Depuis plus de trois ans, un nuage de fumée s’est abattu sur notre pays et s’épaissit de plus en plus,
au fur et à mesure que l’on s’approche de la date fatidique de vérité qu’est 2017 : il ne cesse d’assombrir les horizons et réussit ainsi à faire oublier l’essentiel. Sa dernière manifestation date du jour de la korité où, en envahissant la Grande Mosquée de la Capitale, il a pu empoisonner le sermon de l’Iman ratib et entrainer le tolé désapprobateur général qui l’a sanctionné.
Il s’agit de la réduction du mandant présidentiel de 7 à 5 ans, une des promesses de campagne de l’actuel Président de la République.
En réalité, quel impact la réduction ou non de la durée du mandant présidentiel peut-elle avoir sur la réalité de la rupture réelle qui était attendue de la victoire des forces de progrès sortie des urnes le 25 mars 2012 ? Dans l’histoire constitutionnelle de notre pays, combien de fois a-t-on manipulé la disposition portant sur la durée du mandat présidentiel ? Quels résultats positifs a-t-on enregistré suite à ces différents changements ?
La rupture tant souhaitée par l’électorat, tel qu’il l’a clairement exprimé par deux fois, en 2000 et en 2012, n’est guère attendue d’une réduction ou non de la durée du mandat présidentiel, mais d’une reforme en profondeur de la gouvernance constitutionnelle correspondant à une avancée significative par rapport au passé et à l’existant.
En matière institutionnelle, le Sénégal souffre aujourd’hui d’une maladie dite« Présidentialite » qui l’empêche d’emprunter les voies réelles d’un développement indépendant, au bénéfice de ses fils et filles.
Ce dont souffre, le plus notre pays, c’est le décalage évident entre les transformations intervenues dans la société et l’immobilisme de ses institutions de 1963 à nos jours. Les institutions censées conduire l’évolution de la société marquent le pas par rapport au mode de vie des Sénégalais qui change au rythme de l’évolution du monde.
Ceux qui incarnent ces institutions, ceux qui nous gouvernent, ne prennent pas conscience de la réalité de ce décalage. Les délices du pouvoir les empêchent de se rendre compte que le Sénégal de 2015 n’est plus celui de 1963. Pourtant, le Sénégal a changé, profondément changé.
Sa population a été multipliée par quatre en passant de trois à douze millions et demi. Avec une urbanisation poussée, une éducation améliorée, de nouvelles habitudes de consommation accrues, une ouverture sur le reste du monde développée avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et par l’intermédiaire des medias et des chaines satellitaires, des Sénégalais qui voyagent beaucoup à travers le monde.
Tous ces changements intervenus depuis 1963 ont donné un Sénégalais nouveau qui exige de plus en plus sa participation la plus large possible aux décisions qui le concernent.
Pour illustrer, la population rurale est passée de 80% de la population totale à 57% aujourd’hui. Le Sénégal compte 13.000 écoles et 1800 collèges et lycées. De 90.746 candidats au Baccalauréat de 2012 ce nombre est passé à 146.261 en 2015. Le nombre de ses étudiants est passé de 24.774 en 2001 à plus de 150.000 aujourd’hui, nombre qui dépasse la population de certains départements du pays. Le nombre de ses bacheliers est passé de 9.000 en 2000 à plus de 28.000 en 2010, de 30.000 en 2012 à 40.000 en 2014.
Le Sénégal a connu des secousses telluriques qui ont joué un rôle indéniable d’accélération de son évolution historique : 1968 ; 1988 ; 2011 et deux alternances en 2000 et 2012.
Une société dynamique animée par un peuple entreprenant et combatif a fait du Sénégal ce qu’il est en 2015.
Ce dynamisme contraste avec l’immobilisme qu’affichent les institutions.
Contrairement à l’apparence, nos institutions sont sclérosées. Nous continuons de vivre sous le régime présidentiel mis en place depuis Senghor (07 mars 1963) ; la Constitution du 22 janvier 2001 n’y a rien changé.
Le Parallèle des deux Constitutions donne respectivement aux articles cités:
« le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il détermine la politique de la Nation. » (articles 36 et 42)
« le Président de la République nomme à tous les emplois civils » (articles 38 et 44) ;
« le Président de la République est responsable de la défense nationale. Il préside le Conseil supérieur de la défense nationale. Il est le chef suprême des armées ; il nomme à tous les emplois militaires et dispose de la force armée »(articles 39 et 45)
« le Président de la République nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions » (articles 43 et 49). Ceci dans les textes.
