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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

De Cette Presse Qui Se Veut Victime, Jamais Responsable

« Si le Sénégal avait une bombe nucléaire, nos journalistes en dévoileraient le code », a dit Daouda Sow depuis Stockholm.

Il est reproché successivement à deux journalistes la publication d’un article sapant le moral des soldats Sénégalais et la violation de l’instruction en publiant les procès verbaux dans l’affaire Thione Seck. L’univers médiatique sénégalais est teinté de sensationnalisme, d’accusations répétitives et de commentaires tendancieux. Au-delà du simple aspect punitif, le piètre niveau de professionnalisme des journalistes affecte leur mission de quête de la vérité dans le dispositif institutionnel national.

Auteur du livre « Le Sénégal sous Wade : cahiers d’une démocratie sans démocrates », Alassane Khodia Kitane décrie sèchement les rapports entre la presse, les citoyens et le pouvoir politique : « Cette aberration politico-médiatique doit être arrêtée sous peine de tuer la démocratie au lieu de la servir. L’analphabétisme, la crédulité de quelques uns, le chantage politique et la tendance humaine à consommer les scandales ne doivent plus être exploités pour se sucrer sur le dos du peuple. »

Ne serait-ce que pour s’assurer de l’application des règles du jeu démocratique, les pouvoirs publics doivent veiller au respect des institutions et des libertés individuelles. Malheureusement, le manque d’éthique des journalistes et la recherche effrénée de scoop justifient l’opportunité et la gravité des sanctions. Il revient aux professionnels de la presse sénégalaise de veiller et de s’engager en priorité au respect des principes déontologiques. Il leur faut gagner le pari de la crédibilité dans l’exercice de leur profession avant de réclamer une quelconque discrimination positive.

1. L’orientation politique des organes de presse

Aussi bien l’opposition que la mouvance présidentielle cherche à orienter et à contrôler l’information disponible. La presse sénégalaise est devenue un acteur du jeu politique au lieu d’être, d’abord, un témoin autonome équidistant des positions et agencements politiques. Le climat de suspicion entretenu dans le milieu journalistique révèle l’orientation politique quasi généralisée des organes de presse sénégalais.

En décembre 2013, le SYNPICS, la presse étrangère et la presse en ligne ont refusé de prendre part à la cérémonie de vœux du nouvel an au palais présidentiel. Ils ont expliqué ce refus par le comportement déloyal et la conduite partisane du président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal(CDEPS), Madiambal Diagne. Ils lui ont reproché ses affinités avec le pouvoir et ont contesté les « faveurs discriminatoires » qui lui sont accordées. « Bon nombre des journalistes au Sénégal sont manipulés. Chaque journaliste a ses hommes politiques. Chaque homme politique a ses journalistes qu’il manipule. Je me fonde sur ma connaissance objective pour l’affirmer », avait déclaré l’avocat Demba Ciré Bathily sur les ondes de la Radio Futur Média.

Certes, les médias ont contribué à l’émergence d’une conscience citoyenne et ont joué un rôle déterminant dans la transparence des scrutins de 2000 et de 2012. Malheureusement, cet engagement ne s’explique pas par la seule qualité de la presse sénégalaise. Il s’agit là d’une presse à scandales qui bafoue sans cesse les normes et principes journalistiques prescrits par la convention collective des journalistes du SYNPICS et par le Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie (CRED).

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Les journalistes sont souvent tentés de relayer, moyennant une rétribution financière, la volonté des formations politiques et autres groupes d’intérêts qui convoitent l’attention du public. Condamné à trois ans de prison pour avoir soutiré de l’argent à une notaire, le journaliste Mamadou Ndiaye affirmait, sans convaincre les juges, avoir partagé le « butin » avec 4 autres journalistes d’organes de presse différent. Ce journalisme de commande propre au rituel publicitaire reproduit également des contenus dictés, sans le moindre exercice critique.

Ce niveau élevé de corruption entame la crédibilité des organes de presse et relativise leur réelle contribution au droit du public à l’information. Leur posture de « chien de garde » en est tout aussi compromise sous les assauts répétés de la classe politique manœuvrant et instrumentalisant l’outil distingué de formation des opinions.

2. La reconversion des journalistes dans la sphère politique

La ligne de démarcation entre les sphères politique et médiatique se rétrécit sous l’effet des imbrications faites d’intérêts financiers et de pouvoirs de décision. Beaucoup de journalistes sénégalais rejoignent le terrain de la politique, portés par des affinités et autres connivences qui trahissent souvent leur manque d’éthique. Les nombreuses nominations de journalistes aux postes de responsabilité par le chef de l’État survenues après l’élection de 2012 le confirment sans nul doute. Il ne s’agit pas de dénier aux professionnels de la presse le droit de se “jeter en pâture” dans l’arène politique. Il est question pour chaque journaliste épris d’éthique de clarifier sa situation au préalable et d’afficher en toute transparence ses nouvelles affiliations, son revirement ou, en termes plus familiers, son « pantouflage ».

Le journaliste, Abdou Latif Coulibaly, pamphlétaire défavorable à l’ancien président, s’est rangé au côté du vainqueur après les élections de 2012. Tout à son honneur, il avait au moins reconnu son parti pris. En décembre 2011, il a déclaré que « c’est seulement dans notre pays que les journalistes disent souvent : moi, je ne suis d’aucun bord. Mais quand vous grattez dans le fond, ils sont dans un bord. J’ai choisi d’être dans le bord de l’opposition et pour le progrès démocratique ». Toutefois, il s’agit là d’un raccourci beaucoup trop périlleux. Certes, le journaliste ne peut rester insensible au contexte social, mais dans le traitement de la réalité, il doit, tout au long, questionner les faits.

