Lorsqu’on évalue le Sénégal au ‘’scandalométre’’ ou à l’’éthicométre’’-excusez des néologismes-, on ne peut manquer d’être sidéré ou d’être outré par l’ampleur de la gangrène immorale qui ronge notre pays, au point qu’on semble assister à une inversion ou à une perversion pour ne pas dire à une érosion des valeurs. Si jadis au Sénégal, les voleurs, les violeurs, les pervers bref les criminels faisaient profil bas lorsqu’ils avaient commis leurs forfaits, et que ces fautifs gagnés par la peur, le remords ou par la honte générés par le fardeau du regard social préféraient s’exiler ou se donner la mort pour ne pas déshonorer les siens afin de sauvegarder un minimum de réputation ou de dignité ; force est de reconnaitre qu’aujourd’hui les valeurs cardinales qui fondaient la société sénégalaise telles que la dignité, l’honorabilité, la réputation, la patience, la tempérance …sont entrain de s’affaisser comme un château de cartes devant la puissance de l’argent, l’appât du gain, le goût du pouvoir, l’amour du luxe. Le culte de l’honneur était tellement présent dans le Sénégal d’antan que dire à une personne ‘’je te donne ma parole’’ était l’équivalent de lui donner pour gage sa précieuse vie ou de mettre au défi son honneur, car celui-ci pour un homme de valeur est au-dessus de toutes les considérations matérielles à tel point que Shakespeare avait pu dire :
’’Tout homme attache de la valeur à la vie; mais l’homme de valeur attache à l’honneur une valeur plus précieuse qu’à la vie’’.
Aujourd’hui, le sens de l’honneur est quasiment absent du comportement de bon nombre de nos concitoyens et le respect de la parole donnée n’a plus aucun de droit de cité et cela de la part des plus hautes autorités de l’État championnes des dires et des dédires. Le mensonge, la traîtrise, la scélératesse sont tellement monnaie courante qu’être véridique apparait comme une anomalie. C’est d’ailleurs pourquoi la calomnie, la délation, sont érigées en règle de conduite .Pour cause à longueur de journée, la presse colporte des informations inexactes sur des personnes qui perdent à jamais leur dignité et leur honorabilité.
La tricherie, les magouilles, les combines malveillantes sont tellement banalisées que prendre la résolution de vivre selon la droiture devient un acte de déviance ou de défiance au sein d’une société gravement malade de ses élites politiques et de ses soi-disant guides spirituels. En effet, au sein d’un système maffieux, d’une administration rongée par la corruption, le détournement récurrent ; vouloir vivre selon l’éthique et le sens du patriotisme devient un frein pour sa carrière voire un risque pour sa vie, car des forces obscures, ’’ des charognes’’ macabres sans vergogne travaillent à décourager toute tentative de déverrouillage et de mise à nu d’un système de partage illicite des deniers publics. Ces administrateurs et cadres, souvent plus fortunés que les vaillants entrepreneurs, sont même capables de vendre leurs âmes au diable pour protéger leurs sources de revenues illicites .Il suffit d’observer le train de vie plus qu’élevé de certaines catégories de fonctionnaires, de scruter les biens matériels qu’elles détiennent dans un pays aux maigres ressources ,pour comprendre que l’accumulation de biens matériels a pris le pas sur le soucis du respect du bien commun ou de la construction nationale .
Ce qui est révoltant, c’est moins les crimes et les violations flagrantes de la loi que le traitement de faveur que ces bandits hauts perchés au niveau des plus hautes sphères de l’`État reçoivent en prison et l’impunité complice dont ils bénéficient de la part de la justice . Ces personnes criminelles, drapées du manteau de la célébrité, protégées par des lobbies politico-religieux et affairiste, adulées par une foule aveuglée par l’ignorance, saoulée de musique, de lutte et de danse; narguent constamment les lois du pays et n’hésitent pas à s’accorder un semblant de virginité morale, une illusoire renaissance publique à coup de rhétoriques ou de campagnes de séduction médiatique que des scandales sexuels et financiers avaient sérieusement entamé.
