Il se mène une lutte sans merci dont l’enjeu est d’être le roi de l’arène social. Les lutteurs issus des différentes écuries politiques s’y affrontent. Tous les coups sont permis dans cette arène qui ne connait ni gauche ni droite. L’enfer des pauvres est invoqué pour justifier cette bataille électoraliste. Chacun a ses pauvres aux couleurs de son écurie politique et se fait bonne conscience politicienne. Ceux qui ont misé sur le bon lutteur sont indifférents car servis. Les autres bénéficient de miettes, transhument ou attendent les prochaines échéances électorales avec philosophie.
Plus celles-ci se rapprochent plus les lutteurs et leur écurie audacieux et même téméraires ne reculent devant rien quand ils flairent un profit électoraliste important. Il y a le grand combat Khalifa Sall de l’écurie PS contre Macky Sall de l’écurie APR. Il y a les autres combats. Petits ceux-là. Mais que ces combats soient grands ou petits, que le nguimb des lutteurs soit vert, marrons ou bleu, que la devise soit « Taxawu ndakaru » ou « Neddo ko banddoum »…c’est la même logique opposée à l’utilisation des ressources du social dans une perspective de sortie du sous-développement. Sur l’autel de la conservation ou de la conquête du pouvoir semi colonial sont sacrifiés les intérêts des populations.
Les Moutons de Macky Sall contre les mandats de Khalifa Sall
Le Sénégal d’avant 2012 a connu les moutons de Tabaski du ministre du développement social donnés à des bénéficiaires qui les récupéraient à bord de 4X4 pendant que les mandats de la Tabaski d’un montant de 250.000F CFA du député-maire étaient perçus par des bénéficiaires parés d’or. Le gouvernement de la deuxième alternance politique au Sénégal renforce le dépouillement de l’Action Sociale au profit du palais présidentiel. Le ministère de la santé et de l’action sociale dépouillé, dépouille ses structures déconcentrées en demandant aux gouverneurs de région de distribuer 500.000FCFA lors de la dernière Tabaski. Gouverneurs, préfets et sous-préfets ne se soucient pas de savoir si les deniers publics que l’Etat central donne aux collectivités sont utilisés à bon escient sur le plan social. Les peuples étant à la longue ce qu’en fait l’Etat central, la Ville de Dakar ferme la parenthèse ouverte en 2009 dans sa politique sociale. Les travailleurs sociaux redevenant pour elle ces techniciens de service dont on a besoin de la caution. Quel pain béni pour les communes ! Ce sont les cabinets des maires qui gèrent les fonds destinés au social.
Le social est un enjeu important pour les différents pouvoirs central et locaux et les différentes factions politiques. L’on a souvenance notamment des tiraillements pour le contrôle de l’Agence du Fonds pour le Développement Social entre ceux qui deviendront moins d’une décennie après président de la république et présidente du conseil économique social et environnemental.
La délégation générale à la protection sociale et à la solidarité nationale (DGPSN) a distribué 2.000 moutons à l’occasion de la Tabaski 2015. Elle dit qu’elle a une base de données. Mais c’est un secret de polichinelle que cette base de données est truffée notamment de clientèles de l’APR qui ont été enrôlées lors des deux premières phases du Programme National de Bourse de Sécurité Familiale (PNBSF). Lors de la 3e phase, dans les communes qu’ils ne dirigeaient pas, des responsables de l’APR ont exigé des quotas de bénéficiaires pré identifiés à enquêter. A Gueule-Tapée-Fass-Colobane par exemple, la responsable de l’APR avait demandé un quota de 50 bénéficiaires sur les 218 qu’il fallait identifier. Que s’est-il passé alors dans les communes dirigées par des maires APR ? La presse s’est faite l’écho des tendances minoritaires de l’APR qui ont dénoncé des tendances majoritaires de l’APR au sujet de la gestion des bourses de sécurité familiale (BSF). Est-ce cela la « nouvelle démarche de rupture et des changements de comportements des différents acteurs (consommateurs, producteurs, entrepreneurs, fonctionnaires, décideurs, acteurs et partenaires sociaux etc.) » nécessaire au succès du Plan Sénégal Emergent tel que décliné dans le chapitre II consacré à la « vision et orientations stratégiques du PSE » ?
