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La Lutte Contre La PauvretÉ Et L’incongruitÉ D’une Bataille De Chiffres

Appelons-le Mansour. Mansour habite avec sa famille dans la grande banlieue de Dakar. Il partage une concession avec 3 autres familles tout aussi démunies les unes que les autres. Mansour a été maçon, mais un accident du travail a entraîné la perte de son bras droit. Il n’a jamais reçu de compensation de qui que ce soit. Il ne sait même pas s’il a droit à quoi que ce soit. Mansour est analphabète. Tous les matins, Mansour quitte le domicile familial pour aller chercher de quoi mettre au moins un repas quelque modeste qu’il soit dans le bol familial. Maintenant, imaginez l’angoisse de Mansour quand il quitte sa femme et ses enfants. S’il rentre bredouille, sa famille sera privée de nourriture comme la veille. Pouvez-vous seulement imaginer cette angoisse au quotidien sans perspective de changement.

Maintenant, imaginons Aïssatou. Elle a 14 ans et vit dans une famille pauvre aux environs de Ourossogui. Son père vient de se faire voler son bétail et la police s’est révélée impuissante à appréhender les voleurs et à lui restituer son bien. La famille privée de son seul bien subit avec dignité les affres de la pauvreté. Se présente alors un parent éloigné âgé de 80 ans qui souhaite prendre Aïssatou en mariage. Imaginons la détresse de cette enfant à qui on impose un tel sacrifice pour tirer sa famille de la pauvreté. Il va falloir qu’elle arrête l’école, qu’elle enterre tous ses rêves d’élévation sociale, qu’elle rejoigne une famille polygame ou au mieux elle servira de boniche sans compter les grossesses précoces. On lui aura volé son enfance.

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Intéressons-nous à Samba. Samba est talibé et vit dans les rues de Kolda. Quand en fin de journée il n’a pas pu récolter suffisamment de pièces de monnaie pour son maître, il dort dans la rue par peur des punitions. Mais il dort la peur au ventre parce qu’il a déjà subi deux viols. Samba a 7 ans. Il n’a jamais compris pourquoi des adultes de l’âge de son père l’avaient sodomisé. Maintenant il a peur des adultes et s’enfuit à la moindre marque de sollicitude de la part d’un adulte. Évidemment, il ne mettra jamais les pieds dans un commissariat de police bien qu’il soit en mesure d’identifier ses bourreaux. Qui l’écouterait ?

Plus loin dans le département de Bakel, Oulimata a perdu ses eaux et s’apprête à accoucher de son 6e enfant, mais le village ne dispose pas d’ambulance et le centre de santé est à des kilomètres. Aucune voiture dans le village. Son mari décide de la transporter à bord d’une charrette. Oulimata est morte pendant le transfert. Elle avait 34 ans. Elle laisse derrière 5 enfants en bas âge et un mari éploré à qui avec sollicitude on dira que c’est la volonté divine. Comment peut-on lui dire ça ? Qu’est-ce que le Tout Puissant a à voir avec une politique publique qui ignore les besoins des plus démunis ?

C’est ça la pauvreté : angoisse, détresse, peur au ventre, mort, négligence, mépris. Au-delà des chiffres ! Le débat sur les chiffres est pathétique.

Pour combattre la pauvreté, j’avais suggéré à l’UNESCO où je coordonnais le programme de lutte contre la pauvreté trois approches :

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1.D’abord, donnons la parole aux pauvres. Écoutons-les. Personne ne connaît mieux qu’eux les conditions qu’ils affrontent, les contraintes auxquelles ils font face et les solutions qui pourraient améliorer leur sort. Mais ils demeurent invisibles et inaudibles. Ils sont des statistiques et tout au plus objets de projets et en attente de salvation.

2.Informons-nous des expériences qui ont réussi qu’il s’agisse de politiques publiques ou de projets. La Banque mondiale et le FMI n’ont jamais réussi à éliminer la pauvreté dans quelque pays que ce soit. Au contraire, leurs politiques ont contribué à accroître et approfondir la pauvreté. Malgré leur propagande, ils n’en ont rien à cirer de la pauvreté en Afrique. La prochaine fois que vous rencontrerez un expert de la Banque mondiale et du FMI, demandez-lui de vous citer le nom d’un seul pauvre qu’il aura rencontré. Par contre la Chine a réussi à mettre fin à la pauvreté. Mettons-nous donc à l’écoute de la Chine plutôt que de ces mystificateurs de la Banque.

3.Enfin, traitons la pauvreté comme une violation des droits humains et qu’il soit dans l’obligation des États d’y mettre fin. Comme c’est le cas pour la torture ou l’esclavage.

– La pauvreté n’est pas une fatalité contrairement à ceux qui avancent qu’il y a toujours eu des pauvres, il y en aura toujours : Faux. L’Europe avant la Chine a mis fin à une pauvreté chronique multiséculaire par le biais de politiques sociales appropriées ;

– D’autres nous bassinent que la pauvreté : « c’est une question de malchance dépendante d’où vous êtes nés, mais avec la formation la capacity building vous serez équipés pour vous en sortir. Sinon, ce sera de votre faute : Faux. Blâmer une victime pour le sort infligé par la société est une vielle technique de domination. Basta.

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– La pauvreté résulte de politiques publiques visant une distribution inéquitable de la richesse nationale et mondiale. Délibérément.

J’ai longtemps plaidé pour que la pauvreté soit combattue comme une violation des droits humains. Ceux que ça intéresse pourront trouver sur Google et Amazon les 4 ouvrages que j’ai édités et publiés (Poverty as a violation of Human rights). L’intérêt de cette approche, c’est qu’il exonère le pauvre qui devient une victime créditrice de droits vis-à-vis de l’État et de la communauté internationale.

Toujours dans le même ordre d’idées à Rome lors de la conférence plénipotentiaire de l’adoption des statuts du Tribunal pénal international, nous nous sommes battus mes collègues NGOs et moi pour que soient inclus dans les statuts du nouveau Tribunal, la violation des droits sociaux économiques et culturels. Ce combat doit continuer.

À partir du moment où la pauvreté devient une violation des droits humains, ça ouvre l’accès aux tribunaux nationaux et internationaux avec l’obligation d’identification des responsables et des coupables putatifs. Oui, il y a des avenues pour sortir de la pauvreté.

psane@







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