J’avais 13 ans quand j’allais à Saint-Louis en train. Un voyage merveilleux. Un train emprunté au cœur du bassin arachidier, dans cette ville sablonneuse et bouillonnante jadis capitale commerciale et arachidière.
Dans le sombre compartiment de fauteuils rougeâtres, nos bagages étaient suspendus au dessus de nos têtes. J’étais évasif. Joue collée à la vitre, je dévorais du regard le beau paysage de cette belle aube estivale. Par intermittence, j’apercevais à travers les premières lueurs du jour, des champs, des troupeaux en transhumance vers des prairies plus déterminantes, de braves femmes, bassines sur la tête, bébés au dos, revenant des puits lointains sous les premières émanations de lumières chaleureuses.
La remontée des vapeurs couvrait ces villages perdus au cœur du territoire. Des haltes, des cris, des sifflets des villes. Mes yeux captaient, mon cerveau enregistrait des noms : Mékhé, Pekess, Tivaouane, Kébémer…puis Lébar et son vieux pont ; et enfin Saint-Louis et son fleuve. Ce lit tranquille et paisible comme la promesse d’une félicité. Tout le décor était fait de «Téranga», toute la nature était en habit de «fanal». Au premier coup d’œil on l’admirait. Je ressentais une certaine fatigue qui imprègne tout mon être ; une soudaine lassitude envahissait mon corps. Le voyage fut long, la vitesse lente, les secousses multiples. Mais un trajet de bonheur, où nous glissions sur des lames d’acier lisses, fines.
Saint-Louis est la première capitale de l’Aof ; là où le fleuve se heurtant à la mer fait naître une langue de barbarie harmonieuse, d’une sublime vue bleutée. Serrements de freins, tangage, le long serpent métallique appelé à l’époque «Arigoni» s’immobilisa. La capitale du nord apparut dans toute sa splendeur.
Une mélancolie m’étreint aujourd’hui, en voyant la disparition complète du train dans le fabuleux paysage sénégalais. Les rails aux mains des ferrailleurs serviront à forger un fer léger pour nos demeures cossues, des fourneaux et «inedé» (couscoussier) pour nos couscous du soir. La régie des chemins de fer dort comme dorment les mécaniciens, conducteurs, contrôleurs et aiguilleurs. Il ne reste plus que ces vieilles bâtisses rongées et mystérieuses, ces quais silencieux et déserts.
Quel gâchis ! Je m’interroge toujours ; était-ce sagesse cette destruction du réseau ferroviaire ? Peut-on considérer un plan d’émergence et une éventuelle unité des Etats sous régionaux sans cet important moyen de transport ? Cependant que l’électricité peine, l’eau courante connait un débit mesuré, que des pans importants de notre économie sont contrôlés par la mythique France (Sonatel, Sde, Grands Moulins, Css, Eiffage, Autoroute, Sgbs, Total, Air France…) conspiration d’une élite locale complice d’une forme de colonialisme. L’âpreté des intérêts des politicards doit elle engloutir le juste héritage d’une population autochtone aspirant à une vie décente ? Notre indépendance porte le foulard d’une apparence républicaine, mais notre souveraineté reste aliénée.
Doit-on continuer à bazarder nos Etats dans ce vaste «louma» mondial où des hommes plus riches que des Etats détiennent la réalité du pouvoir et confisquent par conséquent la démocratie. « Askan Wi» ce vaillant peuple, hypocritement malmené par le discours quotidien des politiciens reste t-il une préoccupation majeure pour nos dirigeants dont le patriotisme est sujet à interrogation ? Etrange Sénégal où le meilleur voisine avec le pire, où la politique politicienne reste la vague d’où «surfe» une population majoritairement ignorante des enjeux économiques qui se posent à l’horizon du monde.
Je m’interroge et accuse cette classe politique successive à l’orgueil dominateur qui tente depuis des lustres de tisser un destin collectif d’un «commun vouloir de vie commune» qui lui échappe. Ces hommes d’Etat à l’égoïsme aveugle, aux discours pompeux, qui n’aiment guère les desseins ambitieux et dont la générosité ostentatoire n’a d’égale que leur vanité prétentieuse ; qui martyrisent leur peuple dans des grèves de la faim et des suicides sur le grand bleu. Mais demain fera jour et l’unité se fera. Le chemin de fer est un outil intégrateur et unificateur comme d’ailleurs les autorités. Pensez-y ! Citoyennement.
Abdourahmane Sèye
Sicap Liberté 3 Dakar