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Droit De Gréve Et Devoir De Responsabilité

Droit De Gréve Et Devoir De Responsabilité

Les grèves récurrentes mettant en péril le système éducatif de notre cher Sunugal représentent aujourd’hui un motif de préoccupation qui interpelle tout citoyen.

Il est du devoir de chacun d’apporter sa contribution pour, non pas remettre en cause la légitimité des revendications des travailleurs, ni leurs droits à user des moyens légaux pour la satisfaction de celles-ci, mais, susciter un débat citoyen pour que les jeunes enfants issus des familles les plus démunies, ne soient pas encore davantage les victimes expiatoires de l’irresponsabilité de toutes les parties prenantes de ces mouvements sans fin.

Le 26 février 2014, me rendant au Sénégal, j’avais eu le plaisir de retrouver lors de l’escale de Paris tous les représentants de toutes les organisations représentatives de l’ordre socioéconomique de notre pays. Ils revenaient tous, « aux frais de la princesse » comme le disait l’un d’eux, d’un voyage auprès du Club de Paris pour soutenir la vision stratégique nouvellement exprimée à travers le PSE. Or si une des conditions primordiales de l’émergence est que nous ayons une administration à l’écoute des citoyens de toutes les catégories socioprofessionnelles pour les accompagner et non plus faire valoir à leur égard ses prérogatives régaliennes de la contrainte organisée, attribut principal de la puissance publique, l’autre condition sine qua non est, corrélativement, d’avoir des citoyens conscients de leurs responsabilités.

Dans tous les pays qui ont pu accéder à l’émergence, les citoyens ont été amenés à comprendre que les revendications ne pouvaient plus porter uniquement sur l’exigence du respect de leurs droits. Ce qui est certes légitime. Les populations qui souhaitent cette transformation se posent la question de savoir quelle pourrait être leur contribution. Au demeurant, s’il est une citation que tout le monde connaît bien au Sénégal, c’est celle du Président J. F. Kennedy : ne te demande pas ce que ton pays pourra faire pour toi. Pose-toi la question de savoir ce que tu pourras faire pour ton pays.

Il en est, cependant, une autre du même J.F. Kennedy : « les problèmes du monde ne sont pas susceptibles d’être résolus par les sceptiques ou les cyniques dont les horizons sont limités par des réalités évidentes. Nous avons besoin d’hommes et de femmes qui peuvent rêver de choses qui n’ont jamais existé »

Pourrait-il, dans cet ordre d’idées, entrer dans l’entendement de militants syndicalistes de nos pays en émergence, qu’ils puissent faire une grève parce que l’État voudrait faire baisser des impôts? Pour des travailleurs mus uniquement par la satisfaction de leurs droits, ce serait leur faire une offense suprême que de les inviter à suivre une telle initiative. Mais pour des travailleurs conscients de leurs responsabilités, c’est tout à fait possible car la suppression de certains impôts pourrait avoir pour incidence la remise en cause de certains acquis sociaux pour la population dans son ensemble ou le transfert du fardeau sur d’autres composantes de la société affectées par la crise économique. Ceci n’est pas une vue de l’esprit. J’ai pu le vivre avec étonnement et émerveillement dans un pays de l’OCDE.

Est-il, donc, concevable que des travailleurs aient pour projet de sacrifier toute une année de scolarité pour des centaines de milliers de jeunes issus pour la plus grande majorité des familles les plus pauvres de notre pays?

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Pourtant nos États sont bien représentés dans toutes les instances de l’OIT où ils votent des résolutions permettant de contenir les conséquences désastreuses de tels risques d’instabilité économique et sociale. Chaque année le Sénégal, pays très respectueux de ses engagements internationaux envoie à la session annuelle de l’OIT une des plus fortes délégations tripartites au monde.

