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Le Patriotisme Politique à L’épreuve De La Vieille Classe Politique Sénégalaise

De la même manière, comme le démontrait l’épistémologue français Gaston Bachelard, qu’un scientifique habitué à une certaine investigation routinière invente difficilement des lois, de la même façon, un homme politique moulé dans une certaine tradition politique sclérosée est moins enclin à porter des idées novatrices capables d’impulser un changement salutaire pour son peuple. Appliquant ce constat à la réalité politique sénégalaise, on se rend vite compte que la plupart des acteurs politiques qui sont au pouvoir ou dans l’opposition sont nourris à une certaine tradition politique polémiste et partisane aux antipodes des valeurs éthiques et républicaines. Leurs sens de l’Etat est si lacunaire, voire inexistant qu’on se demande comment le peuple a pu leur accorder son crédit au point de leur confier sa destinée.

Le Président du Conseil Mamadou Dia, pour avoir voulu rompre avec la racaille politique et la féodalité qui s’étaient accaparées des ressources du pays,  avait entrepris une opération coup de poing consacrant le règne du mérite et de la compétence. C’est sans doute cette volonté d’assainissement  des mœurs politiques, cette rigueur  dans la gestion de l’Etat ou ce changement de paradigme politique en promouvant qui avaient précipité le patriote «Maodo» dans les geôles de Kédougou, ruinant ainsi son engagement citoyen et sa vision politique transgénérationnelle.

Le professeur Cheikh Anta Diop va aussi faire les frais (malgré son aura intellectuelle, il n’était que Maître de Conférence) de sa franchise politique et son encrage idéologique, par une marginalisation d’une classe politique atteinte de cécité historique et prospective. La vision politique de l’auteur de «Civilisation ou barbarie» semblait si avant-gardiste qu’il déroutait les acteurs politiques de son époque. Encore une fois, les convictions révolutionnaires du Pr Cheikh Anta Diop étaient plus moins anachroniques dans un contexte politique où l’amour de la patrie, la souveraineté culturelle et nationale n’avaient guère droit de cité. C’est comme si l’espace politique sénégalais n’aimait pas les patriotes iconoclastes, les porteurs de programmes, les hommes convaincus et dévoués à être au service exclusif de la nation.

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L’environnement politique au Sénégal donne l’impression d’être réfractaire aux citoyens sérieux, rigoureux, experts, compétents et déterminés à changer radicalement et positivement le sort de leurs compatriotes. Le paysage politique sénégalais est plutôt théâtralisé dans la mesure où ses acteurs y jouent une comédie où ils se transforment en gladiateurs, pour ne pas dire en lutteurs experts en «galgal» ou en croque-en-jambes. Tantôt ils deviennent des bouffons amuseurs publics spécialistes de discours creux et des promesses fantaisistes frisant le ridicule.

Dans ce concert de bouffonneries politiques, les meilleurs acteurs s’octroient les faveurs du peuple devenu un spectateur abusé et médusé par ce cirque dont les virtuoses de l’acrobatie verbale, les as de la supercherie programmatique volent la vedette aux politiques honnêtes et ambitieux à l’image du Professeur Ibrahima Fall et de l’inspecteur des impôts déchu Ousmane Sonko. Ces derniers, en dépit de leur dévouement, de leur expertise, de leur probité et de la pertinence de leurs offres politiques ne séduisent que les citoyens avertis et n’enchantent point les masses populaires plutôt habituées au tintamarre des meetings plus argentivores et spectaculaires que salutaires.

Cette façon inélégante de faire de la politique est marquée par des tripatouillages récurrents de la Constitution plutôt déconsolidants que consolidants, pour paraphraser Ismaël Madior Fall, actuel ministre de la Justice surnommé par ses détracteurs «tailleur constitutionnel» pour sa tendance à interpréter certains aspects de la loi fondamentale ayant trait au parrainage, à la prolongation du mandat présidentielle en faveur du pouvoir en place. Ainsi le système politique du Sénégal fait triompher la partisannerie sur le patriotisme, l’intérêt personnel sur l’intérêt du peuple, l’opportunisme froid, le goût du profit sur le devoir civique. Pour la politique à l’ancienne, ce qui compte, c’est la rhétorique ou le beau discours, la démagogie ou les promesses farfelues et non l’élaboration d’un programme politique sensée, raisonnable et réaliste.

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Les politiciens sclérosés sont prêts à tout pour accéder au pouvoir ou pour occuper un poste, quitte à vendre leurs âmes au diable ou à monnayer leurs dignités et leurs honneurs. Ils excellent dans l’art de dire et de se dédire sans vergogne, ils sont prompts à mystifier le peuple à coups de paroles religieuses sans en  croire un seul mot. Ils n’hésitent pas à s’attaquer violemment à leurs détracteurs non pas par la force de ses arguments, mais par les arguments de sa force.

Les politiciens de métiers ont une aversion maladive pour les personnes expertes ou compétentes et n’aiment pas avoir une opposition même constructive, ils préfèrent s’entourer d’intellectuels malhonnêtes ou d’expert véreux malléables à souhait. Pour l’homme politique de la vieille école, le seul horizon à entrevoir est celui des prochaines élections, la vision politique à long terme ou les intérêts de la prochaine génération ne sont pas sa tasse de thé. C’est une personne dont l’impulsivité est à fleur de peau, dont l’arrogance est démesurée, dont surtout les agissements tournent autour des prochaines échéances électorales.

Nos «bêtes» politiques maniant à merveille «la ruse du renard et la force du lion», comme l’enseignait Machiavel, ne sont guère embarrassées par les complaintes assourdissantes du peuple ; elles sont plutôt sensibles à des querelles de positionnement politiques ou à convoiter des postes électifs ou administratifs juteux. Alertes à participer à des rencontres folkloriques quand il s’agit de redorer leurs blasons de mystificateurs populaires, nos politiciens invétérés traînent pourtant les pieds lorsque vient le moment de passer à l’essentiel ou de prendre en charge les besoins cruciaux du peuple. Ils accordent une priorité obsessionnelle à des projets visibles crevant l’œil du citoyen lambda pour donner l’impression qu’ils travaillent pour le peuple, alors que ces ouvrages-champignons, colmatés, fruits d’un endettement colossal, ne sont qu’une occasion de s’enrichir sur le dos des contribuables.

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Il convient pour toutes ces raisons d’expérimenter une nouvelle offre politique dont le préalable est d’apporter un véritable coup de balai aux vieilles et contre productives pratiques politiques orientées vers le culte de la personne (le chef de parti et ou le chef de l’Etat) et non pas sur la validité d’un programme politique. Il est plus qu’urgent, à l’orée des prochaines échéances électorales, de rompre avec la politique-spectacle caractérisée par le folklore, la corruption et l’incivisme afin de renouer avec la politique-programme fondée sur une offre politique raisonnable et réaliste.

 

Ciré AW

Professeur de philosophie

Ciré AW

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