2009).

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d) Au plan économique, la nouvelle économie a comme premier facteur de production la matière grise des êtres humains : leur savoir (Copeland, 2003 ; Joshua, 2006). Et les universités sont les lieux privilégiés de l’éclosion de ce

savoir (Unesco, 2008). Il existe également une corrélation entre l’éducation supérieure de qualité et l’entreprenariat : le diplômé de l’éducation supérieure est souvent plus apte à créer des entreprises de qualité et les entrepreneurs plus instruits créent plus d’emplois que les entrepreneurs moins instruits (Bloom et al., 2006).

e) Au plan social, l’accès à l’éducation supérieure entraîne une élévation du niveau intellectuel, culturel et souvent économique des individus. Par conséquent, elle contribue à la hauteur de la pyramide sociale et stimule la mobilité vers le sommet de cette pyramide (Nowotny, 1995). En outre, la présence même des universités crée des emplois, contribue à l’urbanisation, stimule la consommation, et entraîne des améliorations sociales locales et régionales (Levin, 2003 ; Unesco, 2008; OCDE, 2010).

f) Au plan politique, les innovations technologiques modifient les politiques économique, culturelle, éducationnelle et autres (Levin, 2003). La présence de spécialistes et de «think tanks» parmi les acteurs politiques bonifient la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de divers ordre; on note le même effet bénéfique dans la recherche des solutions (Lemieux, 2002). La majorité des changements sociaux apparus dans les politiques publiques sont dérivés des recherches effectuées dans les universités ou par ceux et celles formés à l’université (Bowen, 1977).

Comme on peut le constater, un enseignement supérieur de qualité constitue un enjeu majeur pour le développement d’un pays. Alors, comment expliquer l’incapacité de nos universités à assurer la réussite du plus grand nombre d’étudiants? Comment pouvons-nous nous payer le luxe de ne pas mettre en valeur le potentiel de si nombreux citoyens ? Est-ce là une fatalité ? Il n’est pas question ici de trouver un bouc émissaire et nous savons de façon certaine que les facteurs liés aux échecs répétés des étudiants sont nombreux. Cependant, nous examinons ceux, parmi ces facteurs, qui sont contrôlables par l’institution universitaire, qu’il s’agisse des politiques d’accueil ou encore de celles

relatives aux approches pédagogiques utilisées par les enseignants.

2. L’échec ou la réussite scolaire : les facteurs liés à l’université

Plusieurs recherches ont été consacrées aux approches adoptées par les universités pour favoriser la réussite scolaire des étudiants. Puisque l’éducation supérieure est considérée comme un facteur important pour la promotion de la citoyenneté et de la cohésion sociale, ces recherches ont identifié ce que les universités pouvaient offrir aux étudiants pour accroître leurs performances scolaires.

Ainsi, Yorke et Thomas (2005); OCDE (1997, 1999, 2006) ont examiné les politiques de 150 universités à travers le monde qui se démarquent des autres en termes d’accès, de rétention et réussite des étudiants issus de milieux défavorisés ou de ceux qui éprouvent des difficultés dès leur entrée à l’université. Ils ont identifié que ces universités avaient une approche centrée sur l’étudiant. Ces universités offrent d’emblée du soutien pour la préparation à l’entrée à l’université. Dès le début des études, ces universités ont, entre autres, des services d’aide pour les étudiants qui éprouvent des difficultés, une organisation du curriculum qui réponde aux besoins des étudiants; des dispositifs

d’insertion sont mis en place, un soutien financier, sous forme de bourses ou prêts, est disponible dès la première semaine d’étude.

À l’occasion d’une étude réalisée dans une université de Norvège, Helgesen (2012) met en relief la satisfaction des étudiants, leur perception de la réputation de l’université et leur loyauté envers leur université. L’étude conclut que 1) la satisfaction est positivement reliée à la loyauté à l’université, 2) la perception que les étudiants ont de la réputation de leur université est positivement reliée à la loyauté de l’étudiant et 3) la satisfaction est positivement reliée à la perception de la réputation de l’université. Ce chercheur incite les universités à sonder les étudiants quant à leur satisfaction à l’égard de l’institution, quant à leur perception de la réputation de l’institution ainsi qu’à leur loyauté. Ces sondages peuvent aider les dirigeants des universités à mettre en place des politiques efficaces en matière d’intégration des étudiants.