Ces derniers savent très bien que le droit de grève, aussi surprenant que cela puisse paraître, ne fait en tant que tel l’objet d’aucune convention internationale, ni d’aucune recommandation de travail. Il n’existe aucune norme expresse afférente au droit de grève au plan international. Ceci est d’autant plus vrai que, récemment la Coordination des Syndicats Africains dirigée par notre compatriote Mody Guiro s’est réunie à Dakar pour qu’enfin, une convention vienne explicitement traiter de ce droit. L’OIT se préoccupe cependant de la liberté syndicale et dans différentes résolutions, elle invite les États « à adopter des lois assurant l’exercice effectif et sans restriction des droits syndicaux par les travailleurs y compris le droit de faire la grève » (BIT 1957 P. 813). La convention sur la liberté syndicale (numéro 87) datant de 1948 exhorte les organisations de travailleurs et d’employeurs à « promouvoir et défendre les intérêts des travailleurs et des employeurs, à organiser leur gestion et leur activité et à formuler leur programme d’action» (art. 31 BIT 1996.)

Le constituant Sénégalais est allé plus loin en citant expressément le droit de grève à l’article 40 de la Constitution du Sénégal en ces termes : « le droit de grève est reconnu. Il s’exerce dans le cadre des lois et règlements qui le régissent. Il ne peut en aucun cas, ni porter atteinte à la liberté de travail, ni mettre, délibérément l’entreprise, les services et institutions de l’État en péril ».

Il est clair qu’aussi bien l’OIT que l’État du Sénégal en appellent au sens des responsabilités car le droit de grève ne saurait être conçu comme un droit absolu et sans limitation. Il doit être encadré et faire l’objet d’un plan d’action clair. En effet, un pays quel qu’il soit a beau mettre en place tous les dispositifs pour une justice équitable, des institutions solides ou une fiscalité attrayante tant et aussi longtemps qu’il manquera de la prévisibilité, il ne pourra jamais intéresser les investisseurs. L’OIT nous met donc en garde en recommandant que la gestion des droits syndicaux et leur activité se fassent au moyen d’un programme d’action clair permettant non pas d’entretenir un climat de conflit permanent mais d’asseoir les bases d’une discussion intelligible et constructive.

Aussi, les revendications que les travailleurs peuvent chercher à appuyer au moyen de la grève sont seulement de deux ordres :

Revendications de caractère professionnel portant sur l’amélioration des conditions de travail et de vie.

Revendications de caractère syndical afférentes aux droits des organisations syndicales ou de leurs dirigeants.

Les revendications de caractère politique n’entrent pas dans le champ du droit de grève.

La jurisprudence du Comité de la liberté syndicale et de la Commission des experts est riche de conditions afférentes à l’exercice du droit de grève.

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Par exemple, le Comité de la liberté syndicale admet que la grève soit subordonnée dans les conflits collectifs au recours préalable aux procédures de conciliation, de médiation ou d’arbitrage volontaire; il précise cependant que si un conflit a été soumis à une procédure de conciliation ou à l’arbitrage pour règlement final avec le consentement de toutes les parties intéressées, celles-ci devraient être encouragées à s’abstenir de recourir à la grève ou au lock-out pendant que la procédure est en cours et à accepter, dans le cas de l’arbitrage, la décision rendue (paragr. 4 et 6, BIT, 1996b, p. 80). Au demeurant, e Sénégal avait au moment de ratifier la Convention C87, fait une observation fort judicieuse à l’effet que les autorités pourraient « imposer l’arbitrage obligatoire si elles jugent la grève préjudiciable à l’ordre public et à l’intérêt général. »

À cette restriction concernant la nature des grèves, l’OIT ajoute que la grève ne pourrait être acceptée en situation de crise aigüe dans un pays. Sont, à l’évidence, visées, en l’occurrence, des circonstances exceptionnelles, par exemple un coup d’État contre un gouvernement constitutionnel donnant lieu à la proclamation de l’état d’urgence.

La grève est également interdite à certaines catégories de travailleurs.

Certes, l’OIT garantit la liberté syndicale dans le secteur privé comme dans le secteur public. « Mais cette reconnaissance du droit syndical des agents publics ne préjuge en rien la question du droit de grève des fonctionnaires, question demeurée hors de cause » (BIT 1947 p.112).

Dans bon nombre de pays de l’OCDE, la possibilité pour les fonctionnaires d’aller en grève n’a pu être consacrée qu’au moyen de décisions de justice après de longues procédures devant les juridictions appropriées. Dans d’autres pays comme la Suisse, l’Allemagne ou le Japon, les fonctionnaires n’ont tout simplement pas le droit de grève. Tandis qu’au Canada et plus particulièrement, dans la province du Québec, en principe, le droit d’exercer des moyens de pression est reconnu aux travailleuses et aux travailleurs du secteur public mais le recours à une grève légale se fait dans un cadre plus contraignant que les autres secteurs d’activités. Par exemple, pour exécuter une grève légale dans un centre hospitalier, les syndiqué-es doivent assurer jusqu’à 90 % des services, un niveau parfois plus élevé que ce qui est maintenu en temps normal (par exemple pendant les vacances) !