APR contre AFP : bovins républicains contre oignons progressistes
La Ville de Dakar, à partir de 2009, avait responsabilisé les centres de promotion et de réinsertion sociale (CPRS), les structures déconcentrées de l’action sociale, du département de Dakar pour l’identification des bénéficiaires d’aides de Tabaski. Lors de la dernière Tabaski, les CPRS ont enquêtés des gens qu’ils n’avaient pas identifiés et parmi les bénéficiaires une bonne partie n’avait pas été enquêtée par le CPRS (au moins 25%). Parmi ces bénéficiaires plusieurs couples alors que d’autres familles vulnérables n’ont rien reçu. Certains ont dit que c’était leur statut de responsables de coordinations du parti socialiste qui avait fait d’eux des bénéficiaires. Certains bénéficiaires étaient en réalité des agents de la ville de Dakar qui pouvaient se retrouver avec plusieurs mandats sous des prête-noms. Cela ne s’arrête pas là. Certaines communes comme Gueule-Tapée-Fass-Colobane ont reçu 132 mandats. La commune de Grand-Yoff a eu à elle seule 1022 mandats d’au moins 40.000FCFA soit 40.880.000FCFA au moins. Il est vrai que la population de Grand-Yoff (près de 200.000 habitants) est plus importante que celle de Fass-Delorme (près de 70.000 habitants). Mais le niveau de pauvreté de Grand Yoff explique-t-il qu’elle ait près de 8 fois plus d’aides que la commune de Gueule-Tapée-Fass-Colobane dont elle est moins de 3 fois plus grande ? Qu’en est-il du traitement des 17 autres communes qu’englobe la Ville de Dakar?
Ce traitement discriminatoire n’est pas nouveau. Inutile de rappeler que Grand-Yoff est la commune de l’actuel maire de Dakar qui donne ces mandats. Qu’est-ce qui expliquerait un si grand déséquilibre entre la commune de Grand-Yoff et les autres? Ce traitement discriminatoire de la localité base politique de Khalifa Sall rappelle le traitement discriminatoire de Nguèniène base politique de Tanor. Est-ce ça « Taxawu Ndakaru » ? Ces pratiques de la Ville de Dakar se limitent-elles aux aides Tabaski ?
Le pouvoir central est au courant de ce traitement discriminatoire de Grand Yoff. Pourquoi se tait-il ? Pour deux raisons. Le pouvoir central, l’APR pour ne pas la citer, fait pareil. Le pouvoir central se tait aussi pour éviter que le débat politique ne se focalise sur ces questions de gouvernance démocratique étant donné que les idées politiques qui dominent le débat politique sont celles des partis politiques dominants.
Mais surtout comment expliquer le changement de pratiques de la Ville de Dakar entre le début du premier mandat (2009-2014) de l’actuel maire Khalifa Sall et maintenant (2014-2019) ? Ce retour s’explique à la fois par l’attitude du pouvoir central qui n’a pas opéré de rupture vers une gouvernance vertueuse, le naturel du parti socialiste et d’une partie des agents de l’administration municipale qui revient au galop, la proximité d’échéances électorales. Mais aussi et surtout l’effritement de l’autorité conjuguée des assises nationales et de la formidable mobilisation citoyenne qui impactaient notamment sur le Benno Siggil Sénégal de l’époque.
Préparation par l’AFP d’un plan B pour les prochaines législative
A l’occasion du dernier Ramadan 2015, La plus grande association de handicapés de la commune de Gueule-Tapée-Fass-Colobane avait reçu de la municipalité, la veille de la Korité, trois kits contenant chacun 1kg de sucre, 250g de lait, 500g café en guise d’aide à ses membres. En plus de ces 3 kits, un sac de riz de 50 Kg a été également donné à l’association. L’association avait restitué ces aides à la municipalité. L’association de handicapés et les démocrates de la commune étaient d’autant plus indignés de la politique municipale de Gueule-Tapée-Fass-Colobane que les conseillers avaient reçu chacun quinze (15) kits (2kg de sucre, 250g de lait, 500g café, 500g de dattes) qu’ils devaient donner à des familles vulnérables de leur quartier et 75Kg de riz pour eux (les conseillers municipaux). Quelle meilleure manière d’encourager l’entretien des clientèles politiques avec l’argent destiné à la population de la commune de Gueule-Tapée-Fass-Colobane sans discrimination d’ordre politique ? En tout cas, du riz s’est retrouvé au marché vendu par des conseillers municipaux. A l’occasion du Ramadan 2014, chaque conseiller municipal avait reçu un kit Ramadan constitué notamment de 150kg de riz par conseiller alors que quelques jours avant la municipalité n’avait pas pu donner un sous percé à des sinistrés victimes d’un incendie tout près du centre socio culturel de Fass-Delorme.