Tel un retour sur investissement, le journalisme est souvent exercé comme tremplin pour accéder au pouvoir de décision. Selon le chroniqueur, Alassane K. Kitane, le procédé est récurent. D’abord, de connivence avec l’opposition, des journalistes « sans vergognes » diabolisent des adversaires politiques à partir des manquements et irrégularités observés dans la gestion des ressources publiques. Mais, une fois que le pouvoir change de mains, les mêmes journalistes changent de rôle et s’engagent dans la légitimation inconsidérée de la mal gouvernance dont la dénonciation leur a pourtant servi d’ascension politique.

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Pour autant qu’il ne se serve pas de son statut pour imposer une légitimité indue, il est tout à fait acceptable qu’un journaliste se convertisse en homme politique. Dans le contexte sénégalais, il est davantage question de confusion dans les rôles de journaliste et d’acteur politique. Cette confusion est souvent entretenue dans le seul but de manipuler l’opinion sous couvert de la neutralité supposée des professionnels de la presse. Par ailleurs, la société exerce une pression indue sur la presse qui la pousse souvent à la complaisance.

3. L’autocensure journalistique

La société sénégalaise soumet les médias à une exigence qui entraine une autocensure de fait. Les journalistes s’emploient à respecter un « code tacite de conformisme social » au mépris des règles déontologiques et des libertés démocratiques. Il s’agit de la difficulté à soulever les questions qui traitent de l’islam et plus particulièrement des familles religieuses. Il suffit de donner une connotation religieuse notamment confrérique à une activité politique pour dresser le bouclier contre d’éventuelles critiques de la part des professionnels de la presse. Ndiaga Loum, chercheur à l’Université du Québec en Outaouais pose le problème en ces termes : « la question étant de savoir si le journaliste est prêt à remettre en cause un héritage culturel qui tire sa justification de la religion, même s’il le perçoit comme un obstacle à la démocratie ».

Dans un entretien accordé au quotidien Walfadjri, un citoyen a laissé entendre que le soutien d’un religieux au président de la République est motivé par les privilèges que lui accorde le chef de l’Etat. Aussitôt, des disciples du guide religieux ont envahi les locaux du groupe de presse, Walfadjri. Ils ont impunément blessé des employés et occasionné des dégâts matériels considérables. De tels scénarios font que la menace de représailles et de discrédit social maintient les journalistes dans une situation d’instabilité et d’insécurité et finit par les empêcher d’exercer leur métier en toute liberté. En totale contradiction avec les lois nationales protectrices de la liberté d’opinion, cette intimidation latente pousse à l’autocensure. Les efforts consacrés à la valorisation de la fonction journalistique ne peuvent faire l’économie du combat citoyen contre ces règles tacites. Il y va de la clarté du jeu démocratique, condition nécessaire à la libre circulation des idées.

4. Les défis d’affirmation de l’indépendance de la presse sénégalaise

Au Sénégal, le clivage public et privé des médias ne donne pas une indication claire du degré d’indépendance de la presse. Certes, l’indépendance conceptuelle confère aux médias privés la possibilité de choix éditorial. Malheureusement, la précarité financière finit toujours par les rattraper et les confiner dans des conflits d’intérêt récurrents. Une bonne partie de la presse privée s’inscrit systématiquement dans la controverse, de connivence avec l’opposition politique alors que les médias d’État consacrent une bonne partie de leurs programmes à l’action du gouvernement et particulièrement à celle du chef de l’État pour en assurer la promotion.

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De cette dualité incongrue, les normes essentielles d’objectivité et d’impartialité dans le traitement de l’information sont sacrifiées sur l’autel des intérêts partisans. Pour avoir invité un responsable politique de l’opposition dans un programme de sensibilisation des jeunes sur les risques liés au tabac, Amadou Diégane Sarr, producteur extérieur à la Radio Télévision du Sénégal(RTS), a vu son émission retirée tout bonnement. Interrogé sur cet incident, il livre un témoignage sans appel. « Je ne peux pas confirmer qu’il y a eu censure. La bande annonce est passée une fois et, par la suite, ils m’ont dit que le directeur devait d’abord confirmer ou valider ce programme. »

Sans prendre la juste mesure de leur responsabilité dans la piètre qualité du service public de l’information, les journalistes se libèrent de tout blâme, de tout reproche. Ils dénoncent souvent les écarts qui existent entre les garanties juridiques d’indépendance et les obstacles à une liberté d’expression effective. Cependant, la charge de faire respecter le droit des citoyens à l’information n’incombe pas seulement aux décideurs.

Quand les journalistes s’autocensurent en cachant ou en déformant des informations pour des intérêts égoïstes ou par élan conformiste, ils portent la responsabilité des disfonctionnements. La veuve du magistrat Sonko, ancien juge au conseil constitutionnel, a expliqué à quel point son défunt mari a souffert du lynchage médiatique portant sur un traitement salarial destiné à le corrompre. Elle a révélé que son mari avait pris la peine de soumettre au journaliste, Madiambal Diagne, son bulletin de salaire pour démentir de telle rumeur dans le contexte pré-électoral de 2012. Mais, c’était sans compter avec la tendance grégaire des journalistes, enclins au dénigrement urbi et orbi.

Le manque criant de professionnalisme condamne la qualité de l’information disponible et rabaisse le niveau de crédibilité des journalistes. Il suffit de lire les commentaires sur les articles publiés par les journaux en ligne pour s’en convaincre. Le niveau d’instruction alarmant des journalistes, leur manque de rigueur jusqu’à la qualité du français sont pointés du doigt par les lecteurs.

 

Birame Waltako Ndiaye

waltacko@gmail.com

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