C’est vrai qu’il fut un temps encore frais dans nos mémoires, la pensée « y’en a marre » était la mieux partagée chez les sénégalais. Y’en avait marre de l’arrogance des tenants du pouvoir de l’époque. Y’en avait marre de la corruption quasi généralisée. Y’en avait marre des Wakh Wakhète. Y’en avait marre de la flambée permanente des prix des denrées, des hydrocarbures, des loyers, de l’immobilier. Y’en avait marre du tripatouillage de la constitution. Y’en avait marre d’entendre que nous étions des moins que rien face à un fils seul capable de gérer un sommet islamique, 5 portefeuilles ministériels et ensuite le palais. Et tout cela, durant près de 10 années.
Mais le piège dans lequel il ne fallait pas tomber, c’est, dopé par l’omniprésence des micros de certains journalistes toujours à la recherche de la phrase qui tue, même si elle est dénuée d’esprit, de commencer à se prendre pour le nombril du Sénégal. Et même lorsqu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat car le Sénégal n’est pas une sorte de Vatican, peuplée exclusivement de saints hommes, de se croire quand même obligé de la ramener toujours avec de grands mots sans véritable réflexion au fonds
Le piège, c’est de ne pas comprendre que le début de la chute du régime Wade n’a pas commencé en 2011 avec la création du mouvement « Y’en a marre », mais bien avant. Les élections locales de Mars 2009 avaient déjà suffisamment montré que les sénégalais savaient ce qu’il fallait faire, comment il fallait le faire. Ces élections avaient sonné le glas du régime Wade, mais surtout de la tentative de dévolution monarchique du pouvoir. Les milliards, avions, 8×8, laudateurs, déployés partout dans le pays par le père et le fils à l’occasion de ces élections, dans le but de fabriquer un semblant de légitimité politique au fils, n’ont rien pu y faire, ce fils qui n’a jamais été que nommé par papa, promu par papa à la suite d’échecs lamentables.
Le mouvement « Y’en a marre », lorsqu’il est né en 2011, était le bienvenu dans ce combat. Mais avec ou sans lui, la marche vers l’alternance démocratique ne pouvait plus être arrêtée. Wade avait juste le choix entre sortir du palais par la porte principale, ou en sortir par la cave à la manière d’un Gbagbo ou d’un Blaise Compaoré. Ce choix lui a été laissé le 23 Juin 2011. Pas fou, Wade a exclu le plan kamikaze et a choisi la porte principale, même si il a tenté de s’agripper à la poignée jusqu’à épuiser son dernier souffle, brisant quelques vies au passage
Une fois l’alternance acquise de haute lutte par 65 % des sénégalais qui ont tous du mérite, et que le moment était alors venu pour chacun de montrer ce qu’il sait faire pour son pays, pour sa ville ou son village, le piège de « Y’en a marre » était de dire et considérer que mettre ses compétences au service de la nation et de ses concitoyens, était synonyme de reniement, de trahison. Les ministères, les sociétés nationales, les collectivités locales, sont remplis d’hommes et femmes respectables, valeureux, croyants, qu’ils aient des sensibilités politiques ou non. Ce sont des serviteurs de la nation, qui pourtant gagneraient bien plus s’ils mettaient leurs compétences à la disposition du privé ou de l’étranger. C’est avoir l’esprit bien étroit que de penser que les 130.000 pères, mères, fils, filles de la fonction publique sont des corrompus car payés par les deniers publics. Bien au contraire ils sont probablement plus courageux, et plus patriotes qu’un Marvel, un Thiat, un Kilifeu, un Fou Malade, un Fadel, un Assane Djoma Ndiaye, un Seydi Gassama. Nous avons « lâchement » choisi de gagner mieux dans le privé que dans le public. Youssou Ndour qui négociait ses concerts de Bercy à 200 millions (combien d’années de salaires de ministre ?) en sait quelque chose. Pourtant rien n’empêche à un activiste de rejoindre la fonction publique, de donner l’exemple du bon fonctionnaire, et de continuer à appartenir à un quelconque mouvement démocratique, de rester en veille.
Le piège est qu’au lieu de montrer à la cité de quoi ils sont capables à part chanter et faire l’intéressant devant les micros qui leur sont tendus, ces quelques jeunes de « Y’en a marre » préfèrent tellement compter dans l’actualité qu’ils se sentent obligés de hurler perpétuellement, de tout qualifier de négatif pour rester en phase avec le slogan « Y’en a marre ». Pourtant Rome ne s’est pas construit en un jour, et durant la construction des briques peuvent tomber, des tuyaux peuvent péter, des vitres peuvent éclater, des maçons peuvent trébucher, d’autres peuvent s’endormir ou partir avec un sac de ciment à la maison.