Peu importe le style de vie douteux que certaines célébrités mènent où un niveau d’enrichissement fulgurant que connaissent ces stars arrivistes à la fortune injustifiable ; elles bénéficient toujours du soutien sans faille d’opportunistes ,de troubadours ou de laudateurs accrochés à l’idée que l’argent n’a pas d’odeur aussi longtemps qu’il permet d’ouvrir les portes de la réussite sociale .Sans état d’âme ,les artistes, les promoteurs de lutte s’empressent d’organiser des événements mondains, de les faire parrainer par des hommes politiques ,par des fortunés sortis de nulle part ou même paradoxalement par des personnalités religieuses rien que pour amasser de l’argent sans peine. Nos artistes, nos musiciens et des célébrités ne se gênent plus d’ailleurs à faire de leurs productions musicales une litanie d’éloges sur des gens nantis au point que la création artistique devient de plus en plus médiocre au profit d’un giottisme mercantiliste à peine voilé. D’autres ‘’artistes’’ sans scrupule aucune n’hésitent plus à aller courber l’échine devant le président gambien Yaya Djameh pour profiter de ses largesses ou de ‘’sa générosité’’ fruit des sacrifices de son peuple meurtri par une répression implacable.
Le signe le plus symptomatique de cette perversion morale, c’est le rapport quasi pathologique que des guides religieux entretiennent avec l’argent, la femme, le luxe et le pouvoir. Sous couvert de servir la religion ses prétendus marabouts à la moralité douteuse se servent de la religion au point de lier et de délier des alliances avec le pouvoir en vigueur au gré de leurs passions charnelles, et telles des girouettes, ils suivent le vent des avantages et des privilèges que pourraient leur octroyer les autorités politiques entrainant dans leur nomadisme vicieux une horde de fidèles déboussolée par la méconnaissance de la science religieuse.
Que dire du mutisme ou de la mutation de certains acteurs de la société civile qui dans un passé récent combattaient avec vigueur les violations des droits des citoyens et le tripatouillage de la constitution de l’ancien régime, mais aujourd’hui ils sont devenus de fervents défenseurs du régime actuel au point de cautionner toutes ses dérives anti-démocratiques(interdiction de marche, condamnation d’opposants selon des motifs légers, non respect des règles élémentaires de passation de marché, monopolisation des médias publics, gestion clanique … ). Bon nombre d’ organismes non gouvernementaux et de partis politiques au nombre sans cesse grandissant, sous prétexte qu’ils travaillent pour le bien du peuple, utilisent leurs organisations comme des moyens de pression et de tremplins pour s’offrir une visibilité publique afin de bénéficier des privilèges du pouvoir.
Nos politiques ne sont ni de gauche ni droite, ils ont aujourd’hui divorcé avec les idéologies telles que le socialisme, le libéralisme, le communisme, ils ne sont en réalité plus mus par des convictions doctrinales si on observe les alliances contre-natures qu’ils nouent sur le dos du peuple et surtout de la facilité avec laquelle ils transhument vers le parti au pouvoir. Au fond, le seul objectif de la pléthore des formations politiques au-delà de leurs rhétoriques, de leurs querelles idéologiques de façade, est de leurrer le peuple pour accéder au pouvoir et s’accaparer ainsi des rares ressources du pays.
En un mot, le constat est amer, toutes les entités du pays censées défendre les valeurs religieuses, morales, démocratiques sont aujourd’hui perverties par l’amour des privilèges et du pouvoir, le goût du luxe. Il reste maintenant à espérer que les rares personnes de valeurs du pays vont enfin prendre leur responsabilité et leur courage à bras le corps en s’offrant en exemple de droiture en face d’un peuple sevré de modèles de moralité ,en faisant entendre leurs voix à défaut de s’engager socialement ou politiquement, en faisant comprendre à la masse la primauté du savoir sur l’avoir, du mérite et du travail sur le favoritisme et la facilité , de la dignité et de l’honneur sur la cupidité et indécence morale, du patriotisme sur l’égoïsme pour freiner cette marrée perverse qui submerge le Sénégal, sans cela le naufrage moral sera irréversible et lourde de conséquence pour l’avenir de notre nation.
Ciré Aw
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