La municipalité de Gueule-Tapée-Fass-Colobane a également donné des mandats de 15.000FCFA à l’occasion de la Tabaski 2015. Le CPRS a été exclu du processus. Au moins 1.000 mandats ont été donnés. Chacun des 56 conseillers municipaux devant donner une liste d’au moins 15 bénéficiaires pour ces mandats. La plus grande association de handicapés de la commune qui compte en son sein plusieurs vulnérables parmi les plus vulnérables de la commune ne compte aucun bénéficiaire parmi ses membres dont le nombre est supérieur à cent (100). Au nom de quoi le maire d’une commune peut-il faire des représailles avec des deniers publics contre une association de handicapés qui critique légitimement la gestion sociale de la municipalité ?
N’allez pas croire que la commune ne donne des aides que lors du Ramadan ou de la Tabaski. Cette année, à l’occasion du carême elle a donné des aides de 10.000FCFA aux chrétiens vulnérables. Il faudra déterminer quel acte de la municipalité de Gueule-Tapée-Fass-Colobane est le plus grave. La non implication, encore, du CPRS dans la détermination des bénéficiaires ou la rupture de l’égalité des citoyens du fait d’une politique municipale qui selon que l’on est chrétien ou musulman donne une ou deux fois dans l’année d’une part et 10.000FCFA ou 15.000FCFA, des pommes de terres et des oignons d’autre part ?
Lors de la Tamxarit, la Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité a distribué 371 bovins. La marie de Gueule-Tapée-Fass-Colobane a donné des bovins à des imams qui les ont vendus à 3.000FCFA le Kg après les avoir dépecés. On ne sait même pas si c’est la population que la municipalité chercher à aider ou les mosquées qui sont subventionnées.
Que se passe-t-il alors dans les 556 autres communes et 41 autres départements du Sénégal?
C’est une ONG étrangère, Secours Islamique France (SIF) qui demande aux travailleurs sociaux sénégalais de lui identifier 35 bénéficiaires au moins par CPRS pour la Tabaski dans la région de Dakar. L’ignorance des travailleurs sociaux par le ministère de la santé et de l’action sociale et des collectivités locales font passer les couacs organisationnels de SIF, des turcs…pour moins que rien. Dans la commune de Gueule-Tapée-Fass-Colobane par exemple le CPRS a identifié les 35 bénéficiaires dont SIF avait besoin avec la commission sociale de la municipalité et les délégués de quartiers.
Taxawu Ndakaru contre Neddo ko Banddoum
L’absence de coordination – quoi de plus normal chacun devant gérer son business politicien dans la plus grande discrétion – aggrave la situation. Ainsi, des bénéficiaires, pas forcément les plus vulnérables, se retrouvent avec des aides de plusieurs institutions. Ainsi, à l’occasion de la Tabaski, des familles peuvent se retrouver à la fois avec 40.000FCFA de la Ville de Dakar, un mouton de la Délégation, 15.000FCFA et des pommes de terre et oignions de la commune de Gueule-Tapée-Fass-Colobane. Peut-être même qu’elles pourraient en plus recevoir un mouton de l’Ambassade d’Israël et cinq kilogrammes de viande de bœuf du Secours Islamique France. A qui profite cette situation ?