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Abondant dans le même sens, Sauer et O’Donnell (2010) invitent les universités à traiter l’étudiant comme un client et montrent que la création de nouveaux programmes pour répondre à de nouveaux besoins a une influence positive sur la réussite des étudiants. Les études citées plus haut confirment celles de Tinto; ce dernier, depuis 1975, a mis en place un modèle interactionniste fondé sur les concepts d’intégration et d’appartenance à la communauté universitaire. Pour cet auteur, la persévérance et la réussite à l’université constituent un processus longitudinal d’interactions entre l’étudiant et les systèmes académique et social de son université.

Conséquemment, l’abandon et l’échec résulteraient d’un manque de congruence entre les caractéristiques de l’étudiant et celles de l’institution choisie (Cabrera, Castaneda, Nora et al., 1992 ; Kahn & Nauta, 2001); également d’un manque d’intégration de l’étudiant dans l’université. Ce modèle (Tinto, 1987, 1993) figure parmi ceux qui sont les plus connus et les plus utilisés dans l’étude de la persévérance et de la réussite à l’université (Braxton, 2000 ; Kahn & Nauta, 2001 ; Pascarella & Terenzini, 2005).

Nous pensons que si ces mesures peuvent s’avérer efficaces pour l’accueil, la rétention, la persévérance et la réussite des étudiants, d’autres mesures, reliées, celles-là, aux pratiques d’enseignement, devraient être envisagées. En effet, plus souvent qu’autrement, l’enseignement universitaire dans notre pays reste encore largement dominé par la récitation des concepts désincarnés faisant ainsi de notre « élite » une entité qui peine à porter le développement que l’on attend d’elle. C’est pourquoi, nous pensons que l’enseignement supérieur doit impérativement se doter d’une pédagogie universitaire axée sur le développement des compétences. Nous avons souvent entendu des collègues dire n’avoir pas besoin de pédagogie pour enseigner à l’université. Nous pensons que cela représente une fausse croyance car, l’enseignement universitaire a aussi besoin d’une pédagogie. Il faut modifier la façon d’enseigner à l’université. Les

cours magistraux que l’on appelle incarnés par l’ »enseignant conférencier » ou l’ »enseignant chef d’orchestre » ne seraient plus appropriés.

L’université, comme le monde, est en constante évolution. Rappelons quelques-uns des changements qui ont marqué l’histoire de l’enseignement universitaire :

a) L’université du 18e siècle était axée sur la transmission des savoirs dans le but d’atteindre à la « vérité » d’inspiration divine; on le voit bien, la méthode scientifique n’était pas la voie privilégiée. Dans ce contexte c’était le travail théorique qui importait.

b) L’université du 19e siècle est d’abord et avant tout incarnée par l’université allemande qui a été pionnière dans la recherche ainsi que dans la consécration de l’autonomie relative de cette dernière. Dans ce contexte, des façons de faire vont être codifiées à la faveur l’évaluation de la recherche par des comités de pairs. En bref, l’université du 19e siècle veut transmettre le savoir ainsi que le créer; la méthode scientifique prend naissance et s’impose dans l’espace universitaire.

c) Au 20e siècle, l’université américaine va accoucher de sa propre spécificité et la consolider par la suite. Prenant appui sur les conquêtes de l’université allemande, elle se définit, en plus, comme un acteur social. Il faut mettre le savoir au service de la collectivité. D’où une rencontre entre les dimensions culturelles, scientifiques et sociales. C’est dans cette perspective plus intégrée de l’espace de formation qu’il faut situer l’université du 21e siècle et penser autrement l’enseignement universitaire. On attend d’elle qu’elle soit équitable, juste et démocratique. Cette perspective exige que

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l’enseignement universitaire soit plus orienté vers le développement des compétences qu’uniquement vers la transmission des connaissances. Aujourd’hui, on assiste à un chamboulement des contenus et des approches d’enseignement au niveau universitaire.