Dans la pratique – régime politique oblige- les présidents ont eu le même comportement. A l’observation, aucun changement n’est noté.
Ils ont continué d’assumer le rôle de dirigeant de leur parti politique, ont refusé le règlement, par la voie légale, du financement des partis politiques, ont observé des comportements autres que républicains dans la pratique de leur gouvernance.
Ainsi Senghor a eu sa griotte Yandé Codou SENE, Abdou DIOUF son griot El Hadj Mansour MBAYE, Abdoulaye WADE son griot Abdoulaye Mbaye PEKH et Macky SALL son griot Farba NGOM. Chacun a eu aussi son slogan pour meubler ses mandats et endormir le peuple en le tenant en laisse.
SENGHOR a eu sa « détérioration des termes de l’échange », Abdou DIOUF ses NPI et NPA (Nouvelle politique industrielle, Nouvelle politique agricole), Abdoulaye WADE sa GOANA et Macky SALL son PSE.
Les résultats sont les mêmes et le resteront tant que le régime politique demeurera un régime présidentiel néocolonial, un régime politique au service du Capital étranger, au détriment de l’intérêt national qui ne peut être garanti que par la mise en œuvre d’une politique d’accumulation d’un capital véritablement national.
La durée du mandat présidentiel dans le cadre du régime présidentiel néocolonial n’est donc pas l’essentiel, qu’elle soit de 5, 7, 10 ans ou plus, à elle seule, elle n’offre aucune garantie de succès dans la politique de développement économique, social et culturel que nous proclamons depuis 1960, date de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale.
Les dimensions données à la réduction du mandat de sept à cinq ans rendent suspecte la démarche et cachent un désir profond de brouiller les cartes pour faire oublier la rupture que tous les républicains et démocrates attendent avec impatience depuis leur éclatante victoire du 25 mars 2012.
Le Sénégal serait-il une République sans républicains et une démocratie sans démocrates ? N’eut été son électorat, la réponse serait absolument négative. Par deux fois, en effet, en 2000 et 2012, cet électorat a démontré son véritable statut républicain et démocratique en sanctionnant les pouvoirs en place, en manifestant sa volonté réelle de changement radical, de rupture avec l’existant pour l’avènement d’un Sénégal nouveau. Et par deux fois il a été trahi par celui qui avait bénéficié de la majorité de ses suffrages par la voie des urnes. Les élus ont reculé devant l’ampleur des tâches à résoudre et la gravité de la rupture qui devait les sous-tendre.
Ils ont renoncé à leurs promesses de campagne en se contentant, par les voies de la transhumance, de reprendre les mêmes et de recommencer.
La réduction du mandant présidentiel de sept à cinq ans est bien une promesse de campagne électorale. Mais elle n’est pas la seule promesse du candidat Macky SALL. En matière d’institutions, il en a tenu beaucoup d’autres, en des moments et des lieux différents.
D’abord au sein de la coalition Benno Siggil Sénégal (BSS)- Macky a adhéré à BSS par le biais de l’ICR/Benno Wallu Askanwi (Initiative Citoyenne pour la République) qui a fusionné avec le Front Siggil Sénégal pour donner Benno Siggil Sénégal. Son parti l’APR, dans le document intitulé : « Candidature unique de l’opposition : Avantages et inconvénients. » qu’il a produit lors des travaux préparatoires de l’élection présidentielle de 2012, avait porté cette appréciation sur BSS : « la sagesse politique collective qui a présidé à sa naissance et qui lui a permis de remporter une large et historique victoire sur le pouvoir, lors des locales du 22 Mars 2009, lui fixe l’impératif de resserrer ses rangs et de définir des lignes politiques justes à même de lui garantir la victoire en 2012 ». La définition de ces lignes a nécessité la tenue de sept séminaires à l’hôtel NGOR DIARAMA qui ont enregistré la présence assidue de l’APR en la personne de son premier responsable, Macky SALL.