Quel lien entre ces aides et les 25.000FCFA de Bourse de Sécurité Familiale trimestrielle ? Rapport d’exclusion ou de complémentarité ? Quel accompagnement par les collectivités locales et l’Etat central de ces familles bénéficiaires de ces aides du fait de leur extrême vulnérabilité afin de les prendre de la situation où il est nécessaire de leur donner du poisson et de les amener à une autre situation où elles pêchent elles mêmes leur poisson ?
L’Acte III de la décentralisation n’explique pas tout. Il vient s’ajouter à la pression parasitaire exercée sur les fonds publics par les libéraux et les socio libéraux qui s’alternent sans alternative à la tête des pouvoirs central et local. C’est ainsi qu’on a pu voir le maire de la Patte d’Oie préférer donner 15 millions d’aides Tabaski en Septembre 2015 au lieu de payer le salaire à plus de 68 de ses agents. Ces derniers sont à leur deuxième mois d’arriéré de salaire.
La Ville de Dakar, les communes ont rendu publique leurs listes de bénéficiaires moins d’une semaine avant la Tabaski. Ces listes de bénéficiaires sont à établir dans le cadre de commissions regroupant plusieurs acteurs qui les finalisent deux mois à l’avance afin de vérifier qu’elles renferment des familles vulnérables et d’éviter les doublons.
L’essentiel de la politique sociale des collectivités locales se résume à ces aides dont on a vu l’utilisation politicienne. Si c’est ce qui a été fait depuis 1960, pas étonnant qu’aujourd’hui encore un sénégalais sur deux soient dans la pauvreté.
La politique sociale est caractérisée jusqu’ici au Sénégal notamment par une quasi amputation en privilégiant l’assistance conjoncturelle clientéliste. L’autonomisation durable, c’est trop compliqué face à la pression quotidienne des militants et des échéances électorales. Du coup, dans le social, le « bien » que les aristocraties politiques administrent ils le font très mal. Et le mal qu’ils pratiquent, ils le réalisent très bien.
Les travailleurs sociaux ne peuvent accepter d’être les bras armés de ce parasitisme auquel ils ne doivent aucunement donner leur caution technique. Ils n’ont pas le droit d’être indifférents, même sans y participer, à ce partage de « Bouki » qui tient lieu de politique sociale.
Les populations gagneraient à s’impliquer beaucoup plus dans le fonctionnement de leurs structures (commune, conseil départemental, structures sanitaires et sociales). Celles-ci sont en général confisquées par des aristocraties politiques et/ou civiles foulant aux pieds les principes de transparence, de redevabilité, de laïcité, de service public…Cette plus grande implication permettra l’élaboration d’une base de données consensuelle renfermant les familles vulnérables de la commune, une veille permanente pour une gestion démocratique des ressources qui leurs sont affectées…
Cette gouvernance anti démocratique ni sobre ni vertueuse des ressources du secteur de la santé et de l’action sociale exige des syndicats des travailleurs de la santé et de l’action sociale sinon l’institution du moins la priorisation en leur sein d’une commission spécialisée sur cette question. Cette structure intra et inter syndicale coordonnera la détermination de la situation de référence, le suivi de la réflexion, des revendications et des luttes pour une gouvernance et une gestion démocratiques et donc inclusives des structures et des ressources sanitaires et sociales par tous les acteurs auxquelles elles sont confiées. Ainsi, à partir de ce dernier trimestre de l’année, après chaque fête religieuse ou événement donnant lieu à des aides par les collectivités locales et l’Etat central, un rapport pourrait être rendu public. Rapport qui révélerait leurs pratiques et classerait les acteurs en fonction de leur gouvernance et de leur gestion. En plus de ces éléments relatifs à l’assistance conjoncturelle, ce rapport trimestriel public intégrerait les autres éléments constitutifs de l’Action Sociale.
Les organisations politiques progressistes qui militent pour un autre Sénégal qui passe par une transformation sociale ne peuvent se faire les complices ni de cette gestion ni du cours dramatiquement conjoncturelle dans laquelle est confinée la politique sociale. A cet effet, elles devront dénoncer ce parasitisme, soutenir les luttes des populations et des travailleurs. Et enfin accorder dans leur projet de société une place importante aux propositions pour une gestion différente de celles des libéraux et des socio libéraux. Une autre politique sociale est nécessaire.
Guy Marius Sagna
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