Le recours à des compétences dans les contenus d’enseignement pose des questions nouvelles qui doivent logiquement amener l’ensemble du système d’enseignement universitaire du pays à innover. En pédagogie universitaire, les chercheurs (Kember et al, 2002; Prosser et Trigwell, 1999) démontrent clairement que «tout enseignant est guidé dans son action par une vision, ce que l’on nomme sa conception de l’enseignement et de l’apprentissage».

Cette conception est souvent influencée par le vécu de l’enseignant. Ainsi, ceux qui ont étudié dans des universités sélectives comme ce fut le cas de l’Université de Dakar, auront tendance à reproduire leur expérience. C’est à dire que ces enseignants auront tendance à sélectionner et focaliser sur les « meilleurs » étudiants, exposant par conséquent la grande majorité des autres à l’échec. Ces collègues doivent revoir leur pratique et se tourner résolument vers un enseignement centré sur l’étudiant; vers un enseignement qui favorise la réalisation des projets individuels et de groupe; un enseignement qui offre un accompagnement des étudiants par les enseignants tout au long de leur formation.

Dans l’organisation de l’enseignement supérieur, deux modèles coexistent : le premier et le plus populaire, sinon le seul qui existe dans nos universités est «l’approche-cours». Celle-ci consiste à élaborer en vase clos les cours d’un programme d’études ; dans cette approche, on confie au professeur la tâche d’élaborer tout seul ses cours sans avoir de compte à rendre à personne, ni à son département et encore moins à ses étudiants. Ces derniers, bien entendu n’ont aucun espace dans lequel ils peuvent évaluer l’enseignement reçu. Tout se passe dans le bureau de l’enseignant qui agit avec une certaine méconnaissance des autres cours du programme d’études et sans interactions longitudinales avec les autres enseignants non plus qu’avec les autres composantes du programme.

Le deuxième modèle d’organisation de l’enseignement est «l’approche-programme»; il s’agit là d’une approche très utilisée dans les universités modernes et qui est caractérisée par un souci permanent des enseignants pour la réussite des étudiants. On y trouve des mécanismes de reddition de comptes à la fois de la part de l’enseignant de la part de l’institution. Dans une approche programme, l’ensemble des cours repose sur un projet de formation élaboré et poursuivi de manière collective par l’ensemble des enseignants de l’unité en question. Par ailleurs, si l’approche-cours manque désormais de pertinence devant les nouveaux besoins et la complexité des situations vécues, l’approche-programme est beaucoup plus porteuse puisque collective et collaborative. Bien entendu, l’introduction de cette approche dans nos universités ne fera pas sans effort, compte tenu des habitudes bien incrustées.

Toutefois, il nous semble que la responsabilité de nos universités eu égard au développement du pays ainsi que les promesses que recèle cette institution obligent nos chers collègues à prendre ce virage. A notre avis, tout en évitant de bafouer l’autonomie des enseignants, il faut trouver un équilibre entre les ressources investies et la performance attendue. Cette exigence est à la citoyenne, politique et éthique. Citoyenne, parce que les populations payeuses de taxes sont en droit de connaitre la finalité et les objectifs de l’université en tant qu’instrument de développement; ils sont également en droit de connaitre le degré de réalisation de ses objectifs. Politique parce que selon le principe de responsabilité de l’élu, le gouvernement est le responsable ultime de l’efficacité de l’action publique; à ce titre, il doit être imputable de la performance ou non de toute institution publique. Éthique, parce qu’en situation professionnelle, l’éthique peut être envisagée comme une démarche de réflexion personnelle et pragmatique qui permet d’orienter son action, de faire des choix et d’agir en conséquence au profit de l’institution.

 

Mamadou Vieux Sané

Ph.D, administration de l’éducation Université du Québec à Montréal-UQÀM

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