Le séminaire du 06 Juin 2010 a sanctionné ses travaux par une déclaration portant Accord consensuel stipulé de la manière qui suit :
« A la suite de ces échanges, Benno a abouti à un accord unanime sur la nécessité de la refondation de la République à travers, l’instauration d’un ordonnancement institutionnel. Cet accord se décline comme suit :
– Restreindre les pouvoirs du Président ;
– Renforcer les pouvoirs du Premier ministre, chef du gouvernement, pour lui faire jouer pleinement son rôle ;
– Rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire en renforçant particulièrement l’indépendance du judiciaire.»
Il y a lieu de souligner l’unanimité intervenue lors de la prise de la décision et bien rappelée dans la déclaration finale des travaux du séminaire. D’où l’accord manifeste de l’APR et de son Chef. C’est bien aussi le lieu de rappeler l’agenda adopté en définitive par les séminaires de BSS concernant la conduite du pouvoir en cas de victoire. Il avait été retenu une phase de transition de trois ans pour l’installation des nouvelles institutions conformément aux orientations adoptées et la poursuite du mandat de cinq ans par le Président de Benno qui ne devait pas se représenter à la fin de ce mandat.
Aucune décision d’instance de l’APR n’étant intervenue jusqu’ici portant soit sur la sortie de la coalition BSS, soit sur la dénonciation des conclusions des différents séminaires préparatoires de la présidentielle de 2012, on est bien en droit de dire que ces différents accords peuvent bien avoir leur place dans la panoplie des promesses de campagne du candidat Macky SALL, membre à part entière de BSS.
Il en est de même de ses engagements vis-à-vis des Assises nationales.
Il a signé – sans aucune réserve, contrairement à la rumeur intentionnellement distillée dans l’opinion et démentie par le Président des Assises – la Charte de gouvernement démocratique des Assises –, dont la fiche d’adhésion conclut en ces termes :
« (Je soussigné)… déclare par la présente, adhérer pleinement à la Charte de bonne gouvernance issue des Assises Nationales du Sénégal.
« Par cette adhésion, je m’engage également à respecter et à faire respecter les principes, valeurs, règles et mesures contenus dans la présente charte. »
A cet engagement solennel s’ajoute le discours public tenu par le candidat Macky SALL, entre les deux tours de la présidentielle, au siège et devant le Comité National Préparatoire des Assises. De vive voix il avait promis de mettre en branle le processus de mise en application des conclusions des Assises nationales dés qu’il sera élu. Promesse qui avait entrainé l’adhésion du peuple des Assises qui vota massivement pour lui, et lui garantit ainsi la victoire éclatante sortie des urnes le soir du 25 mars 2012.
Allant dans le même sens de la refondation de la République, il avait tenu ces propos dans l’entretien accordé à Nouvel Horizon n° 802 du 25 Novembre au 1er Décembre 2011 en disant : « je suis convaincu qu’avec la confiance des Sénégalais, nous allons rebâtir la République, dans ce qu’elle a de plus fondamental, c’est-à-dire l’Etat dans son fonctionnement le plus efficace. »
Ainsi les promesses en matière de reformes institutionnelles du candidat Macky SALL étaient-elles nombreuses. Pourquoi alors ne privilégier que celle portant sur la réduction de son mandat ? Pourquoi le silence de mort qui s’est installé depuis le dépôt des recommandations des travaux de la CNRI et de son avant projet de Constitution ? Pourquoi la période de transition de trois ans de reforme et d’installation des nouvelles institutions fixée par les travaux des séminaires de BRSS n’a-t’elle pas été respectée ? Pourquoi l’ « engagement à respecter et à faire respecter les principes, valeurs, règles et mesures contenus » dans la Charte de bonne gouvernance démocratique n’a-t’il pas été tenu jusqu’ici ?
Nous sommes dans la quatrième année de l’alternance et nous attendons toujours. Et la CNRI a déposé ses recommandations depuis plus d’un an. Et à l’horizon aucun signe n’est visible pouvant pousser à l’optimisme. Qu’on cesse alors de nous tympaniser avec la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans.
La voie royale de sa solution réside dans la présentation, à la sanction du peuple, par voie référendaire, de l’Avant projet de Constitution de la CNRI après insertion d’un second paragraphe à son article 57 qui stipule que « le mandat du Président de la République est de cinq(5) ans renouvelable une seule fois consécutive. » Le second paragraphe pourrait être formulé de diverses manières dont celle-ci :
« Cette disposition est applicable au mandat en cours, issu du scrutin du 25 mars 2012 ». C’est par une disposition constitutionnelle que Abdoulaye WADE avait réglé la poursuite de son mandat de 7 ans dans l’application de la Constitution nouvellement adoptée avec une durée de 5 ans.