Le code du travail prévoit que, l’exercice de moyens de pression dans les services publics doit s’accompagner de mesures de sauvegarde garantissant la poursuite de toutes les activités. Celles-ci prévoient la proportion des salarié-es qui doivent être maintenus au travail en cas de grève.

Par ailleurs, d’autres dispositions du Code du travail et de la loi visent spécifiquement les modalités d’obtention du droit de grève dans le secteur public.

Donc, non seulement, il faut obtenir le droit d’aller en grève seulement après l’impossibilité d’aboutir à des solutions suite aux médiations, mais le cas échéant, il faudra assurer la continuité du service public.

En cela, les normes juridiques en vigueur dans un pays que l’on ne saurait taxer de violer les droits de la personne, ni d’être antidémocratique sont en parfaite adéquation avec les conclusions de la commission des experts de l’OIT. Ceux-ci en effet estiment que même si les fonctionnaires n’ont pas le droit de grève, ils doivent bénéficier de garanties appropriées pour la défense de leurs intérêts.

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Au-delà des fonctionnaires, même si la règle est le respect de la liberté syndicale avec comme corollaire la possibilité de faire appel à des moyens légaux permettant de faire valoir ses droits parmi lesquels le droit de grève, depuis 1983, le droit de grève peut être limité voire purement et simplement réfuté dans certains services.

La commission parle de «services essentiels». Elle vise uniquement les services essentiels «au sens strict du terme» c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des gens et où des restrictions du droit de grève, voire une interdiction, peuvent se justifier moyennant des garanties compensatoires. (BIT 1983 b & 214).

Le BIT n’a pas souhaité donner une liste précise desdits services mais en cite quelques-uns à titre indicatif : secteur hospitalier, services d’électricité, d’approvisionnement en eau, services téléphoniques, contrôle du trafic aérien, entre autres.

Par contre, le comité de la liberté syndicale estime que cela dépend des conditions spécifiques de chaque pays. En conséquence, un service considéré comme non essentiel peut le devenir sur simple décision administrative si la grève dépasse une certaine durée ou atteint une ampleur telle qu’elle risque de perturber l’équilibre social, l’ordre public. Il s’agit, en somme de « toutes les activités que le gouvernement juge approprié d’y inclure » ou « de toutes les grèves qu’il juge susceptible de nuire à l’intérêt général ou au développement économique. »

Il s’agit, au final, dans le domaine des relations du travail, de la recherche d’un équilibre entre ce qui serait une limitation abusive du droit de grève et le respect des droits des citoyens.

Il est heureux qu’un haut conseil du dialogue social ait été institué au Sénégal. Voici donc un chantier important pour lui permettre de mettre à jour notre cadre juridique en ce qui concerne le droit de grève. Toutes les dispositions ci-devant ont été acceptées par l’OIT et sont en vigueur dans les pays les plus avancés au monde. Le droit de grève n’est pas un moyen de lutte dont la finalité consiste à atteindre les populations dans leur santé, leur sécurité ou à affecter le développement économique et social. L’OIT nous invite à être responsables de part et d’autre. Il est du devoir de notre État de s’atteler à appliquer les conventions internationales auxquelles il s’est engagé pour la préservation de la sécurité, de la santé des populations mais également pour que le développement économique et social du Sénégal ne soit pas hypothéqué, à savoir : définir des services essentiels, interdire ou limiter à l’image des pays les plus avancés a monde, le droit de grève dans certains services ou pour certaines catégories de travailleurs, offrir, subséquemment, une protection compensatoire aux travailleurs des services essentiels et nommer des membres d’un haut conseil du dialogue social impartiaux, objectifs et dignes de confiance qui ne seraient pas seulement des « sceptiques ou des cyniques » mus par leurs seuls intérêts corporatistes.

 

Youssoupha Diop

BP 3914 DAKAR

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