Le piège de « Y’en a marre » a donc été de ne pas avoir changé de nom de mouvement dès les lendemains de l’alternance. On n’entre pas dans une nouvelle ère en disant « y’en a marre », cela en réduit la sincérité et l’objectivité. Les Imams de Guédiawaye ont compris eux quand il fallait parler, quand il fallait observer ou laisser la chance au travail
Un nouveau régime, un nouveau pouvoir est comme une nouvelle équipe ou quasi nouvelle équipe de football, recomposée par un nouvel entraineur / sélectionneur. On peut discuter les premiers choix de l’entraineur, mais il faut éviter de prendre son opinion comme générale. Si l’objectif clairement affiché de l’entraineur est d’amener le plus loin possible l’équipe et le pays qu’elle représente, il est plus intelligent, plus responsable, moins égoïste de le soutenir d’abord lui et son équipe, que de leur gueuler dessus, de leur mettre des bâtons dans les roues dès les premiers échauffements. Quand est-ce que cette équipe aura alors le temps de se fortifier, de prendre ses marques, de prendre possession du terrain, surtout si ce terrain a été miné par l’équipe précédente durant des années.
Au lieu de descendre sur le terrain mouiller le maillot, ces jeunes ont préféré les fonds plus importants de quelques ONG qu’ils rajoutent à leurs revenus d’artistes pour certains d’entre eux. Au lieu de choisir les petits salaires de serviteurs de l’état, Ils ont compris que continuer à s’appeler « Y’en a marre » et crier sans arrêt au viol, cela attire mieux les micros, cela attire mieux l’attention des ONG qui ont des budgets à utiliser sinon ils sont diminués l’année suivante, et cela nourrit au passage son homme
Non contents de se prendre à tort pour le nombril du Sénégal, ils tombent dans le piège de se prendre pour le nombril de l’Afrique. Afin de capter plus de budgets de certaines ONG, on élargit alors le champ d’action, quitte à tomber dans le piège de l’imprudence, de l’activisme irréfléchie, de l’ingérence que certains ont décrié lorsqu’un certain ambassadeur a émis une simple opinion pourtant largement partagée.
Ce qui s’est passé au Congo mérite de s’y arrêter. Sous quel statut déclaré les activistes de « Y’en a marre » sont-ils entrés au Congo Kinshasa ? Avec quel type de visa (tourisme, affaires, humanitaire, séminaire ?) ? Visas obtenus au Sénégal avec quels types de documents, de lettre d’invitation, de contenu ? Des voyages financés par qui et dans quel objectif précis ? Ont-ils pensé à l’effet et les conséquences que pouvait entrainer pour les ressortissants sénégalais établis au Congo une intrusion trop manifeste et mal perçue d’activistes sénégalais dans le champ et le terrain politique congolais ? N’ont-ils pas pensé qu’un peuple qu’ils considèrent comme suffisamment immature pour ne pas savoir comment se choisir ses dirigeants ou les dégager quand ils en ont assez, ce peuple peut également tomber facilement dans la confusion et se lancer à la chasse aux sénégalais sur son sol, du fait de l’intrusion peu discrète de « Y’en a marre » ?
Les jeunes du Filimbi congolais seraient venus en formation au QG de « Y’en a marre » au Sénégal, cela aurait peut-être été plus intelligent et plus efficace que d’aller devant les caméras et micros d’un pays souverain, faire le Che Guevara et narguer les autorités de ce pays sur son propre sol. Imaginez si un groupe de jeunes français venaient sur notre sol nous apprendre comment nous devions faire pour changer le système. Qui n’a pas été choqué de voir le régime précédent amener une vingtaine de constitutionnalistes étrangers venir nous donner des leçons, parce que la douzaine de constitutionnalistes que comptait le Sénégal disait tous la même chose qui n’arrangeait pas le candidat au 3ème mandat. Cela ne nous choque pourtant pas que nos constitutionnalistes à nous aillent renforcer leur formation à l’étranger, et viennent ensuite nous donner des leçons collant avec notre constitution à nous, en étant des nôtres
Il faut espérer que cette aventure servira de leçon à ces activistes qui gagneraient à redescendre sur terre, à être plus réalistes, à être plus réfléchis, à adopter des postures et des slogans par étape, à éviter de tomber dans les pièges de la médiatisation, à éviter le y’en a marre à outrance..
Il faut à un moment donné se mettre au travail, même si il n’est pas médiatisé, que ce soit au service de l’état ou hors de la fonction publique, que ce soit des actions civiques ou citoyennes, que ce soit de la sensibilisation ou de la veille, mais il faut surtout cesser la démagogie. A bon entendeur !!!
MARVEL
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