En ce qui concerne les promesses relatives à la Charte de gouvernance démocratique et aux conclusions des Assises nationales il serait pourtant injuste de ne faire porter la critique que sur Macky SALL seul. D’autant plus qu’il a pris le train des Assises en marche, bien après la fin de la tenue de ses travaux.
La critique doit aussi affecter ouvertement ceux qui partagent aujourd’hui le pouvoir avec lui et qui ont été pourtant les artisans actifs de tous les travaux et les rédacteurs attentifs des conclusions des Assises nationales.
Depuis plus de trois ans l’altitude qu’ils observent et continuent d’observer est largement éloquente pour convaincre du fait qu’ils ont jeté aux oubliettes tout ce qui a trait à la Charte et aux conclusions des Assises nationales.
Ils ont banni de leurs discours tout mot, tout concept, toute phrase, tout paragraphe qui peut rappeler, de prés ou de loin, ce qui peut ressembler à un quelconque aspect des conclusions des Assises. Ils observent un silence coupable qui traduit, à y regarder de plus prés, une forme déguisée de cette transhumance tant prisée par les temps qui courent dans notre pays. Une transhumance peut être pas spatiale, mais programmatique. Ils ont troqué les conclusions des Assises nationales contre le programme Yoonu Yokuté. Que n’ont-ils pas dépensé pour réaliser cette production, à nulle autre pareille, sortie des travaux abattus entre la séance d’ouverture du 6 juin 2008 et la cérémonie de clôture du 24 mai 2009 ? Ils se contentent aujourd’hui d’avoir réussi à réduire BBY en un Triumvirat qui gère de manière solitaire le pouvoir où chacun des trois à la charge de tenir ses troupes en bride sans avoir de compte à rendre. Une gestion qui exclut les organisations au profit d’individus chargés de discipliner les rangs au sein de leurs partis dans le but d’éviter toute agitation pouvant empêcher leur gestion du pouvoir en toute quiétude. D’où la source des contestations et rebellions ouvertes qui ont vu le jour dans certains de ces partis et qui iront crescendo.
Pourtant, à l’étape actuelle de l’évolution sociale du Sénégal, seule une politique, qui prend en charge le programme des conclusions des Assises nationales et qui s’engage à respecter et faire respecter les principes, valeurs, règles et mesures contenus dans la Charte, seule, cette politique est capable d’entrainer les ruptures historiques que le peuple attend depuis 2000, année de la première alternance.
Les Conclusions et la Charte des Assises nationales valent plus que 100 PSE.
C’est là que se manifeste toute la pertinence de la plateforme minimale de la« Confédération pour la Démocratie et le Socialisme » telle que amenée dans la résolution finale des Assises des forces de gauche du Sénégal tenues les 21 et 22 Février 2015 en ces termes : « Pour réaliser nos objectifs de conquête démocratique du pouvoir, de parachèvement de notre indépendance nationale et d’édification d’une République laïque, démocratique, sociale et citoyenne, nous irons en alliance avec tous ceux qui adhérent à notre plateforme minimale déclinée dans les quatre points ci-après :
- La confirmation de l’adhésion à la Charte de gouvernance démocratique des Assises nationales ;
- La bataille pour l’application effective des conclusions des Assises nationales ;
- L’application des recommandations de la Commission nationale de reforme des institutions (CNRI)
- L’adoption par réferendum de l’avant projet de Constitution proposé par la CNRI. »
C’est tout le peuple des Assises nationales, en alliance avec toutes les forces démocratiques, progressistes, de jeunes, de femmes, d’étudiants, de la classe ouvrière, des paysans qu’il faut mobiliser, organiser et préparer pour les prochaines échéances autour d’un candidat à l’élection présidentielle et d’une liste pour les législatives.
C’est dés maintenant qu’il faut s’y mettre en commençant par appeler à la tenue d’un forum de toutes les forces qui y croient pour jeter les bases d’une bonne organisation pouvant mener à la victoire.
Le moment est venu de battre en brèche la ruse des marchands d’illusions qui excellent, comme ledit le pertinent Boubacar Boris DIOP, dans « l’art de s’appuyer sur les aspirations des peuples pour les museler. »
Dakar, le 04 Août 2015
Alla KANE
Magum vaxoon naako xexoon naako